• "Fils et héritier"

     

    Il en est de cette mention comme de tant d'autres : à peine lue, négligée, oubliée. Dommage de se priver d'une information au risque de se fourvoyer dans des contresens menant à une impasse évitable ou... à une branche d'un autre arbre.  

     

    Loin d'être une redondance, tout dans cette expression réside dans le "et" qui explicite une double appartenance, celle de "fils" et celle d'"héritier". Nous, modestes généalogistes du XXIe siècle, qui vivons pourtant une époque d'évolutions dans tous les domaines, voire de remises en cause inimaginables il y a encore peu, avons tendance à raisonner comme si le passé même lointain était semblable à notre présent. Ainsi, nous savons que des parents ne peuvent déshériter totalement leur(s) enfant(s), tout juste réduire la part et par conséquent tous leurs enfants sont automatiquement héritiers et les testaments ne peuvent modifier la répartition ou l'affectation du patrimoine que dans la limite autorisée par la loi.  

     

    Il était loin d'en être ainsi avant la Révolution et le code Napoléon * ou Code civil du 21 mars 1804 (30 ventôse an XII) qui s’inspire partiellement de la coutume de Paris et du droit écrit du Sud de la France. Pour les Nordistes, il est clair que ce sacré bouleversement a fait table rase de leurs us et coutumes pour leur substituer un mixage de ceux de la capitale et ceux de la Corse natale de Napoléon.  

     

    Quant aux us et coutumes ancestraux, s’ils variaient peu dans la durée, en revanche, ils pouvaient changer d’une province à l’autre et même d’un village à l’autre. On constate d'ailleurs que rares sont les couples issus de coutumes trop différentes telles celles d'Artois et de Flandre par exemple ou alors les règles sont clairement précisées. C’est pourquoi, dès que l’on aborde le tabellion, il faudrait rechercher la coutume du lieu. Si on est doté de la curiosité minimale que tout bon généalogiste se doit de posséder, si donc on pousse par exemple la lecture des contrats de mariage au-delà de la première demi-page, on constate vite des différences entre ceux du Calaisis et ceux du Valenciennois, entre la Flandre maritime et les riches pâturages de l’Avesnois. Si on pousse la curiosité jusqu’à rechercher les litiges sur les successions, ces différences apparaissent de manière encore plus flagrante. Droit d’aînesse bien tempéré ici, partage égalitaire entre « tant les enfans masles que femelles » ailleurs. Avantage pour le dernier enfant ** là mais pas reconnu quelques villages plus loin...  

     

    Il ne saurait donc être question ici de dresser un tableau comparatif des règles successorales dans tout le Nord de la France et le Sud de l'actuelle Belgique. Il suffira de savoir que les familles avaient une importante marge de liberté pour répartir et affecter leurs biens à leur progéniture.  

     

    Il faut d’abord considérer que les successions ne sont qu’une partie d’un tout qui est celui de la propriété, vu davantage du côté du clan familial que de l’individu.  

     

    Il faut remarquer que si, de nos jours, la majeure partie de la population est constituée de salariés, autrefois, il s’agissait de possédants le plus souvent modestes et d’ayants droit. Quel manouvrier ne possédait pas un jardinet attenant à sa maison ou n’en jouissait-il pas ? Précisons à ce sujet que les anciens baux ruraux étaient nettement plus favorables à l’occupant qu’actuellement et qu’ils se transmettaient aux héritiers. On considérait à juste titre que celui qui avait travaillé, ensemencé la terre avait droit à la récolte et il était important de ne pas la laisser retourner à l'état sauvage. Les contrats de mariage actent d’ailleurs fréquemment que l’un des contractants bénéficiera, en entier ou partiellement, du bail concédé à son père. Plus compliqué à partager que le solde d'un compte en banque et le produit de la vente d'une maison trop éloignée du lieu de travail.  

     

    Le cadre étant esquissé, revenons au titre qui nous occupe. Mentionnons pour mémoire les charges héréditaires et statuts, tel celui de bourgeois, dont pouvaient se prévaloir certains héritiers et qui n’étaient pas sans incidence sur les successions pour passer en revue quelques cas courants. N’oublions pas non plus que la succession ne se calculait pas à partir de l’inventaire des biens du défunt au jour de son décès mais au terme d’une situation économico-familiale ayant évolué sur une longue période avec tous les aléas que cela comporte.  

     

    Le pater familias n’avait peut-être pas « tout pouvoir » mais indiscutablement une grande latitude sur la dévolution de ses biens. Son devoir était de maintenir (mains tenir), de préserver et si possible d’augmenter le patrimoine qu’il avait reçu de ses parents (et de ses beaux-parents) et de le transmettre à ses enfants *** dont il calculait volontiers les mariages ou plus simplement les autorisait ou non…  

     

    Consentement annexé à un contrat de mariage :  

     « … Jean boulenger vivant de son bien Demeurant audit Boninghe ; lequel a Reconnu et declaré que pour Le meilleur proffit Et avantage De margueritte Boulenger sa fille dem(euran)te avecq ledit comparant audit Lieu de Boninghe ; elle se Lie par mariage avecq telle personne qu’elle Jugera a propos Et toute fois Et quant elle Jugera convenable pour L’augmentation de son Bien ; pour quoy il Declare Donner son consentement au dit mariage ; ne voulant En aucune maniere que ce soit Y mettre Empeschement, soit qu’elle se marie au village de pihen au gouvernement De calais, ou ailleurs suivant ses Inclinations Et volontés … »  

     

    Il ne faut pas s’y tromper, les contractants réels d’un traité de mariage ne sont pas les fiancés primo mariants, qui ne possédaient généralement rien, mais leurs pères et mères qui se délestent au moins en apparence d’une partie de leurs biens pour « établir » leur enfant. Les veufs et veuves disposent de davantage de liberté si toutefois ils n’ont plus de père ou mère encore en vie et ne dépendent pas de tuteurs en présence d’enfant(s) mineur(s). Ceci étant, le mot « traité » n’est pas trop fort parce que le contrat résulte d’une négociation, parfois âpre, entre les familles.  

     

    Celui qui a trouvé un bon parti pour sa fille aînée risque fort de devoir s’aligner pour verser une dot considérable qu’il ne pourra peut-être plus verser pour les cadettes surtout si ses forces déclinent ou si ses affaires en viennent à péricliter. Inversement, un aîné chichement pourvu lors de son mariage, sera désavantagé si, son père ayant ensuite réussi ou si la mort fauche quelques cohéritiers, les plus jeunes accéderont à un statut social et financier supérieur au sien. Un fils aîné qui a aidé son père devenu veuf à élever la petite famille, sans leur infliger une nouvelle fratrie avec laquelle partager, et qui a retardé son propre mariage, mérite récompense de ses efforts et sacrifices.  

     

    Passons sur les mésententes, les ingrats et ceux qui mènent une vie dissolue, dilapident au point de mettre en péril le patrimoine familial. Ces derniers risquaient une demande de lettre de cachet et un emprisonnement pour les protéger d’eux-mêmes.  

     

    "Fils" mais pas "héritiers" : passons aussi sur les enfants illégitimes qui n’ont aucun droit sur la succession de leur père, même s’ils en portent le nom, sauf s’ils ont été légitimés par le mariage de leurs auteurs ou par une procédure volontaire **** du père. Un procès condamnant ledit père à nourrir et entretenir son enfant ne suffit pas à conférer la légitimité à cet enfant. Ainsi les bâtards de l’aristocratie ne figurent sur les arbres généalogiques que s’ils ont été légitimés.  

     

    Soucieux généralement d’équité, le père prenait donc des dispositions testamentaires selon le nombre de ses enfants, leurs âges, les écarts d’âge, leur sexe, leur statut de « déjà marié » ou « encore à marier », leur handicap éventuel, les services rendus,... Suivant son propre âge et son état de santé, il se dégarnissait ou il continuait à tenir la haute main sur ses biens : "Moi, vivant,... !". Il tenait d’abord compte des donations déjà consenties « en avancement d’hoirie » ***** et répartissait ses biens en priorité entre ceux envers qui il était encore redevable, le reste faisait souvent l’objet d’équivalences complexes : une somme à reverser à un autre héritier pour rétablir l’équilibre, un jardinet contre une rente, un solde de dot contre l’anneau d’or d’une aïeule… En l’absence de testament, c’est le notaire qui était chargé de contenter tout le monde avec parfois le renfort de membres de la famille et d’amis réputés de bon conseil. Il résulte parfois de ces savants arrangements qu’un héritier ne doive plus prétendre à rien et qu’il ne figure plus dans le partage final… au risque pour le généalogiste perplexe de se demander pourquoi cet individu, appartenant selon toute vraisemblance à une fratrie, n’y paraisse pas rattaché.  

     

    Un cas très particulier est celui de la « non représentation ». Les contrats de mariage et les testaments indiquent fréquemment si la représentation est accordée ou si la non représentation est préférée. Ceci signifie que les grands-parents (avérés ou futurs) décident par avance si, en cas de mort de leur enfant marié avec enfant(s), ce(s) dernier(s) aura/auront ou non droit à la part de leur défunt parent.  

     

    Ces quelques « pièges » dans l’interprétation des actes notariés ne prétendent pas à l’exhaustivité. Puissent-ils inciter à replacer les écrits dans leur contexte pour en tirer le meilleur parti et surtout mieux comprendre nos aïeux et comment ils résolvaient leurs problèmes familiaux.  

     

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    * L'appellation « code napoléonien » désigne, outre le code Napoléon, le Code de procédure civile de 1806, le Code de commerce de 1807, le Code d'instruction criminelle de 1808 et le Code pénal de 1810. Source Wikipédia.  

     

    ** « droit de maineté » en faveur du « bâton de vieillesse » que les parents pouvaient supprimer par « cassation de maineté ».  

     

    *** Pour vendre un bien indivis ou en présence de mineurs, il fallait obtenir une autorisation du mayeur et des échevins qui jugeaient de la nécessité de vendre et du remploi des deniers : subsister en cas de grande misère, donner une formation professionnelle à un enfant ou le faire accéder à un statut religieux, partager des biens de trop petite taille ou trop dispersés, régler des dettes (« lettres de cession misérable » ô combien parlantes).

     

    **** Demande de lettres patentes.

     

    https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/cms/content/display.action?uuid=956207da-95b2-4d21-a1e9-843864766c9d&version=4&preview=false&typeSearch=&searchString=

     

    ***** hoirie : héritage. À déduire donc de la succession du donateur.

     

     


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