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014. À chaque siècle, ses particularités : XVIIIe s.
C'est généralement la période la plus facile et la plus agréable à étudier. De 1737 à la Révolution, les actes paroissiaux correctement rédigés, contiennent tous renseignements utiles pour progresser. L'écriture ne pose guère de problèmes, excepté celui de la notation du mois *, et les quelques difficultés se surmontent aisément l'une après l'autre.
Dans les villages, il peut être superflu de recourir aux tables et relevés. La lecture intégrale du registre annuel dépeint la vie familiale : mariage d'un couple, rythme des naissances, décès notamment en couches, et remariage(s) parallèlement avec celui de leurs frères, soeurs, cousins et cousines qui viennent témoigner ou qui sont parrains et marraines. Des individus plus charismatiques émergent, des mariages multiples entre deux familles et des unions consanguines révèlent des systèmes sociaux portés sur l'endogamie et la préservation des terres. Des familles arrivent, se développent et disparaissent quand elles sont tellement alliées aux autres du village qu'elles ne peuvent plus y trouver un conjoint du même niveau social. Les veufs pourvus de jeunes enfants se remarient rapidement. La mortalité des enfants est si élevée que l'on se demande quels étaient exactement les sentiments des parents envers leurs très jeunes enfants. La vie des enfants naturels est si courte qu'on s'interroge... surtout en comparaison avec le traitement infligé à leur mère en cours d'accouchement. Toutes ces observations, par petites touches, en disent long sur la vie de nos aïeux et sur leur mentalité.
Pour les villes, surtout celles comportant plusieurs paroisses, on peut évidemment hésiter à se lancer dans une telle entreprise de longue haleine. Il est alors intéressant de disposer de tables ou de relevés d'actes pour lire d'abord tous les actes correspondant au patronyme étudié puis de passer à celui des témoins, parrains et marraines.
C'est le moment de ne pas se contenter des BMS et de rechercher systématiquement tous les actes notariés qui fourniront une foule de renseignements insoupçonnés sur nos aïeux : situation matérielle, relations familiales tout transparaît.
Les contrats de mariage complètent les actes de mariage : les premiers renseignent sur le clan familial, plus ou moins subi, et la situation matérielle, les autres sur le milieu relationnel que l'on se choisit. L'exemple ci-dessous permet de se rendre compte de l'intérêt de compléter les actes de mariage par les contrats de mariage.
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Noter l’ordre strictement protocolaire des témoins : pour chaque contractant, le côté paternel est cité d’abord, en commençant par les hommes, puis les femmes (ou leurs époux) et enfin le côté maternel suivant le même ordonnancement.
Seules les personnes en rouge ont comparu. Les générations supérieures ont été trouvées en raison de la dispense de consanguinité au troisième degré existant entre les époux.
On constate que le contrat de mariage (en bas) est nettement plus complet que l'acte de mariage (en haut). En outre, ce contrat montre clairement le rôle joué par Adrien SELINGUE et sa femme dans ce mariage.
Quelques généralités sur les principaux actes notariés
Le contrat de mariage de deux primo mariants, surtout s'ils sont encore mineurs (25 ans pour les filles et 30 pour les garçons) est en réalité passé entre les deux familles et plus précisément entre les pères qui décident ce qu'ils voudront bien céder à leurs enfants pour débuter dans la vie. On comprend aisément que les concessions doivent être équivalentes et que l'on se marie dans son milieu : les marchands bourgeois et les censiers restent entre eux, les artisans aussi et les manouvriers de même. Dans ces conditions, les futurs époux n'ont guère leur mot à dire et il arrive que la future ne soit pas présente, c'est dire ! Les biens sont soigneusement énumérés ou, la partie se disant "apaisée", il n'a pas été jugé utile d'en faire inventaire. Ils consistent ordinairement en ustensiles de ménage, une vache, un cheval, rarement un chariot, la jouissance ou la propriété de terres, un hébergement. Les artisans possèdent les outils servant à leur métier et les filles apportent plutôt une somme d'argent mais dans tous les cas, elle est "honnestement vêtue comme a son estat appartient" et elle possède sa "chambre" ou "lit garnÿ". Les divers "apports" ou "portements" de mariage peuvent être surprenants comme ce plein chariot de fumier pour amender le champ dont le jeune couple aura la jouissance !
Il n'est pas rare qu'un premier mariage entre deux familles soit suivi d'un second unissant la soeur du mari avec le frère de la femme. Phénomène d'identification des cadets à leurs aînés ? Pourquoi pas ? On constate que la dot est exactement la même dans les deux cas. Normal mais le marié, "sitôt le mariage consommé" ne vient pas signer un codicille au contrat, reconnaissant avoir perçu la dot des mains de son beau-père et le tenant quitte. Si les deux mariages ont été célébrés le même jour, il faut envisager que les deux pères se sont entendus pour garder la jouissance de leurs biens et ne pas payer la dot qui ne prendra effet qu'à la dissolution du mariage. Si au contraire, les deux mariages sont notablement espacés, il est probable que la première dot n'a pas été réglée et que le père débiteur propose le second mariage à titre de transaction !
Si les parents ne peuvent ou ne veulent consentir aux sacrifices nécessaires pour "établir" leurs enfants, ceux-ci risquent d'attendre d'être orphelins pour se partager les biens et convoler, ce qui ne tarde généralement pas. Un héritage, même petit, augmente l'attractivité des jeunes gens en âge de convoler...
Pour les remariages relativement tardifs, les parents étant décédés, une certaine liberté règne. Un veuf peut épouser une femme de condition inférieure pourvu qu'elle soit jeune et sans doute jolie ou une servante dévouée aimant les enfants tandis qu'une veuve, à moins d'être aisée, aura plus de difficultés à garder son rang social. Le contrat est alors indispensable pour préciser les biens des deux contractants mais aussi du ou des disparus ainsi que les droits et devoirs des époux envers tous les enfants. Si ce contrat n'a pas eu lieu, la famille du défunt peut l'exiger. Le recours à un membre de la famille du défunt conjoint permet de conserver les biens dans la famille et prévenir la mésentente entre le parâtre ou la marâtre et les enfants.
On peut s'étonner que des fiancés sans le sou passent un contrat de mariage. C'est oublier qu'un contrat est surtout établi pour régler par avance la dissolution du mariage ! Hormis les très rares cas d'annulation de mariage, celui-ci se terminait par la mort aussi le contrat rappelait au futur survivant qu'il aurait la charge des funérailles. Il précisait ensuite la dévolution des biens au décès du premier mourant, la part du survivant, le sort des orphelins éventuels et à défaut, le retour des maigres biens dans la famille d'où ils provenaient. Même pauvres, nos aïeux espéraient bien améliorer leur situation, hériter d'un parent sans postérité, etc...
Enfin, si l'un des contractants est étranger - et il suffit qu'il soit originaire de la province voisine - il devra passer devant le notaire pour qu'il n'ignore rien des coutumes du lieu auxquelles il devra se conformer !
Les successions, plus souples que de nos jours, se règlent selon des coutumes qui varient fortement d'une région à l'autre, en l'occurrence du Boulonnais au Hainaut par exemple : droit d'aînesse mais à charge de s'occuper des cadets ici, égalité entre frères et soeurs là avec parfois un droit de maineté pour le "bâton de vieillesse", révèlent aussi le souci de privilégier l'époux survivant ou de lui préférer les enfants. Les testaments en disent long sur leur auteur : le père qui exige l'embastillement de son fils prodigue, la grand-mère aux multiples testaments qui manipule à sa guise sa fille unique ou celle qui fait dire quantité de messes pour son défunt époux, ses parents, ses amis mais pas pour elle qui n'en a point besoin et qui ose dicter cela à son curé. Les obligations, qui sont des emprunts à terme, renseignent sur des difficultés financières passagères : remplacement imprévu d'un cheval, impossibilité à "joindre les deux bouts" en attendant les rentrées provenant de la vente de la future récolte, racheter une part de succession, etc... avec souvent la caution d'un tiers tandis que la constitution de rente est un emprunt perpétuel correspondant à un investissement durable, signe plutôt d'un enrichissement. Ces rentes, qui présentent un très grand intérêt pour le généalogiste, seront étudiées pus loin. Tous les actes sont bons à prendre, même les baux qui renvoient au propriétaire à partir duquel, on pourra parfois s'orienter vers de nouveaux fonds pour progresser.
Il ne faudra pas perdre de vue que les testaments, partages et successions ne sont pas toujours exhaustifs. D'abord, le mourant peut ne pas être autant "en bon sens vraie mémoire et entendement" que le rédacteur le prétend... Ensuite, cet acte vise à faire exécuter par ses héritiers les dernières obligations qui lui incombaient. En effet, les aînés déjà pourvus lors de leur contrat de mariage, seront ou non admis au partage final selon qu'il reste suffisamment ou pas de biens pour assurer une part convenable à leurs cadets. Il est des actes qui expliquent minutieusement la situation et d'autres particulièrement laconiques. Plus subtil est le cas d'un enfant né d'une première union et qui a déjà hérité de son défunt parent : il risque, si son parent survivant a eu de nombreux enfants par la suite et dans un souci d'équilibre entre tous les héritiers, de devoir se contenter de ce qu'il a déjà reçu, voire de payer une somme compensatoire à ses cadets !
Les parents des contractants pouvaient insérer une clause très particulière : ils "accordaient représentation" ou non à leurs futurs petits-enfants au cas où leur propre enfant décéderait avant eux-mêmes. Si oui, les orphelins héritaient de leurs grands-parents maternels ou paternels, récupérant la part qui devait revenir à leur défunte mère ou défunt père sinon, ils étaient irrémédiablement écartés de cette succession. Cette disposition, qui peut sembler inhumaine, avait pour but de ne pas prendre le risque de laisser sortir les biens de la famille au profit d'un gendre ou d'une bru, d'éviter les litiges avec eux et de limiter le morcèlement des terres et autres propriétés. D'autres stratégies permettaient de préserver le plus possible son "pré carré" après sa mort comme nous le verrons par la suite.
Enfin, si de nos jours, un testateur ne peut déshériter totalement un de ses enfants, il n'en allait pas de même autrefois. L'ostracisé pouvait être mentionné comme non héritier "pour des raisons bien cognues sans qu'il soit besoin de le préciser" ou être complètement passé sous silence. Il n'est pas toujours possible de déterminer auquel des deux derniers cas on a affaire.
Nonobstant ces interprétations parfois délicates, ce travail sur des actes notariés permet de se familiariser avec ces fonds, d'acquérir de nouvelles méthodes de travail sans grand risque de se tromper puisque les actes paroissiaux sont encore là pour vérifier le raisonnement, ce qui ne sera généralement plus le cas au XVIIe siècle.
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