• Autour du mariage

     

    « Le plus beau jour de la vie »

    De l'utilité des règles protocolaires

    Épouser à coup sûr un maître batelier de la navigation de Condé...

    Le fiancé, sa promise et ses ex

    Stratégies matrimoniales - Le mariage, une bonne affaire

  • Le plus beau jour de la vie ? La décision la plus importante, assurément ! Mais prise par qui ? Avec quels critères ? 

    Les épousailles d'autrefois ne ressemblaient guère à notre moderne mariage romantique. Nos ancêtres n'étaient pas de grands sentimentaux. Ils perdaient rarement de vue leurs intérêts matériels et si on peut rencontrer d'authentiques mariages d'amour, la plupart résultaient de traités entre deux familles ou de la résignation à se marier avec le seul parti qui convienne au village.

    Laissons plutôt la parole à H. ASHTON dans « Madame de LA FAYETTE »

    Le mariage

    Le mariage

    "L'amour viendra avec le mariage" affirmait-on en guise de consolation aux mariés désappointés.

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    https://books.google.fr/books?id=LNVkAwAAQBAJ&pg=PA48&lpg=PA48&dq=mariage+m%C3%AAlez-vous+de+ce+qui+vous+regarde+mon+fils&source=bl&ots=HpIfNukV4p&sig=4buKksbYzOJrY5q-dcSOQYTg40M&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjphMn8rPHYAhWE-aQKHWZiBAMQ6AEINzAG#v=onepage&q=mariage%20m%C3%AAlez-vous%20de%20ce%20qui%20vous%20regarde%20mon%20fils&f=false


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  • Quand l’acte de mariage n’est pas filiatif et qu’un contrat de mariage ne semble pas avoir été passé ou a disparu ou est avare de renseignements, il reste à étudier l’entourage du couple, à commencer par trier et situer les proches de l’un et ceux de l’autre.

    Les fondamentaux

    En principe, le mariage a lieu dans la paroisse de la fiancée qui n'est pas forcément celle où elle est née. Ce peut être celle où elle a vécu après la mort de ses parents, celle où elle vivait avec un précédent époux ou celle où elle travaillait généralement comme servante...

    Nos aïeux étaient très attachés à l’ordre protocolaire qui plaçait chacun suivant son rang dans la famille. Cet ordre subsiste encore de nos jours quand la famille, soigneusement alignée, reçoit soit les condoléances soit les félicitations et vœux de bonheur aux mariés.

    Il faut se souvenir aussi qu’ils pratiquaient la ségrégation sexuelle. À l’église, les hommes étaient d’un côté, les femmes de l’autre, le cortège nuptial, à la composition soignée, rangeait tous les hommes du même côté, leurs cavalières à leurs bras.

    Les hommes ont la préséance (priorité) sur les femmes.

    Les hommes se placent par ordre de naissance (droit d’aînesse), les femmes également.

    En conséquence, les frères par ordre de naissance ont la priorité sur leurs beaux-frères et sœurs.

    Toute règle comportant des exceptions, des situations particulières peuvent bousculer ce bel ordonnancement : un fils aîné estropié (handicapé mental) à la naissance ne peut remplir le rôle de chef de famille, l'aïeul grabataire non plus et encore moins le grand frère en délicatesse avec la justice après une rixe qui a mal tourné sont "excusés".

    La combinaison de ces facteurs détermine l’ordre dans lequel sont nommées les personnes qui « assistent et accompagnent » les futurs époux qui passent leur traité ou contrat de mariage. Il est très instructif d’étudier soigneusement ceux qui mentionnent un grand nombre de personnes.

    Il faut remarquer que le contrat de mariage est un acte à caractère fortement privé, engageant deux familles qui discutent de leurs intérêts matériels et de la transmission de leurs biens en présence de ceux qui ont à connaître les décisions prises ; héritiers si le couple meurt prématurément sans héritier ou « tuteur à la personne et curateur aux biens » s’il laissera des enfants mineurs.

    La bénédiction nuptiale est, outre un sacrement religieux, une manifestation publique, suivie – avec impatience – d’une fête qui réunit l’environnement familial et social des deux familles et plus particulièrement celle de la mariée, organisatrice de la noce. Les amis du couple et tous ceux qui ont joué un rôle dans la formation du jeune couple sont invités. On prémédite aussi de futurs mariages…

    L’ordonnancement se retrouve en principe dans la disposition des signatures et marques au bas du contrat de mariage et de l’acte de mariage à l’issue de la bénédiction nuptiale.

    Il se manifeste publiquement dans la composition du cortège nuptial, tel qu’il se présente à la sortie de l’église, symbole officiel de l’union réalisée entre les deux familles. Le jeune couple est suivi du père du marié accompagné de la mère de la mariée puis du père de la mariée avec la mère du marié, &c…

    Il explique aussi pour une bonne part le futur choix des parrains et marraines successifs.

     

    Le travail consistera donc à examiner méthodiquement ces actes.

     

    1. Repérer parmi les témoins au contrat de mariage et au mariage celui qui semble être

                   le père

                   ou un grand-père,

                   un oncle,

                   un frère aîné

                   ou un cousin en tant que principal témoin « servant de père » au mariant.

    En cas d’absence de témoin porteur du patrimoine du marié, songer aux « rattachés » :

                   second mari de la mère (souvent présente dans ce cas),

                   bel oncle du côté paternel,

                   ou oncle maternel,

                   beaux frères.

    Effectuer le même travail pour la mariante.

    1er indice : le mari et ses témoins signent plutôt à gauche, la mariée et les siens à droite

    2ème indice : l’assistance signe dans l’ordre protocolaire 

                   le marié, en dessous son père ou celui qui en tient lieu,

                   les oncles, les frères par ordre de naissance

                   puis les cousins et le grand-père le cas échéant (place moins bien définie).

    Les amis, communs ou non du couple, signent en dernier, vers le milieu.

     

    2. On passe ensuite au premier baptême

    Traditionnellement, les différents parrains et marraines sont sélectionnés en se basant sur le modèle du cortège nuptial tel qu’il se présentait à la sortie de l’église.

    Le père du père est parrain, sa commère est la mère de la mère.

    Second baptême : le parrain est le père de la mère, la marraine est la mère du père.

    Etc

    Voir s’il se dégage une concordance d’indices suffisamment nombreux.

    En pratique, les écarts à la règle ne sont pas rares. Il faut tenir compte des des places vacantes en raison des décès et de l’éloignement géographique ou des déplacements des frères et sœurs aînés déjà mariés. Des notables ou relations professionnelles peuvent s’intercaler. Les remariages, surtout ceux des femmes, brouillent la lisibilité de l’ordonnancement. Le cas le plus difficile est celui de l’orphelin enfant unique qui vit dans l’une de ses familles parentales et n’a plus beaucoup de contacts avec l’autre ou qui opte délibérément pour sa belle-famille.

     

    3. Sans oublier les décès

    Petit détail qui a son importance pour les généalogistes, notre moderne déclaration de décès diffère sensiblement de l’ancien acte de sépulture.

    La première, précédée du constat de décès avec permis d’inhumer, a lieu avant la cérémonie religieuse... ou civile. Cette démarche peut être effectuée par des tiers : amis ou voisins soucieux de soulager la proche famille des corvées et tracasseries. Ce peut aussi être un employé d’un hôpital ou d’une maison de retraite, plus rarement d'un établissement pénitencier, un appariteur voire un garde champêtre ou le cabaretier qui se chargeront en outre d’informer le secteur moyennant une gratification. Le problème est que cette pratique engendre fréquemment des erreurs plus ou moins graves. La famille peut rester totalement à l’écart jusqu’aux obsèques qu’elle organise elle-même et n’apparaître au grand complet que si une cérémonie religieuse a eu lieu. En cas de mort violente ou seulement suspecte, le permis d’inhumer peut tarder… Sauf en cas de « brouille à mort », il convient de céder à la pression d’un proche et de venir rendre les derniers hommages au défunt.

    En cas de blocage au XIXe siècle, l’acte religieux est donc intéressant à consulter si toutefois, il est accessible… À noter que le lieu d’inhumation peut ne pas être celui du décès et que le rapatriement du corps peut être tardif, le défunt occupant une tombe provisoire en attendant qu’un caveau de famille soit réalisé.

    Sous l’Ancien Régime, la famille est constamment présente. Le curé, dont personne ne songerait à contester l’autorité, a coutume de procéder à l’inhumation le lendemain, parfois le jour même à la demande du bailli en cas de corruption du corps, rarement le surlendemain, ce qui laisse peu de temps à la famille de se réunir. En principe, c’est le fils aîné, accompagné de son cadet, qui mène le deuil mais là encore, les configurations familiales sont variées, les exceptions nombreuses et c’est souvent le fils ou le gendre qui hébergeait le défunt qui signe l’acte de sépulture rédigé seulement à l’issue de l’inhumation.

     

    Rappelons enfin que lorsqu’on parcourt les actes les plus anciens d’une paroisse, il est judicieux de relever systématiquement les décès des vieillards. Il s’en trouve généralement un ou plusieurs qui, après examen, s’avéreront être un(e) aïeul(e) ou un(e) collatéral(e).

     

    033. Protocole

    Les trois âges de la vie et la mort. Baldung, Hans (v. 1484-1545)

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    > 034. Passer par les collatéraux


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  • Maître batelier, un titre convoité 

    Pour découvrir ou mieux connaître les bateliers de la navigation de Condé et celle de Mons qui lui a été rattachée, il est indispensable d’explorer la série C des Archives départementales du Nord.

    Sous l’Ancien Régime, les bateliers de Condé étaient au service du roi. À ce titre, ils relevaient donc de l’Intendant de Police, Justice et Finances du Hainaut basé à Valenciennes (précurseur de nos modernes préfets). Un subdélégué à Condé servait d’intermédiaire et relayait toutes les affaires.
    Par ailleurs, l’influence du duc de CROY (précurseur de nos plus influents élus régionaux) était manifeste surtout quand ses intérêts étaient en jeu. Le corps des bateliers faisait donc l’objet d’une attention toute particulière en raison aussi de leur importance pour le commerce local et régional.
     
    La boîte C 19937 contient les requêtes des bateliers postulant à la maîtrise entre 1754 et 1757. Outre les responsabilités mais aussi une certaine influence sur les intérêts de la profession, ce statut était matériellement nettement plus avantageux que la simple appartenance au corps des bateliers. Ce n’était pas facile : les demandes étaient bien supérieures aux places vacantes. Il fallait constituer un dossier et le résumer dans une supplique (équivalent de nos lettres de motivation). La première condition était d’être de « bonne vie et mœurs », formule qui sous entendait aussi une certaine docilité envers l’ordre établi. Il fallait évidemment posséder les compétences professionnelles acquises de père – ou mère ou tuteurs – en fils. Appartenir aux plus anciennes familles de bateliers était d’ailleurs un plus fréquemment avancé. On ne perdra pas de vue que les bateliers de Condé étaient d'habiles bateliers de rivière à peine canalisée et pas seulement de paisible « canal à grenouilles » !
    Il était impératif de posséder un bateau et d’en être propriétaire au moins pour un quart. Enfin, l’aspirant maître devait, en conformité à une ordonnance de 1718, être marié et être de préférence en charge de famille probablement pour avoir plus de cœur à l’ouvrage… Cette dernière clause incitait malheureusement les jeunes gens à se marier prématurément sans toujours avoir les moyens d’entretenir leur ménage ce qui les plongeait souvent dans la misère.
    Ces conditions remplies, il fallait encore se faire recommander par un personnage éminent ou plus modestement par son curé.
    La partie n’était pas gagnée pour autant : il fallait d’abord compter avec la concurrence. On remarque ainsi que plusieurs membres d’une même famille postulent à succéder à celui – ou plus rarement celle – qui laisse une place vacante.
    L’intendant, tenant compte des desiderata du duc, éliminait la plupart des suppliants. Motifs parfois explicités… Un tirage au sort départageait les finalistes. 
     
    Pour les heureux lauréats de ce qu'il faut bien appeler un concours, rester à ne pas se faire radier, notamment en remplaçant son bateau avant qu'il soit frappé de vétusté. Or un bateau neuf (et même d'occasion) coûtait nettement plus cher qu'une maison, sa construction durait environ neuf mois, il durait une vingtaine d'années et il était obligatoire de l'équiper et de l'entretenir correctement à grands frais. 
     
    Une veuve sachant manoeuvrer...
     
    Marie Françoise PICART, fille de Charles Joseph en son vivant maître batelier de la navigation de Condé et de Marie Magdeleine THIEFFRY, est veuve avec enfants de Jean Baptiste LETHER (ou LE TERRE) qui était aussi maître batelier de cette même navigation. Elle a hérité du titre de son défunt époux.
    Sous promesse de mariage, elle a accordé ses faveurs à Pierre Joseph TRUFFIN, simple batelier. Un enfant présentement âgé de deux ans environ est né. Scandale… Elle souhaite lui assurer un statut convenable en épousant le père à qui elle est tout à fait prête de céder son titre de maîtresse batelière… Faut garder son rang ! 
    Accordé à condition que le mariage se fasse pour mettre fin au "désordre" !

     


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  • Une fois encore, les archives judiciaires nous offrent un précieux témoignage sur les mœurs, mentalités et usages relatifs au mariage, moment clé de la vie privée mais plus encore sociale et économique.  

    L'intérêt de ce dossier, au demeurant des plus ordinaires s’il ne se déroulait pas devant deux juridictions, est de mettre en scène à la fois une amourette de prime jeunesse, une fille en mal d'époux qui s'est fait berner et une du bois de celles qu'on épouse. Le tout tandis que Louis XIV vieillissant et sous l'influence de l'austère Madame de Maintenon, oublieux de ses propres écarts - ou ne s'en souvenant que trop bien -, décidait de lutter contre les mésalliances qui déplaisaient tant aux familles.  

     

    L’affaire commence à l’automne 1697.

    Jean Jacques DELACROIX*, mayeur de Quarte et Pont (actuellement Pont-sur-Sambre), est tout heureux de préparer le mariage de son fils Joseph avec Marie DIESME, fille du directeur des postes d’Avesnes. Octobre est le mois idéal pour les réjouissances familiales : les récoltes sont à l'abri, les durs travaux des champs laissent un peu de répit et... il était temps de procurer une épouse à ce fougueux garçon pour le stabiliser...

     

    063. Le fiancé, sa promise et ses ex

    Semailles de septembre

    Traité d’agronomie du Bolonais Pietro de’Crescenzi, 1459 (Ms 340, musée Condé, Chantilly)

     

    La nouvelle se répand dans le village, parvenant aux oreilles d’Anne Marie FINET, une jeune fille qui attendait fermement son heure… Elle intente aussitôt une opposition à ce mariage.  

    À Avesnes, la même rumeur commence à circuler. Marguerite TOURTEAU, réalisant qu’elle s’est fait abuser, entame la même démarche le 21 septembre. Elle se prétend enceinte, exposant que « ce malheur n’est arrivé à la suppliante que sur les promesses de mariage que ce jeune homme luy a faites Et qu’au lieu de les effectuer, on apprend qu’il est en termes d’en epouser une autre. ».

    Le premier ban est néanmoins publié le 22 septembre comme prévu tandis que les familles DELACROIX et DIESME se mobilisent d’autant que Marie DIESME serait aussi enceinte ! 

    Joseph DELACROIX réplique le 25 septembre par une requête devant l’officialité de Cambrai** pour obtenir la levée de ces oppositions au motif que son mariage « a estez Contracté entre les parens Communs des deux familles » et au nom de son propre intérêt.  

    François FABRY, oncle maternel de Joseph et surtout avocat, se joint à son neveu. Il fait mine d'ignorer les griefs des plaignantes mais ne manque pas de réclamer leur condamnation aux dépens, assortis de dommages et intérêts. 

    C’est dans ce contexte que les juges de l’officialité doivent examiner les faits. Ils commenceront par joindre les deux causes en une procédure unique mais totalisant 39 pièces et relativement longue puisque l’inventaire des pièces du procès n’aura lieu qu'en janvier 1698.

     

    François Joseph, prénommé communément Joseph, a été baptisé le 29 janvier 1674 à Quarte et Pont. Il est encore mineur**. Jacques et Jenne LIESNARD, ses parents, ont veillé à son éducation et à sa formation pour en faire un jeune homme accompli. Son père l’envoie en toute confiance régler ses affaires à sa place. C’est pourquoi Joseph demeure présentement à Avesnes chez le sieur Claude CRESTEAU.  

    Sa voisine n’est autre que Marguerite TOURTEAU qui avait largement dépassé la trentaine sans parvenir à trouver un mari. Elle a accepté - sous de vagues promesses de mariage - de lui ouvrir imprudemment sa porte. Il se montrait si pressant…   

    L’année précédente, Joseph semble avoir été sincèrement amoureux de Marie Anne FINET, aussi du village de Quarte et Pont allant jusqu'à causer un scandale. Mais souvent cœur varie, Joseph se lasse et papillonne…  

    C'est alors que les parents de Joseph et le maître de poste ont entrepris de marier leurs enfants, passant même le contrat de mariage. Alliance avantageuse. Joseph s'est laissé convaincre facilement. 

     

    Autant le dossier de l’une apparaît fragile, autant celui de l’autre s'avère solide.

    Marguerite est assignée à comparaître le 1er octobre. Elle est âgée de 35 ans environ, elle se prétend enceinte de deux à trois mois, ce qu’atteste Marguerite NONNET, sage-femme « sermentee » d’Avesnes qu'en bonne fille de médecin, elle n'a pas manqué de consulter le 28 septembre. Elle réclame donc l’exécution des promesses de mariage ou les frais de défloration, de couche et entretien de l’enfant à naître dans 6 à 7 mois.

    Pour faire pression, elle s’est aussi adressée au comte de BROGLIA, gouverneur et bailli d’honneur des ville et bailliage royal d’Avesnes qui a fait emprisonner le jeune homme où il se trouve le 16 septembre 1697.

    Mais Marguerite ignorait que le tribunal ne prenait les grossesses en considération qu’à cinq et six mois passés.

    Malheureusement mal conseillée, elle hésite entre des relations charnelles consenties sous belles promesses ou forcées… la première fois ! Elle ajoute qu’elle s’était toujours bien gouvernée jusque là. Elle finit par demander « une dotte conforme a sa condicion ».

    Chicaneries ordinaires, Joseph la traite d’affabulatrice et insinue qu’elle aurait en vue un mariage avec un autre… et il s’étonne qu’à trente-six ans (sic), elle s’acharne à vouloir l’épouser, lui qui n’est âgé que de vingt-et-un ans (sic).  

     

    Pierre DIESMES et le sieur François FABRY, oncle paternel de Marie, avocat au bailliage royal d'Avesnes et chargé des affaires de son Altesse le Duc d’Orléans de surcroît, tous deux bourgeois, veulent en finir au plus vite avec cet obstacle à leurs desseins. Le 23 novembre, ils se portent caution devant le bailliage d’Avesnes pour ledit DELACROIX au cas où il serait condamné pour défloration, frais de couche et entretien de l’enfant à naître.  

    En outre, François FABRY, au nom de sa nièce, demande l’accomplissement des promesses de mariage faisant valoir que « la chose est fort avancee, ÿ aÿant contract de mariage**** fait du consentement des plus proches parens des parties, que ledit suppliant convient que ladite diesme est enceinte… » et que la caution versée par ledit suppliant « servira pour tous les interests pretendus ».

    Il faut probablement compter aussi sur l’appui de François DIESME, aussi oncle de Marie, notaire royal du bailliage d’Avesnes, ancien mayeur d’Avesnes et subdélégué à Avesnes de l’intendant du Hainaut. 

    Marguerite essaie de convaincre qu’elle est d’aussi bonne famille que Joseph. Las, ses prétentions tournent court. Elle est renvoyée devant le bailliage d’Avesnes pour y demander des dommages et intérêts le moment venu…  

     

    Marie Anne FINET semble d’origine plus modeste mais elle dispose de solides arguments.  

    Elle demande la préférence en faisant prévaloir son antériorité et elle avance des preuves. À défaut, elle se contenterait d’une dot… 

    Elle fournit quatre missives affectueuses de Joseph. Une seule est signée… La dernière, du 26 septembre 1696, adressée à « Mariane finet chez françois proùveùr a Cùrgie » se termine par « c’est celuÿ qui voùs at debaùchez qùi voùs mande Vostre tres fidel et intime serviteùr ». 

     

    Le fiancé, sa promise et ses ex (en cours)

    AD59 Cumulus RDC 194-30 

    Elle exhibe aussi un certificat circonstancié de Jacques DORLEANT, curé de leur paroisse, à qui les tourtereaux avaient, le premier août 1696, fait part de leurs intentions de mariage. Mais, craignant à juste titre l’opposition des parents de Joseph, ils avaient effectué cette démarche à l’insu de leurs familles… Le prêtre leur a expliqué que l'accord de leurs parents est obligatoire.

    Enfin, leurs amours ont fait scandale : le lendemain de leur visite au curé, Joseph DELACROIX s’est rendu coupable d’« enlèvement », plus exactement, ils ont fugué ensemble, espérant sans doute forcer le consentement du mayeur et de sa femme.

    Jean FINET et Jean COLMANT, respectivement frère et futur beau-frère (il épousera Antoinette FINET) de Marie Anne, attestent que le 02 août 1696, ils avaient été requis par Marie TELLE, mère de ladite FINET de la rechercher. Ils l’ont trouvée le soir dans une tourelle à sécher du houblon en compagnie de Joseph.

    Ladite TELLE a commencé à gronder et à maltraiter sa fille, Joseph lui « a repondu quelle [Marie Anne] n’ÿ retourneroit point [à la maison], et qu elle n’estoit plus a elle qu’il le tenoit pour sa femme, et s estoit a luÿ » précisant « qu’il l’avoit enlevé honneste fille, et qu’il la vouloit faire honneste fem(m)e », répétant « qu’il l’avoit enlevé […] en brave fille, qu’il en feroit Une brave fem(m)e ». Ces promesses de mariage faites clairement en présence aussi de Marie Anne MERCHIER, femme dudit Jean FINET.

    En août et septembre, l’amoureuse Marie Anne avait cédé à plusieurs reprises aux désirs de Joseph mais aucune grossesse ne s'était ensuivie. Puis il l'avait délaissée, draguant ailleurs.

    Meurtrie et manifestement jalouse, elle s’efforçait d’épier les faits et gestes de son séducteur, affirmant avoir mis en garde deux autres filles qu’il aurait abusées et laissant planer la menace d’autres plaintes éventuelles…

    Forte de ses droits et preuves, Marie Anne, qui garde quelque espoir de se faire épouser, persévère dans ses poursuites.

    Pour les familles DELACROIX et DIESMES qui ont surtout hâte de faire publier les deux autres bans, les prétentions de Marie Anne sont plus ennuyeuses. Elles vont méthodiquement démonter ses arguments et preuves et renouveler leur offre de caution.

    Le 9 novembre 1697, les père et mère de Joseph font connaître par écrit leur opposition absolue au mariage de leur fils avec Marie Anne FINET et leur volonté de lui faire épouser Marie DIESME.

    Le même jour, le sieur FABRY fait valoir que « le mariage que led de la Croix pretend faire avec lad dalle diesme, est le plus Jùste Et le plus advantageux qu’il puisse faire dans lestat p(rése)nt des Choses

    Il est le plus Jùste, parce que laditte diesme ne sest laissee aller aùx desirs dud de la croix, que sur une promesse positive qu il lüy at donné de L Espouser, Et Come Elle se troùve Enceinte de ses oeuvres Cette promesse doit Saccomplir Elle est Icy Jointe

    Il est le plus advantageux aud delacroix parc parce que cette fille est de L Une des premiere famille d Avesnes Le sieur pierre diesme son pere estant directeur des postes Et bon marchand bourgeois de La ville d Avesnes, le sieur francois diesme son oncle En aÿant estez doùze ans maieur, Et estant presente(ment) subdelégué de Monsieur L Intendant Woisin, Et ceste fille aÿant plus une dotte plùs forte que Celles que lesd finet Et tourteau Jointes Ensemble » 

    Le même jour encore, Joseph fait valoir les tout récents édits et déclaration du roi renforçant les intérêts des familles contre les mésalliances de leurs enfants :

    « Extrait du registre du bailliage d’avesnes portant L’Enregistrement des Edits et declarations du roy

    Edits du roy du mois de mars 1697 et declaration du 15 juin ensuivant concernant la celebration du mariage

    […] les roys nos predecesseurs ont authorisez par plusieurs ordonnances L’execution d’un reglement si sage, et qui pouvoit contribuer aussÿ utilement a empescher ces conionctions malheureuses qui troublent le repos et fletrissent L’honneur de plusieurs familles souvent encore plus honteuses par la corruption des mœurs que par l’inegalité de la naissance, mais comme nous voyons avec beaucoup de desplaisir que la justice de ces loix et le respect qui est Deu aux deux puissances qui les ont faites, n’ont pas estez assez capables d’arrester la violence des passions, qui engagent dans les mariages de cette nature, qu’un interest sordide fait trouver trop aisement des tesmoins Et même des prestres qui prostituent leurs ministeres aussy bien que leur foy pour profaner de concert ce qu’il y at de plus sacré dans la religion et la societé civile : nous avons estime necessaire d’establir plus expressement que L’ont n’avoit fait jusqu’à cette heure

    […] Declarons que le domicille des fils et filles de familles mineurs de vingt cincq ans, pour la celebration de leur mariage est celuy de leur peres, meres ou de leurs tuteurs et curateurs apres La mort de leurs peres et meres, et en cas qu’ils ayent un autre domicile de fait, ordonons que le bancs seront publiez dans les paroisses ou Ils demeurent et dans celles de leurs peres, meres, tuteurs et curateurs

    Adjoutant a L’ordonnance de lan 1550 et a l’article deux de celle de L’an 1659 permettons aux peres et aux meres d’exhederer leurs filles veuves mesme majeurs de vingtcincq ans lesquels se marieront sans avoir requis par escrit leur advis et conseils

    Declarons lesdittes veuves et les fils et filles majeurs meme de vingt cincq et de trente ans, lesquels demeurans actuellement avec leurs peres et meres contractent a leurs insceu des mariages, comme habitant d’une autre paroisse sous pretexte de quelque logement qu’ils y ont pris peu de temps auparavant leur mariage privez et descheus par leur seul fait ensemble les enfans qui en naistront, des successions de Leurdis peres, meres et ayeuls et ayeulles et des tous autres avantages qui pouront leur estre acquis en quelque manière, que ce puisse estre mesme du droict de legitime

    […] Signez bardet

    Collationné au Registre du Baillage d’avesnes Et trouvé concorder de mot a autre par moÿ commis au greffe dudt Baillage sousigné ce 9e. 9bre. 1697 Beviere ».

     

    Et Joseph dans tout cela ?

    Le premier juin 1697, il avait rédigé un court billet, signé celui-là : « Je promet et ie Jure sur ma part de paradis que i. Espouseray demoiselle Marie diesme que ie n’en prendraÿ point d’autre ».

    Le premier octobre, l’officialité, à titre conservatoire, l’avait fait mettre au secret et au pain sec et à l’eau trois jours par semaine dans un cloitre, chez les Jésuites ou chez les Capucins de Maubeuge, avant le jugement définitif. Mais le 13 décembre, la mesure n’étant toujours pas exécutée, Marie Anne FINET qui semble désormais sensible à l’octroi d’une dot, doit relancer les juges.

    Un Jésuite de Maubeuge atteste qu’il a reçu le 18 un jeune homme nommé Joseph DE LA CROIX assigné à une retraite de huit jours pour des « exercices spirituelles […] avec toute l’exactitude possible, ne sortant pas un moment de la chambre qui luÿ a etté designee, excepté poùr aller entendre l.. messes, et pour autres necessitez indispensables. – Je certifie de plus quil ÿ a jeuné tres exactement au pain et a leau trois jours ; en un mot quil ÿ a donné des marques, dun veritable repentir. ». Joseph peut en ressortir promptement le 27 décembre avec un certificat attestant qu’il s’est livré à une confession générale.

     

    063. Le fiancé, sa promise et ses ex

    http://www.monumentum.fr/ancienne-chapelle-college-des-jesuites-actuellement-salle-sthrau-pa00107747.html

     

    Chicaneries de peu d’importance puisque pour les juges, n’étant pas enceinte, la plaignante ne pourrait pas empêcher le mariage avec ladite DIESME « Jettant dans l’opprobre » sa famille. Et pourtant… qui a promis le mariage et défloré doit s’exécuter car « il est tres constant de droict que ce n’est point l’enfantement, nÿ la grossesse qui engendre cette obligation indispensable » mais la parole donnée.

    Restent les dommages et intérêts…

    La justice d’Ancien Régime est à rapprocher de celle qui a encore cours aux USA (comme on a pu s’en apercevoir lors d’un retentissant procès opposant une femme de chambre à un homme politique français). Les parties préfèrent souvent trouver un mauvais accord entériné par le juge plutôt que poursuivre un procès ruineux. Le procureur de Marie Anne FINET procédera donc le 14 janvier 1698 à l’inventaire des pièces du procès en vue du calcul des frais… et passage à la caisse ! 

     

    Épilogue

    Le mariage de Joseph LACROIX et de Marie DIESMES aura lieu le 06 février 1698 à Chimay où ils s’installeront. Joseph deviendra un respectable marchand et Marie liquidera ses biens à Avesnes en faveur de sa famille.

    Il n’a pas été trouvé trace d’un accouchement de Marguerite TOURTEAU en 1698. En 1702, elle semble habiter à Avesnes chez son frère Claude, marchand cirier. Elle est décédée à l’âge de 79 ans à Avesnes le 13 décembre 1741, toujours célibataire. Elle a été inhumée en l’église d’Avesnes.  

    Le curé de Quarte et Pont enregistrera pour mémoire le mariage de François LE VENT et de Marie Anne FINET le 13 mai 1701 et trois jours plus tard, il baptisera leur fille Marie Antoinette mais l'acte sera intercalé entre ceux des 17 et 20 mai. Des négligences qui en disent long...

     

    Sociologie

    Jean Jacques LACROIX semble n'avoir été qu'un paysan aisé, probablement gros censier et mayeur, autrement dit "coq" de son village mais il avait de l'ambition pour son fils.  

    063. Le fiancé, sa promise et ses ex

    Marie Anne FINET semble n'avoir eu comme atouts que sa jeunesse et sa joliesse, sa famille ne se distinguant en rien de la paysannerie bien que Marie TELLE, Jean, Marie Antoinette et Marie Anne FINET elle-même sachent parfaitement signer, au moins aussi bien sinon mieux que Joseph DELECROIX.  

    063. Le fiancé, sa promise et ses ex

    Marguerite TOURTEAU, outre un père médecin, comptait un marchand et un religieux dans sa famille qui était certes respectable mais de peu d'influence et sans pouvoir particulier.

    063. Le fiancé, sa promise et ses ex

    Par contre, la famille DIESME détenait un réel pouvoir étayé par de solides connaissances juridiques, par la confiance de hauts personnages et probablement par un réel entregent. Avec l'aide probable de son frère curé d'Escarmain, Marie CRONIER, qui se disait pauvre, avait su donner à ses enfants les moyens de réaliser une remarquable ascension sociale jusqu'à truster les fonctions les plus en vue à Avesnes.

     

    Remerciements

    Toute ma gratitude à Georges CLOEZ pour ses travaux et recherches sur Avesnes (Actes de l’échevinage, tomes 4, 5 et 6) et à Georgette VENET pour ses recherches sur Chimay. 

    _____________________________________________________________________________

    * DELACROIX ou LACROIX ou DELECROIX ou DELCROIX. 

    ** Tribunal de l’archevêché de Cambrai pour les affaires religieuses mais aussi civiles dont les affaires de famille.

    *** La question de la majorité est complexe. Sous l'Ancien Régime, elle était de 25 voire 30 ans. Mais elle pouvait différer selon le sexe, l'époque et le lieu (la frontière entre la France et l'actuelle Belgique a été fluctuante). Il faut aussi distinguer diverses majorités : civile ou légale, matrimoniale, sexuelle, politique, ethnique, religieuse, pénale sans oublier son abaissement par l'émancipation.

    **** Le contrat (ou traité) de mariage était valable quarante jours à condition que l’église ait consenti au mariage. 


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  • L’affaire – qui compte pas moins de 51 pièces – se passe à Caudry en 1787. Nicolas RÉMY est bien marri : il était enfin parvenu à épouser Alexandrine LACOURT ou DELACOURT, fille d’Henri, qu’il convoitait depuis vingt ans (L’histoire ne dit pas s’il l’avait repérée au berceau ou si elle était d’un âge plutôt avancé…). Tout s’était apparemment passé au mieux : un contrat de mariage avait été passé devant notaire, le père d’Alexandrine avait promis une dot qu’il avait effectivement versée à son gendre « sitôt le mariage consommé » selon l’usage… C’est alors que la situation s’est gâtée…

    Alexandrine est repartie vivre chez son père sans autorisation aucune des autorités religieuses ce qui aurait « causé un grand scandale » mais plus encore fait beaucoup jaser. Aux dernières nouvelles, invoquant des violences, elle aurait intenté une demande de séparation de corps et d’habitation* devant les juges de l’officialité de Cambrai** !

    Nicolas, qui semble être un brave homme, en est abasourdi et tout mortifié. Il cherche à comprendre.  Apercevant sa femme glaner dans un champ, il en profite pour aller à sa rencontre… L’entretien tourne court : Alexandrine se retrouve au sol les quatre fers en l’air, la coiffe de travers, se relève en vociférant et part en se tapant sur les fesses et en criant : « Viens-y si… » sans que quelques témoins qui travaillaient leur terre puissent décrire ce qui s’est exactement passé.

     

    Nicolas décide alors de rencontrer son beau-père en vue d’obtenir quelque explication. Pour ce faire, il revêt son bel habit et va frapper à l’huis mais bon-papa est absent et c’est Robert, frère d’Alexandrine qui ouvre… Sans ménagements, Nicolas se retrouve projeté sur le talus et comme par malchance il a plu fortement, le pauvre repart chez lui couvert de boue… Les villageois sont consternés : « Un si bon habit tout gâché ! ».

    Les distractions étant rares au village, ces épisodes excitent la curiosité… On rappelle que la sœur aînée d’Alexandrine n’a pas eu de dot pour son mariage quelques années auparavant, suggérant que son époux serait en droit de réclamer…

    La justice, avec plus de célérité que de nos jours, se met en branle. Les témoignages, dont celui du vicaire de Caudry, sont contradictoires, chacun semblant réagir selon ses liens de parenté ou plus simplement ses affinités voire des relents de vieux conflits. Pour la plupart, il en ressort que ceux qui croient savoir préfèrent observer une évidente réserve tandis que les autres colporteraient des ragots. Quoi qu’il en soit, l’affaire reste nébuleuse.

    Certes, Nicolas avait bien constaté que sa femme fouillait trop à son goût leur maison et il avait jugé plus prudent de mettre la dot en lieu sûr… Est-ce pour cette raison qu’Alexandrine s’était montrée querelleuse, insultante, injurieuse ? Lui, estimant avoir fait preuve de bonne volonté et de saine gestion, se plaint de ne pas être payé en retour, trouvant son épouse « Insensible a Son amitié et a Ses Complaisances », et il se sent atteint dans sa réputation.

    Les relations entre les époux se dégradent si rapidement qu’Alexandrine réclame la restitution de son port de mariage et de son coffre… Elle a probablement remporté son coffre avec tout son contenu mais sans sa dot !  

    Peu à peu, les juges parviennent à faire émerger des éléments nouveaux. Henri DELACOURT n’est pas aussi aisé qu’il y paraissait : il ne s’est pas enrichi récemment, il est même endetté et plus encore aux abois car il doit rembourser une obligation***… égale au montant de la dot de sa fille ! Le tour de passe-passe était ingénieux mais fort simple : il empruntait discrètement puis faisait savoir qu’il verserait une dot, la versait effectivement, s’arrangeait pour que cela se sache et demandait à sa docile fille de la récupérer pour qu’il puisse rembourser. Le père DELACOURT et sa fille ont donc sciemment berné Nicolas RÉMY ! Ils n’avaient pas prévu le petit grain de sable…

     

    058. Stratégies matrimoniales -

     

    Il ne leur restait qu’une seule solution : faire patienter le prêteur par tous les moyens (et on peut faire confiance au rusé matois) et envenimer la situation entre les nouveaux époux pour obtenir au plus vite une séparation de corps (et éviter autant que faire se peut une grossesse) et de biens pour obtenir la restitution de la dot afin de rembourser l’obligation et éviter une déshonorante vente judiciaire !

    Mais pourquoi avoir pris tant de risques ? Sauf à juger leur victime plus naïve qu’elle ne l’était, il était évident que cette arnaque était vouée à l’échec. C’est que le mariage d’Alexandrine était la phase préparatoire à celui de Robert. En effet, le but était de faire illusion sur la situation financière de la famille, de faire passer le fils pour un beau parti afin qu’il puisse contracter une union avantageuse avec une héritière ou une bourgeoise. Père, filles et fils, toute la famille aveuglée par sa cupidité était donc complice pour arnaquer de nouveau sans envisager que plus ils viseraient haut dans l’échelle sociale, plus ils se heurteraient à des gens avisés qui ne se laisseraient pas facilement abuser par une dot fictive et surtout pas impunément. 

    Les juges ont maintenant une vision parfaitement nette de l’affaire. Il leur reste à délibérer sur la demande de « séparation de corps et d’habitation ». Ce sont des juges religieux qui n’oublient jamais de rappeler aux fiancés et aux époux désunis que « Tu quitteras ton père et ta mère et tu ne feras qu’une seule chair… », que les liens du mariage sont sacrés puisque « nul ne peut désunir ceux que Dieu a unis ». Ils sont cependant conscients qu’il est présentement impossible de faire cohabiter Nicolas et Alexandrine pour qu’ils puissent œuvrer ensemble « à leur salut » tant qu’elle sera sous l’influence de son père, responsable de tout. Ils vont donc entreprendre de « laver le cerveau » d’Alexandrine : la séparation est certes accordée pour trois ans mais la demanderesse devra séjourner un an**** dans un couvent aux frais de son époux,… détenteur de la dot ! Quant au père, qu’il se débrouille pour se sortir du pétrin dans lequel il s’est mis lui-même. Seule gagnante, l’Église !

     

    AD59 Cumulus RDC 235/29

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    * Autrefois appelée « divorce », la séparation de corps et de biens mettait définitivement fin à la vie commune ou pour une période limitée mais renouvelable sans pour autant permettre un remariage. Il laissait ainsi la possibilité de se réconcilier. Après la Révolution et surtout avec l’avènement de notre moderne divorce, il a subsisté jusqu’au milieu du XXe siècle pour « rester dans l’Église » et maintenir les apparences puisqu’après quelques années, il pouvait, à la demande d’un des époux, être converti en un vrai divorce autorisant alors une nouvelle union dans la discrétion... Subtile nuance entre « demander le divorce » et « être divorcé(e) » à laquelle tenaient beaucoup les pieuses personnes.

    ** Cf. l’article 056. Une très instructive querelle de succession

    *** Prêt à court terme, voire à très court terme. On y avait recours pour « dépanner » dans l’attente d’une proche rentrée d’argent telle la vente des excédents de récolte.

    Les prêts à long et très long terme se faisaient sous forme de rente garantie pour le crédirentier sur des biens immobiliers. L’emprunteur payait chaque année une somme convenue correspondant à nos modernes intérêts. De durée généralement illimitée, la rente était ou non remboursable. Sa meilleure utilisation était d’acheter des terres ou des maisons pour constituer ou accroitre son patrimoine. À ne pas confondre avec un bail de terres !

    **** Il est probable que le montant de la dot n’excèdait pas une année de pension dans une congrégation religieuse…

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    Illustration :

    Jan STEEN (1626, Leyde, 23 février 1679, Leyde)"Le Choix entre le Vieux et le jeune ou La Demande en mariage" (1661-1663), peinture flamande, Musée national de Varsovie. 

    Ce tableau peut tout aussi bien représenter un père et son fils usant de leur autorité sur leur fille et soeur.

     


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