• Autour de la mort

    "Fils et héritier"

    Date de décès – âge indiqué = date de naissance…?

    Le business de la mort sous l’Ancien Régime

    Le triste sort des orphelins pauvres

    Localiser un décès au XIXe siècle

    Une branche bâtarde officialisée... pas forcément légitimée

    Une très instructive querelle de succession

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    Il en est de cette mention comme de tant d'autres : à peine lue, négligée, oubliée. Dommage de se priver d'une information au risque de se fourvoyer dans des contresens menant à une impasse évitable ou... à une branche d'un autre arbre.  

     

    Loin d'être une redondance, tout dans cette expression réside dans le "et" qui explicite une double appartenance, celle de "fils" et celle d'"héritier". Nous, modestes généalogistes du XXIe siècle, qui vivons pourtant une époque d'évolutions dans tous les domaines, voire de remises en cause inimaginables il y a encore peu, avons tendance à raisonner comme si le passé même lointain était semblable à notre présent. Ainsi, nous savons que des parents ne peuvent déshériter totalement leur(s) enfant(s), tout juste réduire la part et par conséquent tous leurs enfants sont automatiquement héritiers et les testaments ne peuvent modifier la répartition ou l'affectation du patrimoine que dans la limite autorisée par la loi.  

     

    Il était loin d'en être ainsi avant la Révolution et le code Napoléon * ou Code civil du 21 mars 1804 (30 ventôse an XII) qui s’inspire partiellement de la coutume de Paris et du droit écrit du Sud de la France. Pour les Nordistes, il est clair que ce sacré bouleversement a fait table rase de leurs us et coutumes pour leur substituer un mixage de ceux de la capitale et ceux de la Corse natale de Napoléon.  

     

    Quant aux us et coutumes ancestraux, s’ils variaient peu dans la durée, en revanche, ils pouvaient changer d’une province à l’autre et même d’un village à l’autre. On constate d'ailleurs que rares sont les couples issus de coutumes trop différentes telles celles d'Artois et de Flandre par exemple ou alors les règles sont clairement précisées. C’est pourquoi, dès que l’on aborde le tabellion, il faudrait rechercher la coutume du lieu. Si on est doté de la curiosité minimale que tout bon généalogiste se doit de posséder, si donc on pousse par exemple la lecture des contrats de mariage au-delà de la première demi-page, on constate vite des différences entre ceux du Calaisis et ceux du Valenciennois, entre la Flandre maritime et les riches pâturages de l’Avesnois. Si on pousse la curiosité jusqu’à rechercher les litiges sur les successions, ces différences apparaissent de manière encore plus flagrante. Droit d’aînesse bien tempéré ici, partage égalitaire entre « tant les enfans masles que femelles » ailleurs. Avantage pour le dernier enfant ** là mais pas reconnu quelques villages plus loin...  

     

    Il ne saurait donc être question ici de dresser un tableau comparatif des règles successorales dans tout le Nord de la France et le Sud de l'actuelle Belgique. Il suffira de savoir que les familles avaient une importante marge de liberté pour répartir et affecter leurs biens à leur progéniture.  

     

    Il faut d’abord considérer que les successions ne sont qu’une partie d’un tout qui est celui de la propriété, vu davantage du côté du clan familial que de l’individu.  

     

    Il faut remarquer que si, de nos jours, la majeure partie de la population est constituée de salariés, autrefois, il s’agissait de possédants le plus souvent modestes et d’ayants droit. Quel manouvrier ne possédait pas un jardinet attenant à sa maison ou n’en jouissait-il pas ? Précisons à ce sujet que les anciens baux ruraux étaient nettement plus favorables à l’occupant qu’actuellement et qu’ils se transmettaient aux héritiers. On considérait à juste titre que celui qui avait travaillé, ensemencé la terre avait droit à la récolte et il était important de ne pas la laisser retourner à l'état sauvage. Les contrats de mariage actent d’ailleurs fréquemment que l’un des contractants bénéficiera, en entier ou partiellement, du bail concédé à son père. Plus compliqué à partager que le solde d'un compte en banque et le produit de la vente d'une maison trop éloignée du lieu de travail.  

     

    Le cadre étant esquissé, revenons au titre qui nous occupe. Mentionnons pour mémoire les charges héréditaires et statuts, tel celui de bourgeois, dont pouvaient se prévaloir certains héritiers et qui n’étaient pas sans incidence sur les successions pour passer en revue quelques cas courants. N’oublions pas non plus que la succession ne se calculait pas à partir de l’inventaire des biens du défunt au jour de son décès mais au terme d’une situation économico-familiale ayant évolué sur une longue période avec tous les aléas que cela comporte.  

     

    Le pater familias n’avait peut-être pas « tout pouvoir » mais indiscutablement une grande latitude sur la dévolution de ses biens. Son devoir était de maintenir (mains tenir), de préserver et si possible d’augmenter le patrimoine qu’il avait reçu de ses parents (et de ses beaux-parents) et de le transmettre à ses enfants *** dont il calculait volontiers les mariages ou plus simplement les autorisait ou non…  

     

    Consentement annexé à un contrat de mariage :  

     « … Jean boulenger vivant de son bien Demeurant audit Boninghe ; lequel a Reconnu et declaré que pour Le meilleur proffit Et avantage De margueritte Boulenger sa fille dem(euran)te avecq ledit comparant audit Lieu de Boninghe ; elle se Lie par mariage avecq telle personne qu’elle Jugera a propos Et toute fois Et quant elle Jugera convenable pour L’augmentation de son Bien ; pour quoy il Declare Donner son consentement au dit mariage ; ne voulant En aucune maniere que ce soit Y mettre Empeschement, soit qu’elle se marie au village de pihen au gouvernement De calais, ou ailleurs suivant ses Inclinations Et volontés … »  

     

    Il ne faut pas s’y tromper, les contractants réels d’un traité de mariage ne sont pas les fiancés primo mariants, qui ne possédaient généralement rien, mais leurs pères et mères qui se délestent au moins en apparence d’une partie de leurs biens pour « établir » leur enfant. Les veufs et veuves disposent de davantage de liberté si toutefois ils n’ont plus de père ou mère encore en vie et ne dépendent pas de tuteurs en présence d’enfant(s) mineur(s). Ceci étant, le mot « traité » n’est pas trop fort parce que le contrat résulte d’une négociation, parfois âpre, entre les familles.  

     

    Celui qui a trouvé un bon parti pour sa fille aînée risque fort de devoir s’aligner pour verser une dot considérable qu’il ne pourra peut-être plus verser pour les cadettes surtout si ses forces déclinent ou si ses affaires en viennent à péricliter. Inversement, un aîné chichement pourvu lors de son mariage, sera désavantagé si, son père ayant ensuite réussi ou si la mort fauche quelques cohéritiers, les plus jeunes accéderont à un statut social et financier supérieur au sien. Un fils aîné qui a aidé son père devenu veuf à élever la petite famille, sans leur infliger une nouvelle fratrie avec laquelle partager, et qui a retardé son propre mariage, mérite récompense de ses efforts et sacrifices.  

     

    Passons sur les mésententes, les ingrats et ceux qui mènent une vie dissolue, dilapident au point de mettre en péril le patrimoine familial. Ces derniers risquaient une demande de lettre de cachet et un emprisonnement pour les protéger d’eux-mêmes.  

     

    "Fils" mais pas "héritiers" : passons aussi sur les enfants illégitimes qui n’ont aucun droit sur la succession de leur père, même s’ils en portent le nom, sauf s’ils ont été légitimés par le mariage de leurs auteurs ou par une procédure volontaire **** du père. Un procès condamnant ledit père à nourrir et entretenir son enfant ne suffit pas à conférer la légitimité à cet enfant. Ainsi les bâtards de l’aristocratie ne figurent sur les arbres généalogiques que s’ils ont été légitimés.  

     

    Soucieux généralement d’équité, le père prenait donc des dispositions testamentaires selon le nombre de ses enfants, leurs âges, les écarts d’âge, leur sexe, leur statut de « déjà marié » ou « encore à marier », leur handicap éventuel, les services rendus,... Suivant son propre âge et son état de santé, il se dégarnissait ou il continuait à tenir la haute main sur ses biens : "Moi, vivant,... !". Il tenait d’abord compte des donations déjà consenties « en avancement d’hoirie » ***** et répartissait ses biens en priorité entre ceux envers qui il était encore redevable, le reste faisait souvent l’objet d’équivalences complexes : une somme à reverser à un autre héritier pour rétablir l’équilibre, un jardinet contre une rente, un solde de dot contre l’anneau d’or d’une aïeule… En l’absence de testament, c’est le notaire qui était chargé de contenter tout le monde avec parfois le renfort de membres de la famille et d’amis réputés de bon conseil. Il résulte parfois de ces savants arrangements qu’un héritier ne doive plus prétendre à rien et qu’il ne figure plus dans le partage final… au risque pour le généalogiste perplexe de se demander pourquoi cet individu, appartenant selon toute vraisemblance à une fratrie, n’y paraisse pas rattaché.  

     

    Un cas très particulier est celui de la « non représentation ». Les contrats de mariage et les testaments indiquent fréquemment si la représentation est accordée ou si la non représentation est préférée. Ceci signifie que les grands-parents (avérés ou futurs) décident par avance si, en cas de mort de leur enfant marié avec enfant(s), ce(s) dernier(s) aura/auront ou non droit à la part de leur défunt parent.  

     

    Ces quelques « pièges » dans l’interprétation des actes notariés ne prétendent pas à l’exhaustivité. Puissent-ils inciter à replacer les écrits dans leur contexte pour en tirer le meilleur parti et surtout mieux comprendre nos aïeux et comment ils résolvaient leurs problèmes familiaux.  

     

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    * L'appellation « code napoléonien » désigne, outre le code Napoléon, le Code de procédure civile de 1806, le Code de commerce de 1807, le Code d'instruction criminelle de 1808 et le Code pénal de 1810. Source Wikipédia.  

     

    ** « droit de maineté » en faveur du « bâton de vieillesse » que les parents pouvaient supprimer par « cassation de maineté ».  

     

    *** Pour vendre un bien indivis ou en présence de mineurs, il fallait obtenir une autorisation du mayeur et des échevins qui jugeaient de la nécessité de vendre et du remploi des deniers : subsister en cas de grande misère, donner une formation professionnelle à un enfant ou le faire accéder à un statut religieux, partager des biens de trop petite taille ou trop dispersés, régler des dettes (« lettres de cession misérable » ô combien parlantes).

     

    **** Demande de lettres patentes.

     

    https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/cms/content/display.action?uuid=956207da-95b2-4d21-a1e9-843864766c9d&version=4&preview=false&typeSearch=&searchString=

     

    ***** hoirie : héritage. À déduire donc de la succession du donateur.

     

     


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  • Redoutable erreur commune !

    Disons-le tout net, c’est – et de loin – le plus fréquent et le plus efficace moyen de se fourvoyer !

    Une date de naissance vaguement compatible ne suffit pas à donner l’ascendance d’un individu.

    Plus on remonte dans le temps, plus l’âge au décès est le plus souvent purement indicatif. Qu’il soit précis ou non n’avait plus aucune importance pour le curé et pour la famille du défunt. L’âge apparent suffit et le défunt pouvait aussi bien « faire vieux » que « faire jeune » pour son âge.

    De nombreux curés arrondissaient systématiquement l’âge, se contentant de la demi-décennie voire de la décennie. Le cas le plus extrême que nous ayons rencontré est celui d’un prétendu centenaire qui en avait tout au plus la moitié mais il était mendiant et l’apitoyement était son gagne-pain.

    À l’inverse, mourir vieux était un gage de santé et de robustesse, qualités prisées sur le marché du mariage, aussi des familles n’hésitaient pas à « vanter » son vieillard « qui était encore si bien pour son âge » !

    Même qualifié(e)s de « belles plantes », les individus, n’en sont pas : ils ne meurent pas forcément là où ils sont nés !

    Au cas où une famille, de même patronyme, vivait effectivement dans le village au temps de la naissance recherchée, elle n’est pas automatiquement celle des parents. Combien de filles servantes chez un oncle aubergiste ? de collatéraux qui reprennent un bien, rachètent une maison familiale, exploitent des terres tombées en héritage ? de personnes recueillies chez un parent au soir de leur vie ? dans un autre village...

    En bonne logique, un même patronyme se rencontre généralement dans plusieurs villages voisins. La tentation est grande alors de « tourner en rond », plus exactement, de dessiner une spirale, village après village, à partir du lieu de vie, de décès de l’individu dont on recherche l’ascendance dans l’espoir de trouver une date de naissance vaguement compatible avec l’acte de décès. Gageons que les gauchers qui ne tourneront pas dans le même sens que les droitiers trouveront probablement un autre nouveau-né issu d’autres parents !

    Pas convaincus ? Si on tape dans Google ses propres nom et prénoms, on se sent nettement moins seul… Et ce n’est pas nouveau…

    C’est trivial à dire mais il ne faut jamais oublier qu’on recherche un individu unique parmi des homonymes plus ou moins nombreux parce que les prénoms étaient peu variés, que les patronymes qui se sont fixés vers le XIIe siècle ont largement eu le temps de fournir de multiples branches surtout ceux qui n’avaient en commun qu’une caractéristique, une profession ou une particularité liée à l’habitation ou à une vague origine : LEGRAND, CHARPENTIER, DELAPLACE, RIVIÈRE,… sans aucun lien familial.

     

    030. Date de décès – âge indiqué = date de naissance… au même lieu… ?

    NOTA

    Avant la Révolution, autant l’âge au décès était approximatif, autant devant la justice, l’âge des suspects, accusés et témoins était fiable : "aagé de .. ans ou environ" est ici une formulation prudente qui fait allusion à la date plus ou moins proche du dernier anniversaire.

     


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  • Il arrive qu’un acte de sépulture reste introuvable alors que les lieux et date du décès sont parfaitement connus, à défaut correctement cernés, les registres pour la période considérée disponibles et pourtant le ratissage systématique allant jusqu’aux paroisses environnantes reste infructueux. Le curé était-il distrait ou négligent ? Le personnage était-il parti en goguette définitivement ou avait-il été victime d’un sort funeste ? Était-il suspect de protestantisme ou avait-il été excommunié ou s’était-il suicidé ? ou... ?

    Quelques actes inédits trouvés simultanément par hasard et d’autres assez frappants se sont organisés tout naturellement pour faire apparaître les contours des moments les plus cruels de la vie de nos aïeux sans que nous puissions prétendre avoir fait le tour de la question. Il faut cependant considérer que tout ce qui avait trait à la mort était source d’un fructueux commerce. On sait que les testaments notariés commencent toujours par des formules philosophico-religieuses, se poursuivent par le choix de la dernière demeure puis par des dons pieux ou charitables avant d’en venir à la dévolution des biens du testateur. Pour leur part, les curés ne se contentaient pas de confesser, réconforter et oindre les mourants. Ils pouvaient recueillir les dernières volontés et plus volontiers les messes payantes, dons et legs au bénéfice de l’Église ou en leur nom propre avec plus ou moins de succès comme en témoignent les exemples suivants.

    En 1768, Marie Barbe DESAIN, célibataire aussi aisée que pieuse, sans héritiers directs n’avait vraisemblablement que des peccadilles à se reprocher pourtant elle redoutait le Jugement Dernier. Pour gagner plus sûrement la félicité éternelle, elle a légué le produit de la vente de ses deux maisons, meubles et effets non seulement à Marie Anne LEFEBVRE, sa « fille de confiance », mais aussi aux Pères récollets de Cambrai et à sa paroisse. Pour être certaine que ses dernières volontés soient respectées, elle a obtenu l’accord de CLAUWEZ, prêtre bénéficiaire de la métropole de Cambrai, et d’Alexandre DOUTART, avocat en parlement et échevin dudit Cambrai, pour être ses exécuteurs testamentaires, les priant d’effectuer également des legs pieux, de faire dire quantité de messes « pour le salut de son âme » et de verser « le surplus s’il s’en trouve » aux pauvres de sa paroisse. Elle n’avait pas imaginé que, sitôt sa succession réglée, de prétendus héritiers se manifesteraient. Le premier a eu la chance qu’une ancienne créance entre son grand père et celui de la défunte soit retenue : il a obtenu une part prise sur ... celle des pauvres ! Les suivants : un carillonneur et la propre sœur de l’avocat DOUTART ne sont pas parvenus à convaincre les juges (AD59 Cumulus RDC 194/5).

    Les excellentes relations d’Antoine CARPENTIER, curé de Hamage, lui ont permis de se faire coucher le 30 juillet 1677 sur le testament de Jacquelaine de WANBRECHIE demeurant à Valenciennes. Après autorisation du 13 août, il héritera d’une coupe de terre à charge d’un obit à perpétuité. Mieux, le 02 septembre de la même année, il bénéficiera d’une donation de deux rasières et d’un demi-bonnier de terres de la part de Philippe DE WALLERS, son paroissien « pour la bonne affection et obligation quil at et port vers [sa] personne ». En échange, il devra « celebrer et chanter un obÿ Annuellement la vie naturelle et durant dudit Carpentier avecq messe … ». Curieux marché par lequel le généreux donateur a intérêt à prier pour la longévité de celui qu’il favorise ! (Tabellion de Douai 2E13/1467 nos 131 et 14 AD59).

     Soulignons au passage que les religieux payaient volontiers en ... prières à l’instar des pauvres Clarisses de Cambrai en 1777. Leur mulet étant mort, elles avaient absolument besoin d’une nouvelle bête de somme. Justement, Nicolas BASTIDE, maître chaudronnier de ladite ville en possédait un. Il projetait de ne le vendre que prêt à l’emploi, suffisamment développé pour porter des charges et donc à bon prix tandis que les religieuses préféraient acquérir un animal trop jeune mais nettement moins cher. Suite à leurs pressantes sollicitations, il finit à regret par le céder après d’âpres marchandages : elles ne verseraient que la moitié du prix, le reste consistant en prières pour le vendeur et sa famille. L’affaire aurait dû en rester là mais quelques mois plus tard, le baudet n’étant pas devenu la bête forte et robuste qu’elles espéraient, elles attaquèrent en justice leur vendeur dépité qui « n’attendoit d’elles que des prières en reconnoissance : prieres qu’elles avoient promises et sous la foi desquelles il a bien voulu sacrifier le gain qu’il pouvait faire » (Cumulus RDC 44/40 AD59).

    La réciproque n’était évidemment pas possible : les laïcs devaient régler leurs redevances et impositions envers l’Église en nature ou en espèces sonnantes et trébuchantes exclusivement. Le clergé, pas toujours compréhensif face aux difficultés rencontrées par ses débiteurs, disposait de moyens redoutables pour se faire payer. Ainsi Paul DENISE, marchand de laines et peaux, bourgeois de Cambrai, et Marie MORY, sa femme qui ont été victimes de pertes dues aux guerres, ne peuvent satisfaire leurs créanciers dont le chanoine PAULUS, qui ont recours à la justice. L’enquête montre qu’ils ne dilapident point leurs ressources dans les cabarets et ils ont pu recueillir des témoignages en leur faveur. Malgré ces éléments positifs, l’ecclésiastique ne leur consent aucun délai et les fait excommunier. Conséquence fâcheuse : ils sont soupçonnés d’hérésie ! Les infortunés sont obligés d’impétrer des « lettres de cession de biens » (1) que l’official leur accordera le 02 mai 1679 (2), assorties de la levée de l’excommunication. « La bourse ou la vie ! » en somme (AD59 Cumulus RDC 110/4). 

     La mésaventure d’un paroissien d’Hergnies jette une lumière crue sur le comportement du clergé envers ses ouailles. En 1751, Jean François DUPRIEZ, homme manifestement instruit à en juger par sa signature, est tout disposé à satisfaire à « son devoir paschal » (6) mais il se heurtera successivement à son vicaire puis à son curé qui refuseront de l’entendre en confession « Lui disant de se disposer pour la Suite ». Rebuté et n’ayant pas perçu la menace, il renoncera à se présenter au banc de communion « jusqu’à ce que certaines affaires concernant ses interêts temporels fussent ajustées ». En clair, le curé a fait pression sur lui pour qu’il règle ses dettes, dîmes ou rendages habituellement, envers l’Église, n’hésitant pas à porter l’affaire devant le tribunal de l’officialité de Cambrai, demandant qu’il soit « privé de l’entrée de l’eglise pendant sa vie et de sepulture ècclesiastique apré sa mort et condamné aux depens ». Il s’agit d’une excommunication qui ne dit pas son nom pour protéger ici encore les intérêts matériels de l’Église. Jean François implorera un délai au juge qui ne lui accordera qu’un mois pour régulariser sa situation (AD59 Cumulus RDC 215/1).

     La procédure d’excommunication pour dettes envers l’église peut aussi être employée malicieusement en boomerang contre un ecclésiastique. En 1543, les héritiers d’Ysabel MEURISSE, alors probablement veuve de Jacques DE RAISMES, vont se déchirer devant l’Official de Tournai suivi d’un appel devant la Cour de Malines. Son testament stipulait que seuls ses enfants encore vivants au jour de son trépas se partageraient ses biens. Si de nos jours, les petits enfants, en tant qu’héritiers réservataires, recueillent automatiquement la part de leur père - ou mère - prédécédé dans la succession de leurs grands parents, il n’en était pas de même sous l’Ancien Régime. Les testateurs et les parents des futurs époux, véritables contractants des traités de mariage, précisent s’ils accordent ou non « droit de représentation » à leurs petits enfants.

    Au décès d’Ysabel, Pierre et Nicolas DE RAISMES, ses deux fils encore vivants, sont donc héritiers universels. Mais ses deux filles ont laissé une postérité : Jehennette avait eu de Pierre LOBEGEOIS, Jehan, Guillaume et Franchoise tandis qu’Ysabel avait délaissé Ysabelet BONNENUYT, fille d’Adam. Les frères LOBEGEOIS et leur beau frère Jehan LEFEBVRE ainsi que leur cousin Pierre LE LIÈVRE, époux d’Ysabelet, vont s’efforcer de récupérer ce qui pourrait l’être. Revendications réciproques, atermoiements, monition de occultis, lettres patentes et arguties juridiques vont constituer un épais dossier de 39 pièces dans lequel interviennent aussi les deux exécuteurs testamentaires et Martin FOURMANOIR, huissier d’armes de l’empereur à Tournai. Les plaignants s’avisant que leur oncle Pierre étant prêtre, qu’il ne paye pas ce qu’ils lui réclament via un tribunal ecclésiastique, obtiennent purement et simplement de l’évêque un avertissement avant son excommunication ! Leurdit oncle réplique en réclamant que deux gardemaneurs soient assignés à demeure chez Guillaume et à ses frais ! (AD59 Cumulus RDC 190/1).

    Tous les curés n’ont pas cette habileté à lever des fonds ou ont affaire à forte partie. Quatre ans avant sa mort, Marie Claire BOSQUET, veuve d’Hubert HISTASSE - en son vivant authentique dragon du régiment Pimentelli puis de Flavacourt et domina d’Hanzinelle - mais surtout femme énergique qui ne s’en laissait pas compter... ni conter, a dicté ses dernières volontés le 14 mai 1743 à BOTTAR, son curé. Au chapitre des dons, elle a consenti de menues sommes à sa paroisse et quelques messes pour ses parents, son mari et ses amis mais pas pour elle, estimant n’en avoir point besoin (sic), avant de passer à l’obligation pour ses filles de payer en priorité la récolte à leur fermier et autres dispositions matérielles et familiales (Hanzine-Hanzinelle aux Archives de Namur).

    Jean François DUQUESNE, curé de Coutiches, est plutôt partisan du « Fais ce que je dis, pas ce que je fais ». Son testament du 18 octobre 1753 manifeste autant de son sens de la famille que de la justice : il répartit soigneusement ses biens entre tous ses neveux et petits neveux sans exception mais selon les services rendus, le bon comportement et les besoins, avantageant une fratrie orpheline. Par contre, il n’a fait aucun don de charité ! Ses démêlés judiciaires de 1734 à 1738 avec sa hiérarchie pour obtenir des objets de culte et des réparations nécessaires tant à l’église qu’au presbytère l’ont apparemment laissé amer et rancunier (AD59 Tabellion de Douai 2E13/554 et 31H504).

    Le commerce de la mort commençait parfois en amont. Les laïcs pouvaient en effet se retirer dans des couvents et monastères pour y finir leurs jours et y être inhumés dignement moyennant frais de pension ou cession de tout ou partie de leurs biens. Les problèmes pouvaient surgir en cas de changement de Supérieur et surtout si le pensionnaire vivait toujours alors que ses ressources tarissaient. C’est ce qui est arrivé à un célibataire sans héritiers retiré en échange de ses économies à Douai chez des religieux qui avaient bien besoin de ressources après les guerres de 1710-1712. Sous divers prétextes, il finit par être privé des mets offerts par de généreux donateurs, écarté des pièces chauffées puis relégué avec sa « chambre » (3) dans la cour au cœur de l’hiver. Son avocat, indigné, est intervenu en urgence pour le sauver d’une mort possible.

    Que le défunt ait été généreux on non, il restait encore la possibilité d’exploiter plus ou moins la famille grâce aux funérailles qui contribuaient à assurer les moyens d’existence du curé, en l’occurrence, véritable organisateur des Pompes funèbres. Ainsi celui de Forenville-Sérenvillers-Awoingt avait consigné dans son registre de catholicité combien il avait réclamé pour quelques paroissiens d’âge, de sexe et de niveau social variés, se constituant ainsi des repères pour calculer équitablement ses tarifs. De telles données chiffrées sont exceptionnelles mais il n’est pas rare de trouver, comme à Condé-sur-l’Escaut au début du XVIIIe siècle, de brèves précisions sur chaque service funèbre telles que "messe chantée, ornements, présence de plusieurs prêtres, premier, deuxième ou troisième service, service à une ou deux messes, sans service, distribution de pain", etc... tous éléments manifestement corrélés à un barème ... ou négociés à la tête du client. L’inhumation dans l’église paroissiale était plus lucrative, surtout aux meilleurs emplacements, que dans le cimetière. On ne sera donc pas étonné si certains curés peu enclins à la charité, en conflit avec leurs ouailles, etc... se montraient intraitables sur leur dû, n’hésitant pas à recourir à des moyens coercitifs.

    Marie Antoinette RICQUET déplait fortement à son curé. Fille de Nicolas, marchand drapier en détail, et de Antoinette HENNEBEL, elle a été baptisée le 11 février 1643 en l’église Saint-Étienne de Lille située dans le quartier bourgeois mais en 1680, maintenant désargentée, elle demeure en la paroisse Saint-André, rue des Carmes (4) en zone remaniée par Vauban. Vers 1673, le père est mort subitement sur le chemin de Lannoy sans le secours d’un prêtre pour se mettre en paix avec Dieu et éviter l’Enfer éternel. Situation redoutable, loin de ce qu’on considère de nos jours comme une « belle mort » : on laissait accroire que la personne était si pécheresse que la volonté divine avait été de mettre un terme à sa vie sans tarder en lui refusant toute possibilité d’un rachat jugé par avance inutile.

    Outre cet opprobre qui entache sa famille, Marie Antoinette RICQUET qui n’a pas très bonne réputation a attaqué Ferdinand POULLE en justice pour promesse de mariage non tenue. Vaste déballage intime et défilé de quarante-sept témoins, pas moins. C’est dans ce contexte qu’on découvre que la mère de la plaignante semble avoir été victime de la disette et que le curé, craignant que ses enfants ne puissent payer ses funérailles, menaçait d’enterrer ignominieusement la défunte dans une botte de paille. Marie Antoinette RICQUET voulait bien régler sa part mais à condition que ses frères et sœurs paient la leur, ce qu’ils ont refusé de faire. Outrée, elle a renoncé à la fosse qui avait été préparée dans le cimetière et a fait enterrer sa mère comme une bourgeoise, dans l’église ! Une action a été intentée pour recouvrement du solde des frais de funérailles (AD59 Cumulus RDC 11/11).

    Pour les plus démunis, un décès représentait une catastrophe financière si le curé se montrait dénué de compassion. En 1738-1739, le curé de Saint Géry, doyen du district, interviendra dans une triste affaire soumise à l’Officialité de Cambrai à l’encontre d’Amand PANNEQUIN demeurant à Saint Saulve. Suite à un concours de circonstances et à sa pauvreté, il a inhumé lui-même son enfant « sans ministere eccl(es)i(asti)q(ue) ». Il lui en coûtera une humiliante demande de pardon, le don d’un gros cierge et les dépens du procès (AD59 Cumulus RDC 10/37).

    Certains curés allaient jusqu’à veiller jalousement à ce qu’aucun cadavre ne leur échappât ! Toujours dans le Valenciennois, en 1617 et 1629, l’abbé de Hasnon n’a pas hésité à traîner en justice les Grises Sœurs du couvent de St François à Valenciennes jusque devant le Grand Conseil de Malines, juridiction supérieure. Il leur reprochait d’avoir procédé à des inhumations sans son autorisation préalable, elles ont répliqué que cette pratique est « de temps Immemorial ». Le procès s’est achevé en 1635 (AD59 Cumulus RDC 138/11).

    L’affaire peut sembler obscure mais, même lieu, même date, même provenance, deux attestations des frères mineurs récollets de Valenciennes apportent un début d’explication. Ils déclarent les 18 décembre 1628 et 03 janvier 1629 qu’ils bénéficient du privilège d’inhumer « toutes sortes de personnes ecclesiastiq(ues) et seculieres, de quelques condition, estat ou sexe que ce soit sans po(u)r ce Les en demander conge ou licence, aux pasteurs ny Evesq(u)es, ny a personne de quelle authorite qu’elle puisse estre. et telle de tout temps a este et est po(u)r le present n(ot)re praticq(u)e ordinaire sans contradiction de personne ». Péremptoire ! (AD59 Cumulus RDC 208/30).

    Le business de la mort sous l’Ancien Régime

    Cliché aimablement communiqué par Dominique DELGRANGE (AD59 Cumulus RDC 208/30)

    Le business de la mort sous l’Ancien Régime

    Cliché aimablement communiqué par Dominique DELGRANGE (AD59Cumulus RDC 208/30)

    Les préoccupations financières n’étaient évidemment pas absentes comme le confirme clairement le cas suivant. François MERLEBECQ serait passé de vie à trépas le 03 avril 1786 à Hondschoote, mais on à beau chercher, on ne trouve à cette date aucune trace de son décès dans le registre des actes de sépultures. Au cas où le curé se serait trompé de registre, on vérifie si l’acte n’a pas été porté dans le registre des baptêmes ou de celui des mariages. En vain. Le curé aurait-il omis d’inscrire l’acte ? Cela peut arriver. Nous connaissons l’existence de certificats de notoriété pour remplacer un acte de baptême ordinairement requis pour se marier ou justifier de son âge mais pas pour les décès. François MERLEBECQ aurait-il été excommunié, aurait-il été protestant ? Nenni. Il était pensionnaire au couvent des Trinitaires d’Hondschoote où il est décédé après avoir reçu les saintes huiles et où il a été enterré. Plus chanceux que l’infortuné Douaisien dans la cour...

    Nous n’aurions probablement pas eu trace de ce décès si J.B. BECQUE, curé d’Hondschoote, n’avait attrait en justice le ministre et les religieux dudit couvent devant le présidial de Flandre (5). Le curé a obtenu gain de cause et, pour terminer ce procès Monsieur VASSEUR, ministre dudit couvent, s’est obligé le 11 juillet 1788 de lui payer une messe d’enterrement ainsi que tous les frais du procès et de lui donner un acte capitulaire par lequel ces Messieurs du couvent reconnaissent le droit de l’église paroissiale d’administrer les saints sacrements à leurs pensionnaires et de les enterrer comme les autres paroissiens d’Hondschoote. Et « pour que nul n’en ignore », le curé résume l’affaire le 11 août 1788 dans le registre des sépultures (AD59 Hondschoote BMS 1788 Vue 603/943).

    Le business de la mort sous l’Ancien Régime

    Le business de la mort sous l’Ancien Régime

    Certes, les cas présentés dans ce florilège sont assez exceptionnels mais une société se laisse entrevoir et comprendre à travers ses excès et ses dysfonctionnements qui jettent une lumière crue sur les contraintes et difficultés que nos aïeux, hantés par la mort si familière, entretenus dans la crainte du péché et de l’au-delà, pouvaient rencontrer s’ils ne savaient ou ne pouvaient se prémunir contre cette emprise morale.

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    REMARQUE

    Cet article est déjà paru dans le bulletin du GGRN. Quelques modifications muneures ont cependant été apportées.

    NOTES

    (1) Aussi appelées « lettres de cession misérable », terme ô combien éloquent.

    (2) Dans « Les derniers bûchers », Robert MUCHEMBLED a analysé une affaire de sorcellerie à Bouvignies ayant eu lieu précisément de mai à septembre 1679.

    (3) Lit garni et ses tentures.

    (4) déchaussés NDLR

    (5) de Bailleul NDLR

    (6) Tout chrétien était obligé de communier au moins une fois l’an pour la fête de Pâques.

    SOURCES

    La consultation des livres de comptes des établissements religieux fait apparaître au chapitre des recettes des messes et des obits. Avec un peu de chance, les noms des défunts apparaitront (séries G : clergé séculier et H : clergé régulier).

    Quand un défunt a laissé des enfants mineurs, on trouve généralement dans le compte de tutelle le montant détaillé des frais engagés pour les funérailles et souvent aussi pour les derniers jours de maladie (Actes d’échevinage, série E normalement, parfois en Série J).

    Les litiges, actes particulièrement « vivants » comme on a pu le voir mais de recherche plus aléatoire sont à rechercher essentiellement en série B ou, pour les cas moins graves, en série  E (Échevinage) mais l’administration judiciaire sous l’Ancien Régime étant particulièrement complexe, nous ne pouvons que conseiller le catalogue d’une exposition, par Véronique DEMARS-SION et Serge DAUCHY, disponible aux AD59.

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    Il est des actes, reflet de situations qui serrent le cœur, celle des enfants pauvres et orphelins notamment. Cosette n’est pas qu’un symbole né de l’imagination de Victor Hugo.

     

    059. Le triste sort des orphelins pauvres

    « Les Misérables », tragédie musicale d’après Victor Hugo. Pochette du disque (version originale 1980)

    Musique de Claude-Michel Schönberg. Textes d’Alain Boublil et Jean-Marc Natel.


    Quand Michel DEMORY meurt le 22 décembre 1736 à Beuvry-la-Forêt, il laisse une épouse près d’accoucher et sept enfants vivants. Marie Jeanne DRUMEZ met au monde un petit Michel le 12 janvier 1737 dont les parrain et marraine sont les aînés de ses frère et sœurs Noël et Marie Rose, âgés respectivement de 15 ans et 17 ans environ, signe manifeste que la famille, isolée, ne peut guère compter sur un entourage protecteur. Cependant fin mars de la même année, l’inhumation du petit Pierre Joseph, 2 ans, a lieu en présence de Pierre Charles SAUVAGE, son parrain. L’annus horribilis se termine le 12 novembre sur la mort de la maman, à l’âge de 42 ans seulement. Le petit Michel, « pauvre orphelin », ne lui survivra que deux mois.

    Charles François SAUVAGE, laboureur demeurant au village de Beuvry, est judiciairement établi tuteur aux corps et biens des enfants. Curieusement et bien que les DRUMEZ soient nombreux au village, cette responsabilité ne leur a pas été dévolue. Qui est ce tuteur par rapport aux enfants ? Aucun lien familial n’a pu être détecté. Peut-être l’employeur de feu Michel DEMORY pour avoir été celui qui le connaissait le mieux ? On sait seulement qu’il est le père de Pierre Charles SAUVAGE, parrain en 1737 de Michel DEMORY.

    Quoi qu’il en soit, ledit tuteur a justement un jardin avec arbres à fruits, maison… à louer. Il le met à bail aux enchères, pratique tout à fait inusitée. Et c’est justement Marie Rose DEMORY qui emporte l’affaire ! Prudent, car les juristes ont toujours jugé incompatibles les contrats entre tuteurs et pupilles, le notaire prend bien soin de préciser le lien juridique existant entre les parties : « Charles François SAUVAGE laboureur demeurant au village de Beuvry et tuteur judiciairement établi aux corps et biens des enfants de feu Michel DEMORY et de Marie Jeanne DRUMEZ vivant demeurant audit Beuvry à Marie Rose DEMORY, fille dudit feu Michel, demeurante audit lieu » (AD59 Tab. Douai 1171).  

    Que penser encore de ce bail aux enchères ?

    Jusqu’à la mort des parents, la famille DEMORY-DRUMEZ vivait évidemment dans une maison avec son jardinet attenant comme il est de règle à la campagne. Apparemment, ils n’en étaient pas propriétaires. Étaient-ils à la veille d’être expulsés ? Mais qui était ce propriétaire ? Ce pourrait bien être justement Charles François SAUVAGE qui, ne disposant plus de la force de travail des défunts, voyait là un moyen « légal » de garantir ses revenus.

    Il faut bien survivre : Marie Rose devenue chef de famille n’avait guère d’autre choix. Espérons seulement que les autres villageois compatissants se sont abstenus de tout renchérissement.

    Les six enfants vivoteront jusqu’aux années 1742-1743 quand les aînés se mariant, ils retrouveront un semblant de famille généralement recomposée mais plus protectrice.

    Noël DEMORY n’a que 20 ans quand le 06 février 1742 à Orchies, il épouse Barbe Angélique DELESTRÉ, 24 ans, fille d’un journalier.

    Anne Joseph DEMORY n’a que 20 ans elle aussi quand elle se marie le 29 octobre 1743 à Beuvry avec Jean Pierre HENNOCQ, vieux garçon orphelin de 36 ans : un bâton de vieillesse sans doute…

    Marie Rose DEMORY enfin s’unit le 05 novembre 1743 à Beuvry à Géry François Joseph DELESTRÉ, laboureur et bourgeois d’Orchies mais âgé de 38 ans, veuf avec au moins 3 enfants de Jacqueline BOURLÉ et probablement apparenté à Barbe Angélique DELESTRÉ.

    Marie Robertine DEMORY est inhumée le 1er juillet 1745 à Orchies en présence de son frère Noël et de son beau-frère Géry DELESTRÉ qu’elle avait suivis et qu’elle aidait probablement au fil des nombreuses naissances…

    Euphroisine DEMORY convole le 07 avril 1750 à Vred avec Louis François DUROT, un ménager de 26 ans, veuf lui aussi.

    Angélique DEMORY épouse le 07 janvier 1755 à Orchies Pierre Joseph DESCARPENTRY lui aussi orphelin qui avait hâte de fuir une famille recomposée mais décimée et où il avait dû dès ses seize ans aider son beau-père à élever ses nombreux frères et sœurs utérins…

    Le cas le plus tragique est cependant celui des jeunes orphelins dont le maigre héritage parental ne permet pas de les élever jusqu’à ce qu’ils soient autonomes. Rappelons que dans le Douaisis, les filles étaient censées se gouverner elles-mêmes dès l’âge de douze ans tandis que les garçons bénéficiaient d’un sursis de deux ans.

    Faute de pouvoir compter sur des oncles, tantes, parrains et marraines, ces enfants risquaient fort de tomber à la charge de l’échevinage, de la « pauvreté du lieu ». C’était possible quand les temps n’étaient pas trop durs mais en temps de guerre et tant que le village ne s’en était pas relevé et surtout si les orphelins étaient nombreux, les mayeur et échevins pouvaient, pour limiter les frais, décider de mettre ces infortunés aux enchères… à moins disant !

    L’épreuve se passait au sortir de la messe dominicale. Attirés par le pécule, les amateurs se disputaient les gosses, par lots ou fratries éclatées. S’effaçaient-ils au moins en faveur des membres de la famille naturelle ? Rien n’est moins sûr. Imaginons la détresse de ces enfants...

    Les enfants attribués, un contrat était établi pour un an précisant la somme due par les édiles et les obligations des enfants qui devaient se comporter en enfants de famille, c’est-à-dire obéir, être respectueux en toutes circonstances envers leurs hôtes et les aider aux travaux selon leur âge. Précisons que sept ans n’était pas considéré comme un âge trop tendre… Rigoureusement rien par contre sur les conditions d’accueil et d'hébergement des enfants. Il est à craindre que certains ont dû se contenter de partager l’étable ou la porcherie…

    Ainsi Martin HACHE, de Bouvignies, tuteur de ses neveux, les a fait mettre aux enchères en 1694 (AM Bouvignies aux AD59).

     

    « La pauvreté rend méchant » disait François Mitterrand qui connaissait parfaitement les ressorts de l’être humain.

     


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  • C'est pour éclairer ceux qui se sentent perdus devant les tabellions et ceux qui, les considérant comme une simple base de données, passent à côté de leur richesse que je reproduis ici ma réponse sur un excellent site d'échanges généalogiques à deux intervenants désireux de progresser.

     

    LA QUESTION

    "j'ai beaucoup de difficulté à trouver (et comprendre ...) les "tabellions"".

     

    MA RÉPONSE 

    Bonjour [..., ...],
    Vaste question qui appelle des réponses d'ordre administratif, géographique et historique. Je m'en tiendrai aux grandes lignes.

    Au plan administratif, les tabellions (terme qui a une double acception : les notariats ou les notaires) ou garde-notes (terme parfaitement explicite) sont très anciens car indispensables quand seule une petite minorité savait lire et écrire (pour compter, les autres parvenaient à se débrouiller) et que, instruits ou non, il était nécessaire de préciser les droits et devoirs de chacun. Le notaire servait aussi de greffier pour enregistrer des plaintes ou des témoignages. C'est un reflet fiable de tous les aspects de la vie. C'est ainsi qu'une preuve d'ascendance peut évidemment se trouver aussi dans un testament ou un partage successoral mais encore dans n'importe quel acte (un renouvellement de bail par des héritiers, un échange de biens entre deux beaux-frères,...), ou un ensemble d'actes à recouper.
    Cas particulier d'actes passés entre deux personnes relevant de tabellions différents, fréquents chez les censiers et les marchands, y compris pour régler le mariage de leurs enfants.
    Pourtant les généalogistes débutants, plus soucieux de remplir le maximum de cases de leur logiciel que d'aller à la découverte de leurs aïeux, n'y voient qu'un moyen de pallier un acte de mariage disparu ou incomplet sans se préoccuper de la teneur de l'acte. Dommage pour eux. Il suffit de considérer que ces actes sont si précieux à plus d'un titre que les dépôts d'archives en prennent grand soin. A méditer...
    A noter qu'en cas d'urgence, les curés pouvaient recueillir les testaments.

    A titre personnel, je déplore la tendance actuelle à isoler les contrats de mariage des autres actes jugés moins intéressants. Il faut craindre que par la suite on relève les testaments et partages (pas toujours exhaustifs sur la descendance et parfois piégeux) et que les autres actes a priori moins vendeurs sombrent dans l'oubli. Pourtant, ils donnent à comprendre la structuration, les problèmes et le quotidien des familles. Enfin, c'est parfois grâce à eux que j'ai pu progresser, lever un obstacle ou un doute.

    Au plan géographique, le notaire exerce sur une zone délimitée. En gros, chaque ville importante a son tabellion (Lille, Douai, Valenciennes, Cambrai, Bouchain, Le Quesnoy, etc...) mais comme rien n'est simple, elle peut comporter des enclaves relevant d'un autre tabellion et une ville peut se trouver à la jonction de plusieurs tabellions ! Ainsi la carte du tabellion de Bouchain montre qu'elle s'étire vers le Valenciennois et que des enclaves plus ou moins vastes lui donnent un aspect mité. Douai se trouve à la jonction des provinces du Hainaut et de l'Artois, ayant chacune son tabellion, et aussi de l'Empire.

    Au plan historique, les remaniements de frontière ont eu des répercussions. Louis XIV a ainsi réorganisé vers 1670 le tabellion dans les territoires conquis mais cela a pris un certain temps avant d'être complètement mis en place partout. Auparavant, ces actes étaient passés devant les échevinages (précurseurs de nos communes voire groupement de communes et conseil municipal) ou des seigneuries (Gouvernance de Douai et Orchies).

    Quant à l'exploitation généalogique, le mieux pour vous est donc de vous rapprocher des associations généalogiques expertes sur le secteur qui vous intéresse. A l'ère du "tout gratuit", elles ont encore leur utilité et elles ne demandent qu'à être soutenues pour réaliser leurs nombreux projets car, au-delà de la limite des 75 ou 100 ans exigés par la Loi, tout ou presque vient ou viendra d'elles. En effet, chaque génération qui viendra verra doubler son nombre d'ancêtres et une vie de généalogiste n'y suffira plus surtout quand les origines seront diverses.

    Remarque sur les actes les plus évidents. L'acte de mariage ne donne pas toujours un aperçu des apports des mariants qui se déclarent souvent satisfaits sans qu'il soit besoin de plus amples spécifications. Cela ne signifie pas forcément que les mariés ne possèdent aucun bien. Un censier qui se remarie par exemple peut ne pas souhaiter faire étalage de ses biens au notaire. A contrario, des pauvres n'ont effectivement pas grand chose à déclarer mais ils peuvent tenir à prévoir et organiser la fin de leur union (sorte de testament avant la lettre) ou mettre les points sur les "i" à propos de la législation si l'un des conjoints est bourgeois d'une autre ville (avec droits et privilèges particuliers) ou "étranger" (il suffit de venir de quelques villages plus loin) avec des coutumes différentes ou s'il est issu d'une famille retorse ou chicanière. Bien d'autres cas peuvent se présenter. C'est pourquoi il faudrait à chaque génération ratisser tous les actes pour rassembler le maximum d'éléments afin de se faire une idée la plus juste possible de la situation et du fonctionnement de la famille.
    Il est important de rechercher ce qui se passe après la mort du père. On pense évidemment au remariage de la mère. On pense aussi au partage entre les héritiers mais il faut savoir que,
    parfois, des enfants n'y figurent pas parce qu'il ont déjà été suffisamment servis et que le patrimoine restant revient à ceux qui ne sont pas encore mariés. Souvent, ces derniers - ou plutôt leur pécule ? - les rends plus attirants et on constate qu'ils convolent tous en moins d'un an. Souvent, ils achètent quelque bien ou louent une maisonnette, contractent une obligation (emprunt à court terme) ou souscrivent une rente (emprunt à long terme mais transmissible aux héritiers tant emprunteurs que crédirentiers)... Après la famille disparaît des actes notariés jusqu'à ce qu'un nouvel événement important oblige à reconsidérer la situation.

    Je vous souhaite de belles surprises...

     


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