• Une très instructive querelle de succession

    Querelle de succession

     

    Pénibles à vivre pour les protagonistes et leur entourage, les histoires de famille présentent l’avantage d’être riches en renseignements pour ceux qui parviennent à en démêler tenants et aboutissants. Les ressorts sont invariablement l’honneur entaché par des comportements hors normes et surtout des intérêts financiers qui peuvent amener des branches collatérales à s’affronter férocement des générations durant. Ces successions litigieuses sont donc une mine pour le généalogiste qui aurait grand tort de se priver de l’apport des sources judiciaires surtout dans le Cambrésis qui a perdu beaucoup d’archives au cours des dernières guerres.

     

    Nous traiterons à titre d’exemple d’une succession qui a fait l’objet d’un procès devant l’officialité de Cambrai, puissante juridiction unique en France. L’officialité était et reste un tribunal catholique auquel on s’adresse encore pour obtenir une dispense de consanguinité ou pour faire annuler un mariage religieux.

    Il en existait un par diocèse (évêché) mais celui de Cambrai traitait aussi, en appel, des procès déjà jugés dans l’archevêché, c’est-à-dire dans les diocèses d’Arras, de Tournai, de Saint-Omer et d’Ypres (pour faire simple car quelques réformes ont fait au cours du temps varier les limites).

    Non seulement considérable par son étendue, l’archevêché de Cambrai se trouvait de surcroît à cheval sur la France et l’actuelle Belgique. Situation particulièrement fâcheuse en période de guerre et de conquêtes, sous Louis XIV notamment.

    De plus, l’archevêque de Cambrai, fonction traditionnellement dévolue à un prêlat issu de la haute noblesse, était duc de Cambrai et comte du Cambrésis avec toutes les prérogatives attachées à son rang. Il détenait ainsi la justice seigneuriale (ou justice civile) basse, moyenne et haute mais, religion oblige, bien que pourvu d’un bourreau, il ne prononçait pas la peine de mort, se contentant d’envoyer éventuellement aux galères…

     

    Pour l’affaire qui nous occupe, le principal document parvenu jusqu’à nous est un cahier de quatorze pages dont il manque au moins le premier feuillet et plus probablement deux autres. Une dizaine de pièces éparses retrouvées par ailleurs n’apportent pas grand-chose. Malgré ces lacunes et les innombrables redites qui alourdissent le texte, l’affaire est généalogiquement assez limpide.

     

    L’officialité de Cambrai doit donc arbitrer après 1781 un conflit entre les BOURDON et les lointains héritiers de Marguerite LAUDE dans lequel interviennent le sieur DAMIENS et le sieur de VIELLEUSE suite au décès de Louis CRUL… en 1702.  

    L’affaire va remonter à la succession de Mme de VORDE et il s’agit d’attribuer ou de partager divers biens situés à Marcoing mais aussi à Ramilly, Rumilly, Cambrai, Fontaine Notre-Dame, Pronville ou Prouville, Thun Saint-Martin, Cantaing, Selvigny, Lécluse, Tortequesne, Carancy, Fillièvre. Passons sur les chicaneries juridiques au demeurant des plus ordinaires pour situer les personnages et comprendre leurs prétentions.

     

    Il apparait que les BOURDON sont descendants de Jeanne Catherine LAUDE qui avait une sœur Françoise.

     

    056.

    Nous pouvons d’ores et déjà déduire que Françoise LAUDE est morte sans postérité et que ses biens ont été transmis à sa sœur Jeanne Catherine, si elle vivait encore, ou directement à son ou ses neveu(x) dans le cas contraire. Nous devinons aussi que les deux sœurs sont apparentées à Marguerite LAUDE à un degré proche.

     

    Pour la partie adverse, un schéma valant mieux qu’un long discours…

     

    056.

     

    À sa mort, Louis CRUL laisse donc une enviable fortune.

    Fils de Jean et de Marie LEPIPRE, il n’avait pour proche famille qu’un frère chanoine qui n’intervient pas. Soit ce dernier était également mort, soit il avait pris possession de son héritage – par anticipation mais pour solde de tout compte – à son entrée dans les ordres.

    Le Sr DAMIENS revendique l’héritage comme cousin et plus proche parent du défunt, leurs mères étant sœurs.

    Le Sr de VIELLEUSE conteste, arguant que le défunt était petit-fils de Jean CRUL et de Marie GRARD, branche éteinte et qu’en conséquence, les biens doivent revenir à celle de son aïeule Claire CRUL, sœur dudit Jean.

    Les BOURDON balaient ces prétentions, faisant valoir que les biens proviennent des LAUDE dont ils restent les seuls représentants.

     

    La justice va donc s’efforcer de réunir les preuves permettant de déterminer l’origine des biens détenus essentiellement à Marcoing par les CRUL.

     

    La traçabilité des terres était fondamentale sous l’Ancien Régime, société de possédants plus que de salariés (souvent payés en nature et/ou avec des élastiques), où les héritages étaient essentiellement constitués de terres et de biens immobiliers qu'on avait le devoir de transmettre à ses enfants, qu'on ne pouvait vendre sans motif légitime et sans autorisation et où le droit de retrait lignager permettait aux plus proches parents d’un vendeur de préempter.

    Les actuels notaires continuent d’ailleurs, dans les actes de vente, de soigneusement récapituler les propriétaires successifs d’une maison ancienne.

    Pour mémoire, Catherine DHÉRENT, qu’on ne présente plus, conseillait, après les BMS et le tabellion, de rechercher à qui appartenait la terre.

     

    L’affaire serait simple si les liens familiaux l’étaient aussi, ce qui est loin d’être ici le cas et ce n’était pas rare autrefois.

    Claire CRUL ou GRUL était fille de Hens ou Hans (francisé en Jean) et de Catherine STRUE et elle avait trois frères : Jean, Cornil et Maximilien. Devenue veuve, Catherine STRUE s’était remariée avec Mathieu GRARD, lui aussi veuf de Marguerite LAUDE avec deux filles.

    Conformément aux coutumes d’antan, deux des frères CRUL ont épousé les sœurs GRARD.

     

    Ces unions étaient fréquentes parce qu’elles présentaient de nets avantages : on se connaissait bien, on ne risquait guère de mauvaises surprises et surtout, surtout, on réduisait autant que faire se pouvait le morcellement des terres, cause d’appauvrissement.

     

    Cornil CRUL et Catherine GRARD, sa femme, de même que Maximilien CRUL, ne semblent finalement pas avoir laissé de postérité. Logiquement, leurs biens ont été partagés entre Claire CRUL et Jean CRUL, époux de Marie GRARD. Jusqu’ici, l’affaire est si simple qu’il n’y aurait pas motif à intenter un procès sauf que Claire et Jean CRUL ne sont juridiquement à égalité que pour les biens provenant des CRUL.

    Par ailleurs, Marie GRARD (ou son fils) a aussi hérité de sa sœur Catherine, leur mère ayant été une riche héritière…

    Avec le temps, les souvenirs peuvent s’être estompés, embrouillés… de bonne foi ou non.

     

    Compte tenu du nombre et de la variété des biens en jeu, le nœud gordien de l’affaire est de savoir exactement quels biens ont été acquis par Jean CRUL et Marie GRARD, son épouse en 1610 en provenance de la Maison d’AIGUEMONT et lesquels ont échu aux sœurs GRARD par succession de leur mère Marguerite LAUDE, elle-même héritière – à un titre qui nous échappe – de la dame de VORDE (peut-être une tante ou une riche marraine).

    Le Sr de VIELLEUSE sera l’heureux héritier des premiers tandis que les BOURDON aussi issus d’une LAUDE (peut-être une sœur de Françoise et Jeanne Catherine) jouiront paisiblement des seconds, le sieur DAMIENS semblant prestement éliminé de la compétition.

     

    Il faut bien comprendre qu’autrefois, on se répartissait des terres ancestrales « amasées » ou non tandis qu’actuellement, on se partage des valeurs (épargnes et biens convertis en monnaie) qui masquent (comme un blanchiment) l’origine des richesses mais facilitent le règlement des successions.

     

    Nous laisserons les juges à leur enquête, passerons sur les droits du séminaire qui avait formé le chanoine… et ferons seulement remarquer que cette succession a traversé la Révolution pour être encore d’actualité… en 1806 !

    Beau tableau de famille et vive les successions litigieuses !

     

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    Cf. AD59    Cumulus RDC 258/5

    Cumulus RDC 249/36

    Cumulus RDC 187/14 & 187/95

    Cumulus RDC 179/17 & 179/18

    Cumulus RDC 165/17/1

    Cumulus RDC 062/57

    Cumulus RDC 014/87


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