• 057. Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES... (Un patronyme inusité)

     

    Il est des individus qui défient les plus fins limiers… 

    La thèse développée dans cet article ne satisfera pas ceux qui ne voient de solution que dans « un » acte à débusquer quelque part et la conclusion leur paraîtra osée. C’est pourtant le résultat d’une méthode qui a fait ses preuves [1]

    Il faut tout d'abord souligner que le développement de la généalogie et de l’informatique, en particulier les remarquables travaux quasi exhaustifs de Vincent LÉCUYER, tant sur GenNPdC que sur Geneanet, et ceux de Paul POVOAS sur Généalo ont grandement facilité et conforté cette enquête. Qu’ils en soient vivement remerciés ici.

    En effet, quand tous les couples et individus rattachables sont enfin reliés entre eux et qu’il ne reste que des familles éparses, il devient envisageable de s’appuyer sur des compatibilités suffisantes pour raccorder une famille venue d’on ne sait où avec une autre disparue sans laisser de traces 

     

    Un patronyme déconcertant

     

    L’acte de de mariage, en date du 22 mai 1730 à Alincthun, entre Pierre SAILLY, de Le Wast, et de Marie Anne LELEU, recèle une surprise. En effet, la mère du mariant se nomme MAÎTRECHARLES, patronyme totalement inusité !

    Les sobriquets, qui n’étaient pas rares, et le mot « maître » suivi d’un prénom évoquent d’emblée un nom usuel plus qu’un véritable patronyme.

    Inutile de préciser qu’au Wast, on ne détecte aucune trace d’une famille MAÎTRECHARLES… et pas davantage des SAILLY.

    C’est l’impasse.

    Raison de plus pour exploiter au maximum cet acte de mariage. Le regretté André DENIEUL disait que je trayais à fond les actes...

    Cliquez dans les images pour les agrandir.

    Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES...

    AD62, 5 MIR 022/1 Alincthun 1660-1853, 312/1545 

     

    Deux villages voisins

     

    Comme le veut la tradition, Marie Anne se marie dans sa paroisse d’Alincthun (Bellebrune, son secours) alors que Pierre est du Wast, à une bonne demi-heure de marche seulement.

    Situation courante qui n’appelle aucun commentaire particulier.

    Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES...

    Au pas, au trot, au galop ! 

    La vitesse moyenne d’un cheval selon l’allure est respectivement de 7, 14 et 21 km/h environ. 

     

    Une mariante fort bien entourée

     

    L’examen des témoins fait apparaître qu’elle est accompagnée des hommes de sa famille : Jean (François) LELEU, son frère germain (même père et même mère),  Pierre MEURICE et Jacques (Marie) LELEU, ses neveux consanguins (du côté paternel) et Jean (MO)BREUX, son oncle maternel. 

    Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES...

    On remarque qu’il a fallu faire le tri entre plusieurs Jean LELEU en tenant compte de leur âge ou de leur existence à la date de ce mariage, de leur degré de parenté avec les nouveaux époux et de leur signature.

     

    et un « rattaché » très esseulé

     

    Le mariant semble a priori bien seul.

    Pourtant, en dernier, après les proches du mariant et ceux de la mariante mais avant le curé figure la mention : « alexandre bernard pour mon perre ». Cet emplacement est généralement celui des amis et témoins étrangers aux familles.

    C’est sans surprise au Wast, paroisse du mariant, qu’est retrouvé Alexandre BERNARD.

    Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES...

    Antoine BERNARD, laboureur, propriétaire, n’ayant pas jugé utile d’assister au mariage de Pierre SAILLY, a préféré dépêcher Alexandre, son second fils. Or ce dernier, né le 16 septembre 1713 au Wast, n’est âgé que de seize ans et demi. Il est mineur et ne peut signer que sur procuration de son père, réel témoin.

    Cette désinvolture est davantage celle d’un « maître » (employeur) du mariant, « lui tenant lieu de père en cette occasion » comme on peut le lire parfois, que celle d’un parent mais d’habitude, au moins, il fait acte de présence. On peut penser qu’il manifeste ainsi sa mauvaise humeur à la perspective de perdre un manouvrier rude à la tâche…

    Malheureusement, les recherches sur les SAILLY et MAÎTRECHARLES ayant tourné court, la preuve d’une absence de parenté entre ces familles et Alexandre BERNARD n’a évidemment pu être apportée.

    Quoi qu’il en soit, Pierre SAILLY nous apparaît bien seul. Or, autrefois, les gens n’étaient pas vraiment isolés. Excepté quelques étrangers venus de loin, les aventuriers, les marginaux, les ostracisés, rejetés par leur famille ou brouillés avec elle, voire les bannis de la société et ceux qui fuyaient la justice, tous les autres vivaient dans un réseau familial et relationnel plus ou moins protecteur.

    Parmi les esseulés, le cas le plus fréquent est celui des orphelins dispersés, souvent séparés de leurs frères et sœurs éventuels : jeunes enfants élevés chez leurs parrains et marraines respectifs, adolescents obligés d’aller travailler comme domestiques ou servantes au bourg, pas nécessairement le plus proche.

     

    Un couple plutôt mal assorti

     

    On aura aussi remarqué que, comme tous ses témoins, Marie Anne sait écrire correctement son nom tandis que Pierre se contente d’apposer une banale marque.

    L’inverse est plus courant.

    ◊ ◊ ◊

    Si l’on considère l’âge des mariants, elle vient d’avoir trente-deux ans puisqu’elle est née le 1er avril 1698 à Bellebrune. Cette date est confirmée par son décès le 17 juin 1760 à Bellebrune alors qu’elle est dans sa soixante-troisième année et elle est recoupée par son dernier accouchement, le 25 septembre 1742 à Alincthun, à l’âge de quarante-quatre ans et cinq mois.

    Pierre meurt le 23 janvier1764 à Bellebrune. Son acte de sépulture indique que le curé lui attribuait l’âge de soixante-deux ans. Faute d’acte de baptême, on en conclut qu’il serait né au plus tôt en janvier 1702 mais plus vraisemblablement en 1701. À son mariage, il était donc âgé de vingt-huit ans environ, soit quatre ans de moins que son épouse, contrairement aux usages qui privilégient un chef de famille un peu plus âgé que sa compagne.

    Tout séparait les mariants : un solide entourage familial ici ; un isolé là, bien que venu du village voisin ; le degré d’instruction et par conséquent le niveau social, l’âge,… Et si c’étaient justement les raisons de ce mariage ? 

     

    Une fille difficile à caser

     

    Compte tenu de son âge, Marie Anne a manifestement rencontré des difficultés à trouver dans sa paroisse un époux qui lui convienne à elle… et à son clan. Pour mémoire, les contrats de mariage étaient aussi appelés traités de mariage, comme un traité de paix entre royaumes avec mariage en garantie ! Il faut parfois prendre les mots et expressions au pied de la lettre !

    Vu la « petitesse du lieu », le cas est fréquent comme en témoignent les nombreuses demandes de dispenses de consanguinité conservées aux Archives départementales du Pas-de-Calais. En effet, la population d’un village est alors de 250 à 300 personnes en moyenne. Après décompte de la moitié des habitants du sexe opposé, des personnes du même sexe déjà mariées, des enfants et adolescents, des vieillards quoique…, des proches parents et, comme les princes n’épousaient les bergères que dans les contes, des différences sociales trop marquées sans oublier les chétifs, malingres, contrefaits et imbéciles (terme qualifiant autrefois l’idiot du village), les vieilles rivalités et animosités, les gens de mauvaise réputation et même les suspicions de protestantisme, il reste peu de possibilités pour se marier.

    ◊ ◊ ◊

    C’est le problème des LELEU, très nombreux dans le village et aux proches environs, qui constituent une tribu apparemment unie avec une nette tendance au repli sur elle-même, caractéristique des propriétaires, fort attachés à leurs terres.

    Pour preuve, de 1747 à 1767, quatre mariages consanguins auront lieu dans la famille LELEU dont celui de Jacques SAILLY, fils précisément de Pierre SAILLY et de Marie Anne LELEU avec Marie Catherine MOBREUX. Il faut noter que la consanguinité passait par les MOBREUX, la coupe étant pleine côté LELEU.

    Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES...

    Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES...

    Extraits de la Dispense du 3ème au 3ème degré de consanguinité SAILLY-MOBREUX du 09 février 1767 AD62,

    1G874 (G240) pièce 13

    On remarque que la branche de la mariante se trouve à gauche du tableau généalogique, place occupée habituellement par celle de son futur, particularité qui témoigne de la considération relative accordée par le curé aux MONBRUN et aux SAILLY, arrivés plus tardivement au village et probablement moins aisés voire moins généreux avec l’Église.

    Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES...

    Mariage desdits SAILLY-MOBREUX le 02 mars 1767 à Bellebrune AD62, 5 MIR /104/1 p. 528 BMS

    On remarque aussi avec quel luxe de détails sont présentés les protagonistes : suppliants et témoins pour la dispense, mariants et témoins pour la bénédiction nuptiale.

     

    Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES...

    Jacques SAILLY et Marie Catherine MOBREUX et leurs témoins  

    Par la suite, dans d’autres actes, le même souci de préciser les liens de parenté prouvera que le curé, qui rencontrait déjà des difficultés à dresser l’arbre généalogique des LELEU (Cf. ci-dessous le mariage en 1751-1752 de Marc LELEU avec Marie Jeanne LELEU), faisait très attention pour s’y retrouver.

    Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES...

    Toutes ces unions consanguines attestent amplement que Marie Anne LELEU était effectivement apparentée avec une bonne partie du village. 

     

    Un besoin de « sang neuf »

     

    Si la famille de Marie Anne se laisse appréhender, il n’en est pas de même pour celle de Pierre, cet OMNI (Objet Mariant Non Identifié) bien que les noms de ses père et mère soient connus…

    Alors que penser à ce stade des recherches ?

    Il semble acquis que Pierre était esseulé. Orphelin sans famille ? Brouille familiale ? Si opposition à ce mariage avantageux pour lui il y eut, ce ne pouvait être, pour d’obscures raisons, que du côté de Pierre puisque les LELEU lui ouvrent grand les bras.

    En revanche, il est certain que le curé du Wast le connaissait bien et depuis suffisamment longtemps pour être certain que cet homme de 28 ans était encore célibataire. En conséquence, il a délivré une autorisation de les marier à son confrère d’Alincthun. S’il avait eu le moindre doute, il se serait renseigné auprès du curé du lieu de baptême et, le cas échéant, auprès des armées, ce qu’il aurait scrupuleusement noté pour montrer à son évêque qu’il s’acquittait correctement de ses responsabilités.

    La famille, tant paternelle que maternelle de Pierre étant introuvable au Wast, il pourrait donc être venu y travailler dès l’adolescence. Peut-être même y a-t-il été élevé ?

    On commence cependant à comprendre les circonstances de ce mariage : un jeune homme, probablement sérieux et travailleur, est d’autant plus facilement agréé par une famille paysanne qui avait besoin de « sang neuf » qu’il manque apparemment de parents, ce qui facilitera son intégration dans une tribu qui devra par la suite recourir aux mariages consanguins pour maintenir sa cohésion, limiter le nombre d’héritiers et… éviter le fractionnement et la dispersion de ses terres ou pour reconstituer le pré carré démembré par des partages successoraux ! Il est probablement plus pauvre mais l’avantage est qu’il n’est pas en position d’exiger une dot conséquente et il apporte une appréciable force de travail.

    Quoi qu’il en soit, le jeune couple vit à Alincthun où Pierre SAILLY deviendra fermier ou laboureur.

    Six enfants naissent. 

     

    Deux sœurs de Pierre SAILLY à Colembert et à Selles

     

    Grâce aux baptêmes, on découvre que Pierre a deux sœurs.

    Le 25 février 1731 à Alincthun, leur fils Pierre SAILLY a pour marraine « Marie Jeanne SAILLY, sa tante Maternele de la paroisse de Colembert » qui met sa marque faute de savoir écrire. Le curé s’embrouille dans l’expression des relations de parenté : il faut bien évidemment lire « paternelle ».

    L’enfant décédera le 23 mars 1731 à l’âge d’un mois à peine.

    Un autre Pierre lui succédera le 26 mai de l’année suivante mais ses parents ne reconduiront pas les parrain et marraine (par superstition ?), préférant se rabattre sur des habitants d’Alincthun.

    Le 14 novembre 1734 à Alincthun, Jean Marie SAILLY a pour marraine « Marie SAILLY, sa tante paternele de la paroisse de Selle » qui ne sait pas écrire non plus comme il fallait s’y attendre. Le curé a retrouvé sa maîtrise du vocabulaire… 

    On oriente donc les recherches sur Colembert (Nabringhem, son secours) et sur Selles.

    Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES...

    Les résultats sont décevants : à Colembert, on ne trouve absolument rien !

    Ce cas est fréquent.

    On en conclut que Marie Jeanne SAILLY y vivait en célibat, probablement comme servante chez un laboureur ou un aubergiste… Mariée, avec ou sans enfants, elle serait apparue sans tarder dans les registres comme marraine dans sa belle-famille. Marque de bienvenue à une nouvelle « rattachée ». 

    ◊ ◊ ◊

     Mais à Selles, parmi quelques SAILLY, on trouve le baptême le 15 janvier 1691 d’une Marie SAILLY, fille de Philippe SAILLY et… de Jeanne LE FEBVRE, sa femme ! 

    Une sœur consanguine de Pierre SAILLY-MAÎTRECHARLES, peut-être ?

    Se pourrait-il que ce soit elle qui demeurait toujours à Selles en 1734 ?

    Remontant le temps, on lui trouve un frère Philippe SAILLY-LE FEBVRE, né le 14 et baptisé le 15 juin 1689.

    C’est tout !  

     

    Élargir le cercle des recherches

     

    Ces pistes étant épuisées, il reste à élargir le cercle géographique des recherches, à commencer par Brunembert parce qu’il est le secours de Selles. Ces deux paroisses ont d’ailleurs fait registres communs pour certaines périodes.

    On découvre sans surprise que Philippe SAILLY et Jeanne LEFEBVRE y ont été mariés le 16 octobre 1684 mais par le curé de Selles.

    Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES...

    Mention de Michel LE FEBVRE et de Robert COUSIN, témoins non repris sur la copie.

    À rapprocher au besoin de Pierre COUSIN, parrain le 15 juin 1689 de Philippe SAILLY, la marraine étant une autre Jeanne LE FEBVRE, cette homonymie révélant souvent un cousinage, ici avec l’accouchée.

    Un premier enfant, Philippe SAILLY-LE FEBVRE, ne va pas tarder à naître le 16 janvier 1685. Il sera baptisé le lendemain et aura Charles LE FEBVRE pour parrain et Margueritte LE FEBVRE pour marraine.

    On en déduit que la famille LE FEBVRE n’est pas loin…

    La naissance d’un frère cadet aussi prénommé Philippe, déjà trouvée en 1689 à Selles, laisse supposer que ce premier né est décédé en bas âge.

    Effectivement, il est mort le 19 mars de la même année.

    Il faudra absolument savoir qui est ce Charles LEFEBVRE qui pourrait bien être le « Maître Charles » recherché…  

    Mais pour l’instant, on évite de se disperser et on poursuit la recherche des enfants du couple SAILLY-LE FEBVRE.

     

    La fratrie de Pierre SAILLY retrouvée ? 

     

    Un deuxième enfant, Jean SAILLY-LE FEBVRE, le suit le 03 octobre 1686.

    Les baptêmes de Philippe et de Marie, les 3ème et 4ème enfants ont déjà été trouvés dans les registres de Selles en 1689 et 1691.

    Retour à Brunembert où un 5ème enfant est… Marie Jeanne SAILLY-LE FEBVRE, née et baptisée le 12 juin 1695.

    Il peut s’agir de la marraine de l’enfant né en 1731 à Alincthun.

    Et, le 09 février 1701, est né et baptisé Pierre SAILLY… lui aussi fils de Philippe et de… Jeanne LE FEBVRE

    Se pourrait-il que ce soit Pierre SAILLY-MAÎTRECHARLES ?

    On a bien Pierre, né comme prévu en 1701 et ses sœurs Marie et Marie Jeanne, tous enfants de Philippe et de Jeanne LE FEBVRE alors qu’on s’attendait à un remariage de Philippe avec Marie MAITRECHARLES.

    Deux pères portant le même prénom, deux fratries de trois enfants parfaitement homonymes même si les prénoms sont banaux, à la même époque, l’un d’eux né la même année, le tout en un lieu indiqué par un indice, cela constitue un solide faisceau de compatibilités malgré les prénom et nom de la mère, nom qui laisse par ailleurs perplexe…

    Si deux familles aussi semblables vivaient à la même époque dans un aussi petit village, les BMS refléteraient cette situation mais il n'en est rien.

    L’expérience montre qu’il ne faut jamais abandonner une piste prometteuse au premier grain de sable, à la première déception.

    MAÎTRECHARLES versus LEFEBVRE  

    057. Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES... (Un patronyme inusité)

    D’après les travaux de Vincent LÉCUYER sur Geneanet

     

    Le drame ! 

     

    Et 9 mois et demi plus tard, le 22 novembre de la même année…

    Antoine est né et a apparemment été ondoyé comme le sous-entend la formulation inhabituelle et la non désignation des parrain et marraine. Il est décédé vraisemblablement avant que le curé ait pu suppléer aux cérémonies du baptême et il a été inhumé le lendemain.

    Cette naissance prématurée, ou fausse couche, a coûté la vie à Jeanne LEFEBVRE, décédée le 25 novembre 1701 sans doute d’une hémorragie qui l’a vidée peu à peu de son sang.

    Ces maigres éléments donnent cependant du crédit à l’hypothèse selon laquelle Pierre SAILLY-MAîTRECHARLES appartiendrait à une famille quelque peu dispersée, mouvante et des plus réduites.

    Il n’a guère connu sa mère, il n’en a aucun souvenir. En pareil cas et si les proches parents ont disparu ou sont trop éloignés, il est fréquent de constater, surtout chez les analphabètes, qu’après deux ou trois décennies, le souvenir de la défunte s’estompe… parfois au point d’oublier ses nom et prénom !

     

    Un foyer privé de maman

     

    Qu’est devenu ce Pierre SAILLY-LEFEBVRE ?

    Est-il mort peu après sa naissance, en bas âge ou plus tardivement ou est-il parvenu à l’âge d’homme ?

    057. Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES... (Un patronyme inusité)

    Si ce Pierre SAILLY-LEFEBVRE a survécu, quelle a été sa tendre enfance ?

    A-t-il été mis en nourrice dès que sa mère, de nouveau enceinte, n’a plus eu de lait ?

    A-t-elle réussi à le nourrir en recourant peut-être au lait de chèvre plus ou moins coupé ?

    A-t-il été élevé au Wast chez une parente, une marraine, une voisine qui pouvait nourrir deux enfants ?

    S’il a survécu, il le doit certainement à la solidarité des femmes.

    Autrefois, les mères donnaient longtemps le sein à leur enfant jusqu’à une année entière et parfois plus car l’allaitement artificiel, loin d’être au point, compromettait les chances de survie du nourrisson. On ne savait guère materniser le lait de vache, les « biberons », en fait une tasse de type cuillère ou un petit pot-mamelle ou pot-burette, étaient inadaptés et l’hygiène approximative.

    De plus, l’allaitement maternel constituait le meilleur moyen d’espérer espacer quelque peu les naissances. Entretenir la lactation en prenant un enfant en nourrice ou en recueillant un nourrisson privé de lait maternel permettait de prolonger ce répit.

    En conséquence, les enfants qui ne recevaient que tardivement une alimentation diversifiée étaient fréquemment carencés et donc affaiblis. 

    ◊ ◊ ◊

    Ensuite, que serait devenu ce Pierre SAILLY-LEFEBVRE à la mort de sa mère ?

    On sait seulement que son père ne s’est pas remarié et que, selon Vincent LÉCUYER, il vivait encore en 1723 lors du mariage de Jean, son fils aîné…

    Le plus plausible est que Philippe SAILLY s’est débrouillé pour élever ses enfants.

    À neuf mois et demi, Pierre, nourri de panades au lait, de soupes de légumes et d’œufs, pouvait survivre.

    Il suffisait qu’il soit sous surveillance pour guider ses premier pas et éviter tout accident.

    À l’adolescence, vers 14 ans, a-t-il commencé à circuler de village en village, apprenant son métier au gré de ses employeurs, sachant se faire apprécier jusqu’à son mariage avec Marie Anne LELEU ?

    Il faut souligner ici que dans le Douaisis, les filles étaient censées pouvoir subvenir à leurs besoins, leur nourriture et entretien, dès l’âge de douze ans et les garçons de quatorze. Autrement dit, ils pouvaient être embauchés comme servantes et domestiques.

    A-t-il plutôt quitté le foyer familial après le mariage de son frère aîné en 1723 ?

    A-t-il été le « bâton de vieillesse » de son père avant de partir travailler au Wast après sa mort ?

    Il faudrait pouvoir vérifier ces hypothèses en toute certitude. Sans perdre de vue cet objectif, il reste à s’interroger sur le patronyme MAÎTRECHARLES, rigoureusement inconnu dans toute la région, foi de généalogistes !

     

    « Maître Charles » ou « Maître CHARLES » ?

     

    Pour corser l’affaire, l’auteur d’une table de BMS a cru lire : « Marie Marthe CHARLES » !

    Pourtant, on distingue parfaitement le point sur le « i », une liaison entre « marthe » et « charles » et surtout c'est bien un « r » après le « t » de maitre. Ce ne peut donc être « Marie Marthe ».

    Fiez-vous aux tables !... 

    ◊ ◊ ◊

    Ce patronyme « MAÎTRE CHARLES » reste cependant une énigme.

    Face à un tel nom composé qui évoque un nom d’usage, presque un sobriquet plus qu’un réel patronyme, il convient d’analyser séparément les deux éléments.

    Pour le premier élément, « Maître » désignait habituellement l’employeur (« Le valet et son maître »), un marchand, un gros censier, un important fermier, voire un mayeur ou un échevin influent mais il s’appliquait aussi à un maître artisan. Il pouvait aussi qualifier un homme autoritaire qui jouait un peu trop les coqs de village et qui est resté dans les mémoires sous ce vocable.

    Marie pourrait aussi être notoirement connue pour être fille naturelle de l’un d’eux...

    Quant au second élément, il faut envisager deux hypothèses : celle du prénom « Charles », par chance assez peu courant, et celle du patronyme « CHARLES » qui se rencontre aussi dans le Calaisis-Boulonnais !

    Dans le second cas, il faut trouver le prénom de « Maître CHARLES » et les prénom et nom de sa femme, mère de leur fille Marie…  

    Dans le premier cas, on a affaire à « Maître Charles N… ». Il faut trouver le patronyme, ce qui donne du crédit au couple « SAILLY-LEFEBVRE ».

    Mre (?) Charles LEFEBVRE

     

     

    Vincent LÉCUYER, consulté pour avis, confirme obligeamment l'existence à Brunembert d'un Charles LEFEBVRE qui serait à peu près de la même génération que Jeanne.

     

    "registre de Brunembert (5mi R179/1), et sur la vue 76 :

     

     

    3ème acte page de gauche : chronologiquement, ce ne peut être le père de Jeanne, mais un Charles LEFEBVRE décède le 06/01/1684 à 40 ans, et son nom semble précédé d'une abréviation qui pourrait être celle de "maître"... sans garantie."

     

     

     

    057. Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES... (Un patronyme inusité)

    http://archivesenligne.pasdecalais.fr/ark:/64297/a9201d50c9a103b997af0062c5f21a47#

    Reste à comprendre le rôle joué par cet homme dans le village et dans la vie de Jeanne. Un frère aîné, un oncle, un parrain  qui l'aurait élevée ou chez qui elle aurait vécu ? Situations fréquentes. 

    ◊ ◊ ◊

    Vincent LÉCUYER, qui a ratissé les bases généalogiques du Boulonnais-Calaisis, a pu écrire sur GenNPdC que « Sans prétendre être exhaustif, les SAILLY de cette époque autour du Wast sont principalement présents à Brunembert, Lottinghen et Selles. Les CHARLES sont plus loin (principalement autour de Marquise/Wimille et à Guînes) ».

    Il est utile et agréable de présenter ces renseignements sur une carte synthétique.

    057. Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES... (Un patronyme inusité)

    Les CHARLES et                                                                    les SAILLY 

    Voilà qui n’incline guère à pencher en faveur d’un mariage SAILLY-CHARLES.

    ◊ ◊ ◊

    Par contre, les usages anciens plaident pour le prénom « Charles ».

    Autrefois, tant dans leur cercle relationnel qu’officiel (Dans le village où chacun se connaissait, la famille était la cellule de base de la société), les gens étaient couramment désignés par leur prénom suivi éventuellement de leur « surnom » (patronyme, « surname » pour les Anglais) ou par leur sobriquet. Combien d'actes de baptême ou de décès les plus anciens se contentaient d'un laconique « enfant de Pierre et de sa femme » ?

    On remarquera à ce sujet que les inévitables homonymies étaient l’une des raisons des sobriquets et des fréquents changements de prénoms au fil de l’existence.

    Ainsi les tables en fin de registre des terriers ou des cueilloirs de rentes présentent un classement alphabétique... au prénom suivi - mais pas toujours - du patronyme, ce qui les rend fort peu utiles aux généalogistes !

    Par contre, pour l’administration judiciaire, si on ignorait le prénom d’un individu ou pour éviter de fastidieuses répétitions, les comparants étaient désignés par le sieur N... ou le nommé N... (à noter que sauf exceptions, l'âge est fiable).

    C'est seulement à la Révolution qu’on a commencé à nommer les individus par leur patronyme en omettant leur prénom : « le citoyen N... », usage repris par notre moderne Administration qui préfère donner la priorité au patronyme sur le « nom de baptême » sans doute trop catholique : « Vos nom, prénom, SVP ! »

    À noter que fort heureusement, les SAILLY, à la Belle Époque, étaient encore circonscrits essentiellement dans le Pas-de-Calais, ce que confirme le « Répertoire des noms de famille du Pas-de-Calais en 1820 ». Dans le cadre de cette étude, on peut donc raisonnablement écarter toute autre origine.

     

    Élargir le champ des recherches

     

    Poursuivant donc les recherches sur Lottinghem comme suggéré par Vincent LÉCUYER, on trouve le mariage le 10 janvier 1678 d’un Philippe SAILLY, originaire de Brunembert, avec Catherine PREDHOMME, de Lottinghem. 

    S’il s’agit bien du père de Pierre SAILLY-LEFEBVRE, il aurait épousé en premières noces Catherine PREUDHOMME.

    On peut alors estimer raisonnablement que le mariant était alors âgé de vingt-cinq à trente ans. Il serait donc né, disons vers 1655. L’un des témoins est son frère Pierre SAILLY, aussi de Brunembert.

    Ce Philippe SAILLY, originaire de Brunembert, est probablement celui qui assistait le 13 juillet 1677 à Brunembert au mariage de Marie SAILLY, aussi dudit lieu, avec Pierre HONVAULT, veuf avec enfants. Le couple ira vivre à Nielles les Ardres, paroisse de l’époux.

    Veuf sans enfant connu, Philippe SAILLY se remarierait en 1684, à Brunembert cette fois, avec Jeanne LEFEBVRE, fille d’un homme à forte personnalité ou aux compétences professionnelles reconnues.

    Il a environ 33 ans. Elle est plus jeune que son époux puisqu’à son décès le 25 novembre 1701, elle est âgée d’une quarantaine d’années environ. Elle serait donc née vers 1660, à 5 ans près.

    Veuf, frisant la cinquantaine avec quatre enfants, peut-être cinq, dont apparemment un en bas âge, il hésite à se remarier au risque d’agrandir sa nichée.

    Comme il vit dans son village d’origine et qu’il est apparemment gendre d’un homme qui a été relativement aisé, il peut se faire aider pour élever sa progéniture sans être obligé de leur infliger une marâtre. 

    Le tableau familial ne respire cependant pas l’aisance.

    Le fils aîné, Jean, âgé de 15 ans seulement, aurait pu quitter la maison pour gagner sa vie et rapporter un peu d’argent mais Philippe SAILLY a certainement préféré le garder auprès de lui pour l’aider à faire vivre la famille. En tant qu’aîné, il sera principal héritier mais cet avantage est contrebalancé par le devoir d’aider ses cadets.

    Jean comprend vite que son petit frère Pierre lui sera un boulet…

    Les deux sœurs tiennent la maison, s’occupent du jardin et de la basse-cour… et sont responsables de leur petit frère s’il a survécu. L’aînée, Marie, est chargée du plus gros du travail tandis que Marie Jeanne surveille son petit frère comme une poupée, joue avec lui…

    Le soutien d’une tante n’est évidemment pas exclu…

    Dans ces conditions, on ne perd ni temps ni argent pour envoyer les enfants à l’école…

    Le temps passe, les galants ne se pressant pas pour épouser des filles désargentées et probablement chargées d’un gamin de surcroît, les deux sœurs resteront célibataires…

    Pierre grandit, parvient à l’adolescence. Son père tient à le garder près de lui pour lui apprendre le métier et surtout pas le laisser se faire exploiter par des laboureurs.

    En 1723, Philippe SAILLY approche les soixante-dix ans. Il s’est usé au travail mais il a mené ses enfants à l’âge adulte sans parvenir cependant, malgré tous ses efforts, à leur assurer une situation correcte pour démarrer dans la vie. Surtout, ses forces déclinant, il a toujours besoin d’eux, de la force de travail de son ou ses fils et de la capacité de ses filles à tenir sa maison. Aussi, en bon pater familias, il rechigne à céder sa place, sa maison, ses terres, à laisser ses enfants quitter le foyer familial pour vivre leur vie.

    Jean, son aîné a maintenant trente-six ans, il attend avec impatience de pouvoir travailler enfin pour lui-même, se marier, fonder une famille qui le soutiendra dans ses vieux jours et… sa récompense pour avoir été sacrifié.

    Il faut signaler que dans le Calaisis-Boulonnais, c’est le droit d’ainesse qui prévaut, à charge pour l’héritier principal de prendre en charge ses cadets…

    Le 1er février 1723 à Selles, Jean peut enfin épouser Catherine DELATTRE.

    Philippe SAILLY « assiste » au mariage…

    Pierre SAILLY-MAITRECHARLES aussi… à n’en pas douter.

    La date du décès de Philippe SAILLY n’est pas connue mais il est en fin de vie… 

     

    La jeunesse de Pierre SAILLY-MAÎTRECHARLES

     

    À y bien réfléchir, ce mariage est la clé qui lève les derniers doutes.

    Si Philippe SAILLY fait patienter aussi longtemps son aîné, ce n’est certainement pas par pur égoïsme mais parce qu’il estimait ne pas pouvoir lui abandonner ses biens, se reposer enfin tant que Pierre, son dernier enfant, n’a pas atteint l’âge adulte, vingt-deux ans en l’occurrence. Il pressent que l’entente entre les deux frères n’est pas des plus cordiales et que s’il passe la main trop tôt, l’aîné écartera son cadet pour lequel il estime avoir suffisamment payé de sa personne.

    Le mariage de Jean au plus tôt, le décès de Philippe au plus tard sonne la dispersion de la famille. Selon la coutume, Jean a recueilli l’héritage paternel en tant que fils aîné et n’entend plus partager.

    Les deux sœurs ont aussi été sacrifiées. À la mort de leur mère, Marie, qui approchait ses douze ans a été la « petite maman » de ses cadets, se chargeant de tenir tant bien que mal la maison tandis que Marie Jeanne, six ans, l’a aidée de son mieux et a été la compagne attentive de Pierre, âgé d’à peine dix mois. Un lien particulier unira Pierre et Marie Jeanne puisqu’il la choisira en premier pour être marraine de ses enfants. Marie, bien qu’aînée, attendra un peu son tour.

    La complicité des deux plus jeunes portera ombrage à Jean qui ne leur proposera pas d’être parrain ou marraine. Seule Marie, à qui il reconnaît le même statut de « victime » des circonstances et de l’autorité paternelle, tiendra un de ses enfants sur les fonts baptismaux.

    Il est significatif que Marie restera à Selles dans l’ombre de son frère alors que Marie Jeanne s’éloignera davantage pour aller vivre à Colembert [2].

    Pierre SAILLY-LEFEBVRE a appris à bonne école le métier auprès de son père et de son frère. Polyvalent à n’en point douter ! Il part gagner sa vie. C’est peut-être lui qui vit à Rinxent en 1726 mais c’est assurément lui qui se trouve au Wast en 1730 à la veille de son mariage.

    À l’approche de la trentaine, paysan accompli quoique illettré, Pierre se fait apprécier d’une tribu instruite et organisée qui a une benjamine à marier mais sans parvenir à trouver de parti qui lui convienne. Il y retrouve un milieu analogue à celui de son enfance dans lequel il ne tarde pas à s’insérer.

    Bien qu’il reste des zones d’ombre (que des découvertes ultérieures pourraient dissiper) sur son enfance, son adolescence et le début de sa vie d’homme, il semble d’ores et déjà certain que Pierre SAILLY, fils de Philippe et de « Marie MAÎTRECHARLES » serait en réalité fils de Philippe SAILLY et de Jeanne LEFEBVRE.

    ◊ ◊ ◊

    Une bonne connaissance de la vie et des mentalités autrefois, acquise en ce qui me concerne par plus de trente-cinq ans d’expérience à travers diverses séries des Archives, est indispensable. Les fonds notariés et judiciaires notamment offrent un véritable portrait en creux de la société et permettent de fournir une interprétation cohérente d’un ensemble d’actes. Souvent, une documentation complémentaire est d’ailleurs nécessaire. La généalogie, c’est aussi cela. 

    Enfin, il faut parfois corriger une erreur, détecter un sobriquet ou une dénomination usuelle qui aura plongé tous les descendants dans des abîmes de perplexité.

    C’est, me semble-t-il, cette fois encore le cas de l’énigmatique Marie MAÎTRECHARLES.

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    [1]

    Cf. Baudechon > Pierre Baudechon > Pierre MOUCHON x Marie Madeleine CLERBOU dit BONINGUE.

    Cf. Marguerite HOVE > HURTREL > HOVE

    Cf. : « Le tuteur malgré lui » (Pierre Joseph, fils de Jean Baptiste, en réalité Étienne François DESCARPENTRIES et de Marie Joseph HERBAUT) in Douaisis-Généalogie, bulletin du CEGD.  

    Cf. : « Quand l’acte de mariage n’est pas filiatif… » (celui de Pierre POTTEZ, fils de Guillaume et de Catherine LE ROUX dite La Rochelle avec Marie Anne BEAURAIN) in un bulletin du GGRN.

    Cf. : « DELATTRE-FORÊT-DELATTRE (Marie Anne DELATTRE, sa mère, et autres familles) Faire parler les actes paroissiaux et d’état-civil » in Accord parfait, bulletin de ARPÈGE.

    Cf. Marie Jeanne BIGOURD

    [2]

    Il faut noter que le parrain de Pierre SAILLY-LEFEBVRE est Pierre NOËL et que ce patronyme se retrouve à Colembert. D’ailleurs, Marie Catherine MOBREUX, qui épousera Jacques SAILLY-MAÎTRECHARLES en 1767 avec une dispense pour le troisième degré de consanguinité, était servante chez son bel oncle Jean NOËL dit DECOMBOIS, aubergiste audit Colembert.

     

    Encore un grand merci à Vincent LÉCUYER !

    http://www.gennpdc.net/lesforums/index.php?showtopic=103240&hl


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