• Autour de la naissance

  • Quand on se donne la peine de relever tous les enfants d'un couple, on ne peut qu'être saisi de compassion pour ces femmes perpétuellement enceintes ou allaitantes, mettant leur vie en jeu à chaque grossesse ou préférant quitter leur époux et refuser, malgré les pressions, de reprendre la vie commune. On comprend alors avec quel soulagement, les mères se soumettaient huit jours après l'heureuse délivrance au rite des relevailles et de la bénédiction religieuse qui marquaient leur retour au sein de la communauté de la paroisse et la reprise de leurs activités habituelles. Ce cérémonial, de nos jours abandonné par l'Église catholique, peut maintenant susciter des sentiments mitigés : valorisation de la fonction maternelle ou humiliation infligée à la femme, éternelle pécheresse, à travers la "purification" ? À chacun son opinion...

    Quoi qu'il en soit, sans réel moyen de contraception et malgré les impitoyables pressions économico-sociales, morales et religieuses, des filles sans mari et des veuves mettaient au monde des enfants considérés comme franchement indésirables. Il suffit de songer que, pris au sens littéral du terme, le lavage du linge sale en famille permet une très efficace surveillance gynécologique. Aussi en butte à la réprobation générale, ces femmes pouvaient être tentées par l'avortement voire par l'infanticide. Mais, respect de la vie oblige, tant l'Église que les rois luttaient contre ces pratiques. D'abord, ces femmes devaient déclarer leur grossesse : édit d'Henri II en février 1556, repris par un autre édit d'Henri III en 1585 et par la déclaration de Louis XIV du 26 février 1708 :   

     "...Toute femme qui se trouvera dûment convaincue d'avoir celé, couvert ou occulté tant sa grossesse que son enfantement sans avoir déclaré l'un ou l'autre et avoir pris de l'un ou l'autre témoignage suffisant même de la vie ou mort de son enfant lors de l'issue de son ventre et qu'après se trouve l'enfant avoir été privé tant du saint sacrement du baptême que sépulture publique et accoutumée, soit telle femme tenue et réputée d'avoir homicidé son enfant et pour réparation punie de mort et dernier supplice ..."

    Ces documents sont à rechercher dans les archives judiciaires, en série B des Archives départementales mais rares sont celles parvenues jusqu'à nous. Il se peut d'ailleurs que ces ordonnances aient été peu respectées. Négligence ? Déni de grossesse ? Espoir que la situation s'arrangera ?... Dans notre région du Nord, inutile évidemment de les rechercher avant le rattachement à la France...

     Quoique dangereux et pas toujours efficaces, quelques moyens abortifs étaient cependant connus. Au détour d'un acte, une allusion, une suggestion, une réputation révèlent que des secrets honteux circulaient dans les chaumières. Les vieux livres prêtaient des propriétés emménagogues à des plantes. Quelques pieds de rue (ruta graveolens) poussaient discrètement dans les jardins des grands-mères... "On" savait ou "on" croyait savoir les préparer pour "faire revenir les sangs" tellement capricieux...

    On espérait aussi « Faire descendre » ou « décrocher » l’embryon ou le fœtus en s’épuisant dans des travaux pénibles tels le port de lourdes charges, en sautant, en faisant du cheval, toutes activités interdites à toutes celles dont la grossesse est précieuse et aux futures mères d’enfants hautement désirés. Ainsi Anne d'Autriche, la très jeune épouse de Louis XIII, s'est vu reprocher des imprudences, causes supposées de ses fausses-couches. Marie de Bourgogne, fille de Charles le Téméraire, a fait une chute de cheval qui a été fatale à son enfant et à elle-même. De nos jours encore, des femmes du Nord proches du terme et impatientes d’accoucher ou craignant mettre au monde un enfant trop gros espèrent en finir plus vite en empruntant les routes pavées si possible sur un tracteur ou dans une vieille voiture à la suspension défaillante. 

    De l’auto-maltraitance à la maltraitance, le pas était vite franchi : compressions – les corsets n’avaient pas que des visées esthétiques – , coups de pied ou de bâton dans le ventre, … Si le fruit ne voulait toujours pas tomber, il restait à tenter d’aller le chercher : introduction de queues de persil, d’aiguilles,… et leur cortège d’hémorragies, d’infections. Fausses couches, avortements, fibromes, les femmes saignaient, c’était ainsi, personne ne s’en étonnait. Les commères cherchaient seulement à en comprendre la cause par l’observation des pertes et hochaient la tête d’un air entendu. Histoires de femmes, toujours un peu mystérieuses…

    Toutes ces pratiques n’étaient pas sans danger et leur incidence sur la mortalité se mesure en comparant celle des femmes célibataires de 15 à 30 ans par rapport à celle des hommes sur la même période. Une différence significative est à mettre sur le compte des avortements.

    Quand tout cela avait échoué, il fallait bien se résigner à mettre l’enfant au monde. La lecture des actes de baptême révèle comment ces parturientes étaient traitées : rejetées, menacées d'être privées de soins si elles ne dénonçaient pas le géniteur (qui, de son côté, les dissuadait parfois de "parler") ou du secours de la religion si elles se trouvaient en danger de mort, elles accouchaient en présence d'échevins chargés de recueillir leur déposition. Dans ces conditions, difficile pour elles de s'attacher à leur enfant surtout si sa conception avait été traumatisante.

    Dans un tel contexte, il ne faut pas s'étonner si des femmes partent accoucher en secret là où elles ne sont pas connues ou toutes seules sans aide aucune et si la mortalité périnatale de ces petits réprouvés était scandaleusement élevée, nettement plus que celle des premiers-nés légitimes. Ils mouraient généralement le lendemain, au plus tard après une semaine sans que personne s'en émeuve. Il faut bien admettre que leur disparition arrangeait tout le monde.

    Il est admis que le taux des naissances illégitimes relevées dans les registres de baptêmes était bon an mal an de 3 % environ sous l'Ancien Régime. Compte tenu de leur mortalité, leur taux de reproduction est nettement inférieur. Si on se fie aux tests génétiques actuellement commercialisés pour ceux qui souhaitent rechercher leurs origines lointaines ou découvrir ou encore vérifier leur parenté avec des contemporains*, il ne serait que de 1 %, ce que des filiations sans équivoque sur 300 à 400 ans tendraient à confirmer. Mais ces tests trouvent aussi des taux variables selon les milieux huppés ou prolétariens de ruptures de filiation masculine. Il serait surprenant que des chercheurs ne se penchent pas sur la question.

    Encore fallait-il être suffisamment habile pour ne pas se faire trop remarquer et ne pas outrepasser les limites implicites de la tolérance. Les paysans, fins observateurs de leur cheptel femelle, extrapolaient volontiers leurs connaissances à l’espèce humaine. Ainsi, de nombreux hommes savaient si leur compagne aurait un retard quelques jours plus tard. Ainsi allaient les choses mais quelques rares affaires parvenues en justice lèvent un coin du voile : le dégonflement subit d’un embonpoint pernicieux... suivi de la découverte d’un petit cadavre a immédiatement déclenché une enquête et le suicide, probablement par erreur de dosage, de la maîtresse du curé a confirmé tous les soupçons. On voit aussi un chirurgien miséricordieux peser de toute son autorité pour sauver sa cliente, une fille suspectée.

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    * Cf. GenNPdC, François FOUCART, passionné par les tests génétiques appliqués à la généalogie : 

    http://www.gennpdc.net/lesforums/index.php?showtopic=138339&pid=662533&mode=threaded&start=#entry662533

    http://www.gennpdc.net/lesforums/lofiversion/index.php?t138094.html

     


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  • La lecture attentive et intégrale des actes d’état civil révèle parfois quelques bizarreries, suscitant bien des interrogations si bien que certaines situations, banales en apparence, laissent alors perplexe…

     

    Quand Joseph CARPENTIER décède le 18 octobre 1892 à Pecquencourt (Nord), il était « âgé de soixante six ans trois mois pontier né à Vred, domicilié à Pecquencourt, fils des défunts Jean Baptiste Louis Carpentier et Marie Sophie Joseph Décarpentrie, veuf en premières noces de Catherine Joseph Collin, époux de Eulalie Marie Joseph Goube ».

    Joseph était donc né vers le mois de juillet 1826. Mais à Vred on ne trouve qu’un acte de naissance au nom de Joseph… « DÉCARPENTRIE » !

    Né de père inconnu

    Donc le dimanche 9 juillet 1826, Nathalie BECQUET, accoucheuse, déclarait à l’officier de l’état-civil que « Marie Sophie Joseph Décarpentrie, âgée de vingt six ans, fileuse, domiciliée en cette commune, est accouchée hier à sept heures du soir, en son domicile, d’un enfant du sexe masculin, qu’elle nous présente et auquel elle donne le prénom de Joseph ». Une mention marginale complète cet acte : « Joseph Décarpentrie, que concerne l’acte ci-contre a été légitimé par l’acte de mariage entre Jean Baptiste Louis Carpentier et Marie Sophie Joseph Décarpentrie en date du cinq août mil huit cent quarante n° 47 de l’acte ce 21 février 1845 ».

    Le renvoi laisse entendre que le mariage a eu lieu à Vred. Un signet particulièrement jauni marque la page du registre : « mariage n° 47 CARPENTIER-DECARPENTRIE ». Marie Sophie est célibataire mais l’acte est muet pour Jean Baptiste Louis, ils sont âgés respectivement de quarante et un et soixante ans, tous deux nés et domiciliés à Vred. Leurs parents et presque tous leurs grands-parents y sont décédés, les dates et lieux sont précisés. La légitimation de Joseph clôt effectivement l’acte. Benoît CARPENTIER, quarante-deux ans, joueur de violon, frère de l’époux, et Nicolas DÉCARPENTRIE, trente-trois ans, journalier, frère de l’épouse, sont témoins.

    Qu’un brave vieux garçon, épouse une fille-mère dont il reconnaît le fils déjà adolescent est déjà peu banal mais on peut aussi se demander pourquoi le mariage est si tardif. Rien, apparemment, ne le justifie. L’un et l’autre appartiennent à des familles implantées de longue date dans ce petit village. Ils se sont forcément toujours connus. Une opposition familiale semble peu crédible puisque leurs parents et grands-parents sont décédés depuis bien longtemps et que leurs frères respectifs assistent au mariage.

    Une anomalie saute aux yeux : la mairie a attendu plus de quatre ans avant d’inscrire la légitimation en marge de l’acte de naissance. Oubli réparé lors du recensement des jeunes gens en vue de la conscription sans doute… Joseph passera d’ailleurs devant le conseil de révision en mars 1847.

    Le prénom surprend. Si la grande majorité des garçons et de nombreuses filles portent le prénom de Joseph, c’est toujours en dernier mais jamais comme prénom unique ni même en premier lieu.

    Joseph à travers l’état civil

    Le ratissage des registres de Vred a permis de retracer non seulement les grandes étapes de la vie civile de Joseph mais aussi d’apprécier ses relations avec la famille CARPENTIER à travers les actes qui le concernent personnellement mais aussi ceux où il apparaît.

    Il était veuf de Catherine Joseph COLLIN lorsqu’il s’est remarié le 19 décembre 1868 à la mairie de Vred avec Eulalie Marie Joseph GOUBE, jeune veuve chargée de deux enfants. Sa mère était déjà décédée, cependant Jean Baptiste Louis CARPENTIER, quatre-vingt-huit ans, était présent ainsi que Louis CARPENTIER, son oncle paternel âgé de soixante-dix-sept ans.

    Marie Sophie Joseph DESCARPENTRIE était décédée le 3 mars 1858 à Vred, à l’âge de cinquante-huit ans. Les déclarants étaient Jean Baptiste Louis CARPENTIER, soixante-dix-huit ans, pontonnier, son époux et Joseph CARPENTIER, trente-deux ans, journalier, son fils, tous deux domiciliés à Vred. Rien de particulier donc.

    Le 28 avril 1857, lors du premier mariage de Joseph CARPENTIER et de Catherine COLLIN à la mairie de Vred, Marie Sophie Joseph DÉCARPENTRIE, consentante, ne pouvait pas « se trouver à cette célébration pour cause d’infirmité » mais Jean Baptiste Louis CARPENTIER, soixante-dix-sept ans, était présent. Parmi les témoins, on note avec surprise : « Jean Baptiste Joseph Carpentier, âgé de cinquante quatre ans, garçon meunier, frère de l’époux… domicilié à Vred ». Sauf erreur, Jean Baptiste Louis CARPENTIER aurait donc eu un autre fils, né vers 1803 ! Deux enfants naturels légitimés ? Bizarre…

    Le jeune couple a eu rapidement un fils, François Joseph, dont le décès sera déclaré le 6 septembre 1858 par Joseph son père, accompagné de Jean Baptiste Louis son grand-père. Le premier juillet 1865, tous deux déclareront encore le décès d’un second enfant, Sophie Joseph, âgée de quatre ans.

    Il résulte de ces actes que si Jean Baptiste Louis n’est pas le père biologique de Joseph, du moins se comporte-t-il en parfait père adoptif et réciproquement puisque, le vingt-huit janvier 1870, c’est Joseph qui déclarera le décès de son père. Resté alerte jusqu’à son dernier jour, il est décédé subitement : « hier vers huit heures du soir, Jean Baptiste Louis Carpentier, âgé de quatre vingt neuf ans, ancien militaire pensionné, né et domicilié à Vred, fils […] veuf de Marie Sophie Joseph Déscarpentrie, est décédé près de sa demeure ».

    Au vu de tous ces actes, la situation apparaît parfaitement normale. Tout montre que Joseph était bien intégré à la famille CARPENTIER et qu’un réel attachement a existé entre « père » et « fils ». Cependant un autre fils intrigue et un passage ravive des souvenirs familiaux.

    L’acte de décès de Jean Baptiste Louis rappelle qu’il a eu un passé militaire. Ses descendants affirmaient effectivement qu’il avait pu devenir pontonnier grâce à ses états de services mais surtout, ils ne manquaient jamais une occasion de souligner, plus ou moins à propos, qu’un militaire désireux de se marier pouvait rencontrer de sérieuses difficultés… On commence à deviner le pourquoi de ce leitmotiv

    053. Faire parler les actes : CARPENTIER ou DÉCARPENTRIES ?

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    Le pontier ou pontonnier de Vred à la manœuvre.

    De plus, le ratissage montre un autre CARPENTIER, presque homonyme et contemporain de Jean Baptiste Louis mais marié et père de famille. À tirer au clair…

    Fructueuses recherches…

    Elles portent évidemment sur le garçon meunier et sur l’autre Jean Baptiste Louis.

    Le suivi de ce dernier qui a épousé Rosalie DUFLOT le 25 frimaire an XI (16 décembre 1802) et qui apparaît par intermittence dans les registres, dégage des éléments troublants. Il a le même âge que le mari de Marie Sophie Joseph DESCARPENTRIES et il est lui-aussi fils de… Pierre et Euphroisine MARTEAU !!

    Six mois et demi plus tard, le 12 messidor an XI (30 juin 1803), les jeunes époux ont un premier enfant, Jean Baptiste François Joseph, né à Vred. Ce dernier a donc lui-aussi exactement le même âge que… Jean Baptiste Joseph CARPENTIER, le garçon meunier, alors âgé de cinquante quatre ans, déjà rencontré le 28 avril 1857 lors du mariage de son « frère » Joseph CARPENTIER avec Catherine COLLIN. Il épousera en premières noces Marie Rose THUILLIEZ le 3 mai 1830 à Vred. Veuf, il se remariera le 12 février 1873, toujours à Vred, avec Sophie Joseph LEBLANC en présence de ses cousins Michel et Henri CARPENTIER et en premier lieu de son « frère » Joseph CARPENTIER, âgé de quarante-sept ans, donc né… vers 1826, pontonnier, tous domiciliés à Vred !

    Deux filles suivront. L’aînée, Rosalie Euphroisine Joséphine, née en 1811, mourra en 1832 et on perd la trace de la petite dernière, née en 1814. Et bien que Rosalie fût encore jeune, elle n’aura plus d’enfant et elle décèdera le 17 mai 1826 à Vred.

    Dans sa jeunesse, l’époux de Rosalie DUFLOT ne savait pas signer, il a commencé à écrire son nom tardivement. On trouve sa signature aux décès de sa femme le 17 mai 1826, de sa mère le premier janvier 1827 (je carpentier) et de sa fille Rosalie Euphroisine Joseph en 1832. Connaissant cette signature, il a été possible d’attester de sa présence, et par conséquent de son lien de parenté, au mariage de sa sœur Ambroisine Joseph avec Pierre François Joseph DUBRULLE le 2 mars 1813 puis à celui de son frère Louis Joseph avec Victoire MOREAU le 12 juin 1816 et enfin, il est témoin mais sans signer le 19 octobre 1813 au mariage de son frère Henry Benoît avec Albertine LEROY. Il est alors âgé de trente-trois ans, ex soldat, précision inhabituelle laissant penser qu’il s’était engagé d’autant plus que de 1803 à 1811, on ne trouve aucune naissance à son foyer.

    Mêmes parents, même âge et - sans être graphologue, cela saute aux yeux - même signature. Un passé militaire, les mariages qui se succèdent et deux individus mais un seul décès, tous ces éléments qui s’emboîtent parfaitement décrivent une situation courante à un détail près.

    Le mariage de Jean Baptiste Louis avec Marie Sophie Joseph passe son veuvage sous silence. Un autre « oubli » ? Ne faut-il pas y voir plutôt un geste délibéré pour permettre la légitimation d’un enfant adultérin conçu du vivant de l’épouse ? La famille du maire étant elle aussi compliquée et ses liens avec les CARPENTIER avérés, sa complaisance ne peut être exclue.

    On ne peut écarter non plus que deux frères aient des prénoms et des âges voisins. On a vu des officiers d’état civil se tromper d’acte de naissance pour publier les bans et préparer l’acte de mariage sans que l’intéressé et l’assistance exigent une rectification.

    Joseph à travers les actes paroissiaux

    Pour en avoir le cœur net, la consultation de quelques actes paroissiaux aux fins de vérification et de comparaison s’avère indispensable.

    L’acte du mariage religieux de Joseph CARPENTIER et de Catherine COLLIN confirme que l’époux a bien un frère prénommé Jean Baptiste CARPENTIER. Celui de Jean Baptiste Louis CARPENTIER et de Marie Sophie Joseph DÉCARPENTRIE n’a eu lieu que quatre mois et demi après le mariage civil, ce qui est inhabituel. Contrairement au maire, le curé n’avait aucune raison de taire un détail gênant : « L’an mil huit cent quarante, le vingt-six novembre … la publication des bans faite les quinze et vingt-deux de ce mois avec dispense obtenue d’un ban … Jean Baptiste CARPENTIER, soixante ans, veuf de Rosalie DUFLOS, de cette paroisse, et Sophie DÉCARPENTRIE, trente-neuf ans, fille majeure … ».

    Le maire a donc délibérément établi un « faux » pour permettre la reconnaissance par ruse de Joseph ! L’affaire a cependant dû faire quelque bruit puisqu’il ne l’a apposée en marge de l’acte de naissance que lorsqu’elle est devenue inévitable et qu’un signet marquait la page. Comment, après cela, mettre encore en doute la paternité de Jean Baptiste Louis ?

    L’acte de baptême de Joseph n’est pas moins intéressant : « L’an mil huit cent vingt-six, le dix juillet après nous être assuré que la déclaration de naissance, voulue par la loi, a été faite, a été baptisé par nous, soussigné, joseph Descarpentries né l’avant veille, à sept heures du soir, fils illégitime de sophie Descarpentries, non mariée de cette paroisse ; le parain joseph adolphe Dubrulle ; la maraine euphroisine Carpentier, tous deux de cette paroisse, lesquels ont dit ne savoir écrire Desmarets curé de Vred ».

    Il ne fallait pas espérer trouver le nom du père dans cet acte puisque depuis la Révolution, les prêtres s’étaient vus retirer la tenue de l’état-civil au profit des officiers municipaux. Malgré sa pauvreté apparente, le document renforce les intuitions. La marraine est une CARPENTIER – ce qui prouve que les CARPENTIER et les DÉCARPENTRIES se connaissaient fort bien – et elle est prénommée Euphroisine comme la très officielle grand-mère paternelle du baptisé. Ce détail, en suggérant un lien entre les deux femmes, constitue si besoin est un indice supplémentaire en faveur de la paternité de Jean Baptiste Louis.

    Il faut revenir sur le « choix » du prénom de l’enfant. « Imposer » un prénom peut être lourd de sens : affirmer le lignage, prédestiner, laisser filtrer un secret... Marie Sophie n’a fourni aucun indice susceptible de trahir le père, elle n’a pas non plus adopté le prénom le plus caractéristique du parrain. Tout s’est passé comme si elle ne pouvait relier cet enfant à personne et qu’il devait rester le plus anonyme possible. Il s’agissait peut-être d’une forme de déni de grossesse.

    Mais les presbytères recèlent parfois de précieuses sources inattendues. Au tout début du XXe siècle, l’abbé NOISETTE avait entrepris de dresser la généalogie de ses paroissiens d’après les registres de catholicité et la connaissance qu’il avait de ses paroissiens. Il attribuait cinq enfants à Jean Baptiste Louis CARPENTIER et Rosalie DUFLOT. Il semble qu’il ait dédoublé d’une part, Jean Baptiste François Joseph en Jean Baptiste Joseph né en 1802 et en François Joseph né en 1803 et d’autre part, Rosalie Euphroisine Joséphine en Euphrosyne née en 1810 et Rosalie née en 1811.

    À ces détails près, ces travaux coïncident parfaitement avec l’état civil et présentent en outre l’avantage d’utiliser les prénoms usuels. Ainsi, ils confirment qu’effectivement, la marraine de Joseph est couramment prénommée Euphrosyne. Ils permettent aussi de démêler rapidement les filiations et les alliances. Nous constatons donc qu’Antoine CARPENTIER, grand-oncle de Jean Baptiste Louis CARPENTIER et Marie Élisabeth DUPUIS, cousine utérine d’une bisaïeule de Marie Sophie Joseph DÉCARPENTRIES s’étaient déjà alliés en 1751. Cette union qui préfigure déjà celle de 1840 prouve que les deux familles se fréquentaient de longue date.

    L’affaire se corse

    Elle semblait classée mais… une vérification pour d’autres raisons dans les registres de l’état civil a prouvé qu’il aurait fallu s’intéresser non seulement aux CARPENTIER mais aussi aux DÉCARPENTRIES.

    C’est avec stupeur qu’on découvre une lacune de l’abbé NOISETTE. Le 23 mai 1824, acte n° 53, Anastasie BECQUET était déjà venue déclarer « que Sophie Joseph DÉCARPENTRIE âgée de vingt-cinq ans profession de fileuse de lin demeurant à Vred fille de défunt François et de Constance Joseph LEGRAND est accouchée hier à midi au domicile de Jean Baptiste CARPENTIER de cette commune d’un enfant du sexe féminin qu’elle nous présente et auquel elle donne le prénom d’Euphroisine Joseph le tout en présence de Jean Baptiste CARPENTIER âgé de quarante trois ans profession de journalier demeurant à Vred … les témoins ont signé avec nous … ». Dans la table annuelle en fin de registre, le rédacteur a pris sur lui de noter : « n° 53 CARPENTIER Euphroisine » sans toutefois préciser ni le prénom du père ni même le nom de la mère. La table décennale reprend : « CARPENTIER Euphrosine  22 mai 1824 ».

    L’enfant ne vivra pas. Le 8 juin 1824, à la mairie, « sont comparus Jean Baptiste (Louis) CARPENTIER âgé de quarante trois ans journalier demeurant à Vred voisin de la défunte … lesquels nous ont déclaré que Euphroisine Joseph DÉCARPENTRIE âgée de seize jours domiciliée en cette commune fille naturelle de Sophie Joseph DÉCARPENTRIE est décédée en son domicile hier à six heures du soir… les comparants ont signé avec nous… »

    Il s’agit indubitablement des futurs mariés de 1840 : Marie Sophie Joseph DÉCARPENTRIE et Jean Baptiste Louis CARPENTIER qui, depuis son mariage avec Rosalie DUFLOT, avait appris à écrire au moins son nom. On aurait dû se douter qu’ils étaient voisins… L’acte décrit une atmosphère radicalement différente de celle qui transparaîtra deux ans plus tard lors de la naissance de Joseph. L’événement est heureux, l’ambiance familiale. L’accouchée est prise ouvertement en charge par Jean Baptiste Louis qui l’accueille et donne à l’enfant, une CARPENTIER, le prénom d’Euphroisine qui est celui de sa propre fille et de sa propre mère qui vit encore puisqu’elle décèdera le 29 décembre 1826 à Vred. Mais qui est le père ?

    Retour au presbytère de Vred… L’acte de baptême complète à merveille l’acte de naissance : « L’an dix-huit cent vingt quatre, le vingt deux Mai après nous être assuré que la déclaration de naissance, voulue par la loi, a été faite, a été baptisé par nous, soussigné, euphroisine joseph Descarpentries née en ce jour, à Midi, fille de sophie joseph Descarpentries, non mariée de cette paroisse, le parain nicolas joseph Descarpentries, oncle maternel de l’enfant, la maraine euphroisine joseph Carpentier, tante paternelle de l’enfant, tous deux de cette paroisse ; lesquels ont dit ne savoir écrire Desmarets curé de Vred ». Remarquons que le curé aurait baptisé l’enfant le jour de sa naissance, mais la veille de la déclaration en mairie…

    L’acte de sépulture religieuse, daté du huit juin, confirme que l’enfant est décédée la veille à six heures et demie du soir mais n’apporte rien de plus.

    L’enfant est donc notoirement fille de Jean Baptiste François Joseph CARPENTIER, unique fils de Jean Baptiste Louis et de Rosalie DUFLOT. Comme elle a été bien accueillie malgré l’absence de son père, on se demande pourquoi les deux jeunes gens, libres tous deux, bénéficiant visiblement de l’accord de leurs familles, ne s’étaient pas mariés.

    La clef de l’affaire 

    C’est le registre de conscription de l’année 1823 qui fournit enfin la clé de l’histoire (1R723 canton de Douai n° 464 aux AD59).

    Jean Baptiste François Joseph CARPENTIER avait vingt ans. Le registre de recensement en donne un portrait sommaire : « cheveux châtains blonds, sourcils châtains, yeux bleus, front (-), nez petit, bouche moyenne, menton rond, visage plein, teint pâle, marque particulière : cicatrice entre les deux yeux, taille : 1 m 685 ». Au tirage au sort, il avait eu la chance de tomber sur un bon numéro. Simple journalier, il avait préféré monnayer cette aubaine. Le 11 décembre 1823, il remplaça donc Ferdinand François PINQUART, fils d’un cultivateur de Roost Warendin. Il fut incorporé le 19 janvier 1824 pour 7 à 8 longues années.

    Vers la fin de cet été 1823, il avait eu une liaison avec sa voisine Marie Sophie Joseph DÉCARPENTRIE, pauvre orpheline âgée de vingt-quatre ans, il la laissait enceinte de ses œuvres. La famille CARPENTIER s’en cachait si peu que Jean Baptiste Louis CARPENTIER, le futur grand-père, assuma ouvertement cette situation. C’est donc chez lui que Marie Sophie accoucha mais, le père de l’enfant étant absent, on ne put enregistrer la nouvelle-née que sous le nom de sa mère. Jean Baptiste François CARPENTIER avait peut-être envisagé de régulariser la situation dès son retour, comme cela se pratiquait d’ordinaire. Quoi qu’il en soit tout le monde pensait qu’il épouserait Marie Sophie et reconnaîtrait son enfant, comme le suggèrent les tables annuelles et décennales. La mairie de Vred avait d’ailleurs anticipé. On fit immédiatement baptiser l’enfant qui reçut un prénom de famille : Euphroisine comme sa tante paternelle et marraine et comme la mère de son grand-père paternel, laquelle vivait encore. Mais vingt jours plus tard, le grand-père, encore lui, déclara le décès de l’enfant.

    Il faut maintenant admettre que suite à ces événements, Jean Baptiste Louis CARPENTIER, un homme de belle taille, 1 mètre 733 et dans la force de l’âge, s’était senti de plus en plus attiré par Marie Sophie, toujours célibataire, si bien que le 8 juillet 1826, elle eut un fils. L’affaire a dû faire jaser : Jean Baptiste Louis CARPENTIER, veuf depuis quelques semaines, n’apparaît pas. On n’avait même pas envisagé de prénom, on se contenta d’appeler l’enfant Joseph et on ne le fit baptiser qu’au bout de deux jours, ce qui est un peu tardif. Il est manifeste que cette seconde naissance a été malvenue mais pas reniée puisque Euphroisine CARPENTIER qui avait été marraine de sa nièce l’a été aussi de Joseph, son frère consanguin.

    053. Faire parler les actes : CARPENTIER ou DÉCARPENTRIES ?

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    Durant toute cette période, Rosalie DUFLOT, la grand-mère paternelle, apparaissait bien en retrait. Problèmes conjugaux ou de santé, elle n’avait plus eu d’enfant depuis douze ans. Elle décédera à l’âge de quarante-quatre ans seulement le 16 mai 1826 à Vred.

    On imagine que les relations entre le père et son fils aîné en furent quelque peu altérées. Jean Baptiste Louis semble avoir reporté son affection sur Joseph, l’enfant adultérin qu’il voulait reconnaître bien que cela lui était légalement impossible. Obstiné, il parvint à résoudre son problème grâce à un subterfuge qui n’en constituait pas moins un faux et usage de faux en écriture publique. Le maire pourtant compréhensif hésitait à reporter la reconnaissance en marge de l’acte de naissance de Joseph. Mais la conscription approchait et il fallait bien trancher. De guerre lasse, il s’y résigna. Le curé, moins complaisant, avait fini par consentir au mariage religieux qui fut enfin célébré le 26 novembre 1840… sans entorse à la réalité.

    Épilogue

    Entre-temps, le tumulte s’était apaisé, la vie avait peu à peu repris son cours. Jean Baptiste François CARPENTIER, libéré des obligations militaires, était revenu au village. En 1830, il y épousait Marie Rose THUILLIEZ. Son père, bien que présent et consentant, n’a cependant pas signé l’acte de mariage. Euphroisine CARPENTIER mourut en 1832, âgée seulement de vingt et un ans. Jean Baptiste Louis, son père, et Jean Baptiste François, son frère, réunis, déclarèrent son décès. Les relations se sont ensuite normalisées comme le montre les mariages des deux frères.

    Au terme de cette enquête, tout est bien qui finit bien et il paraît raisonnable d’affirmer que Joseph est réellement fils de Jean Baptiste Louis et que ce dernier nourrissait une affinité particulière pour ce fils pourtant né fâcheusement.

    Il reste pourtant une question posée dès le début des recherches et restée sans réponse. Que s’est-il passé entre 1826 et 1840 ? Si les recensements avaient été conservés, on saurait si Jean Baptiste Louis et Marie Sophie Joseph avaient ou non vécu en concubinage et on comprendrait peut-être pourquoi aucune naissance n’a été trouvée après celle de Joseph.

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    Affaire brièvement évoquée dans le numéro 38 de « Douaisis-Généaloqie », revue du CEGD sous le titre : « Pères inconnus, enfants reconnus, enfants illégitimes ».

    Elle a ensuite été développée dans les numéros 34 et 35 de « Accord parfait », revue de l’association « ARPÈGE » sous le titre : « Faire parler les actes paroissiaux et d’état-civil ou Joseph DÉCARPENTRIES, légitimé tardivement, est-il bien fils de Jean-Baptiste CARPENTIER ? ».


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    Il est des individus qui défient les plus fins limiers… 

    La thèse développée dans cet article ne satisfera pas ceux qui ne voient de solution que dans « un » acte à débusquer quelque part et la conclusion leur paraîtra osée. C’est pourtant le résultat d’une méthode qui a fait ses preuves [1]

    Il faut tout d'abord souligner que le développement de la généalogie et de l’informatique, en particulier les remarquables travaux quasi exhaustifs de Vincent LÉCUYER, tant sur GenNPdC que sur Geneanet, et ceux de Paul POVOAS sur Généalo ont grandement facilité et conforté cette enquête. Qu’ils en soient vivement remerciés ici.

    En effet, quand tous les couples et individus rattachables sont enfin reliés entre eux et qu’il ne reste que des familles éparses, il devient envisageable de s’appuyer sur des compatibilités suffisantes pour raccorder une famille venue d’on ne sait où avec une autre disparue sans laisser de traces 

     

    Un patronyme déconcertant

     

    L’acte de de mariage, en date du 22 mai 1730 à Alincthun, entre Pierre SAILLY, de Le Wast, et de Marie Anne LELEU, recèle une surprise. En effet, la mère du mariant se nomme MAÎTRECHARLES, patronyme totalement inusité !

    Les sobriquets, qui n’étaient pas rares, et le mot « maître » suivi d’un prénom évoquent d’emblée un nom usuel plus qu’un véritable patronyme.

    Inutile de préciser qu’au Wast, on ne détecte aucune trace d’une famille MAÎTRECHARLES… et pas davantage des SAILLY.

    C’est l’impasse.

    Raison de plus pour exploiter au maximum cet acte de mariage. Le regretté André DENIEUL disait que je trayais à fond les actes...

    Cliquez dans les images pour les agrandir.

    Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES...

    AD62, 5 MIR 022/1 Alincthun 1660-1853, 312/1545 

     

    Deux villages voisins

     

    Comme le veut la tradition, Marie Anne se marie dans sa paroisse d’Alincthun (Bellebrune, son secours) alors que Pierre est du Wast, à une bonne demi-heure de marche seulement.

    Situation courante qui n’appelle aucun commentaire particulier.

    Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES...

    Au pas, au trot, au galop ! 

    La vitesse moyenne d’un cheval selon l’allure est respectivement de 7, 14 et 21 km/h environ. 

     

    Une mariante fort bien entourée

     

    L’examen des témoins fait apparaître qu’elle est accompagnée des hommes de sa famille : Jean (François) LELEU, son frère germain (même père et même mère),  Pierre MEURICE et Jacques (Marie) LELEU, ses neveux consanguins (du côté paternel) et Jean (MO)BREUX, son oncle maternel. 

    Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES...

    On remarque qu’il a fallu faire le tri entre plusieurs Jean LELEU en tenant compte de leur âge ou de leur existence à la date de ce mariage, de leur degré de parenté avec les nouveaux époux et de leur signature.

     

    et un « rattaché » très esseulé

     

    Le mariant semble a priori bien seul.

    Pourtant, en dernier, après les proches du mariant et ceux de la mariante mais avant le curé figure la mention : « alexandre bernard pour mon perre ». Cet emplacement est généralement celui des amis et témoins étrangers aux familles.

    C’est sans surprise au Wast, paroisse du mariant, qu’est retrouvé Alexandre BERNARD.

    Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES...

    Antoine BERNARD, laboureur, propriétaire, n’ayant pas jugé utile d’assister au mariage de Pierre SAILLY, a préféré dépêcher Alexandre, son second fils. Or ce dernier, né le 16 septembre 1713 au Wast, n’est âgé que de seize ans et demi. Il est mineur et ne peut signer que sur procuration de son père, réel témoin.

    Cette désinvolture est davantage celle d’un « maître » (employeur) du mariant, « lui tenant lieu de père en cette occasion » comme on peut le lire parfois, que celle d’un parent mais d’habitude, au moins, il fait acte de présence. On peut penser qu’il manifeste ainsi sa mauvaise humeur à la perspective de perdre un manouvrier rude à la tâche…

    Malheureusement, les recherches sur les SAILLY et MAÎTRECHARLES ayant tourné court, la preuve d’une absence de parenté entre ces familles et Alexandre BERNARD n’a évidemment pu être apportée.

    Quoi qu’il en soit, Pierre SAILLY nous apparaît bien seul. Or, autrefois, les gens n’étaient pas vraiment isolés. Excepté quelques étrangers venus de loin, les aventuriers, les marginaux, les ostracisés, rejetés par leur famille ou brouillés avec elle, voire les bannis de la société et ceux qui fuyaient la justice, tous les autres vivaient dans un réseau familial et relationnel plus ou moins protecteur.

    Parmi les esseulés, le cas le plus fréquent est celui des orphelins dispersés, souvent séparés de leurs frères et sœurs éventuels : jeunes enfants élevés chez leurs parrains et marraines respectifs, adolescents obligés d’aller travailler comme domestiques ou servantes au bourg, pas nécessairement le plus proche.

     

    Un couple plutôt mal assorti

     

    On aura aussi remarqué que, comme tous ses témoins, Marie Anne sait écrire correctement son nom tandis que Pierre se contente d’apposer une banale marque.

    L’inverse est plus courant.

    ◊ ◊ ◊

    Si l’on considère l’âge des mariants, elle vient d’avoir trente-deux ans puisqu’elle est née le 1er avril 1698 à Bellebrune. Cette date est confirmée par son décès le 17 juin 1760 à Bellebrune alors qu’elle est dans sa soixante-troisième année et elle est recoupée par son dernier accouchement, le 25 septembre 1742 à Alincthun, à l’âge de quarante-quatre ans et cinq mois.

    Pierre meurt le 23 janvier1764 à Bellebrune. Son acte de sépulture indique que le curé lui attribuait l’âge de soixante-deux ans. Faute d’acte de baptême, on en conclut qu’il serait né au plus tôt en janvier 1702 mais plus vraisemblablement en 1701. À son mariage, il était donc âgé de vingt-huit ans environ, soit quatre ans de moins que son épouse, contrairement aux usages qui privilégient un chef de famille un peu plus âgé que sa compagne.

    Tout séparait les mariants : un solide entourage familial ici ; un isolé là, bien que venu du village voisin ; le degré d’instruction et par conséquent le niveau social, l’âge,… Et si c’étaient justement les raisons de ce mariage ? 

     

    Une fille difficile à caser

     

    Compte tenu de son âge, Marie Anne a manifestement rencontré des difficultés à trouver dans sa paroisse un époux qui lui convienne à elle… et à son clan. Pour mémoire, les contrats de mariage étaient aussi appelés traités de mariage, comme un traité de paix entre royaumes avec mariage en garantie ! Il faut parfois prendre les mots et expressions au pied de la lettre !

    Vu la « petitesse du lieu », le cas est fréquent comme en témoignent les nombreuses demandes de dispenses de consanguinité conservées aux Archives départementales du Pas-de-Calais. En effet, la population d’un village est alors de 250 à 300 personnes en moyenne. Après décompte de la moitié des habitants du sexe opposé, des personnes du même sexe déjà mariées, des enfants et adolescents, des vieillards quoique…, des proches parents et, comme les princes n’épousaient les bergères que dans les contes, des différences sociales trop marquées sans oublier les chétifs, malingres, contrefaits et imbéciles (terme qualifiant autrefois l’idiot du village), les vieilles rivalités et animosités, les gens de mauvaise réputation et même les suspicions de protestantisme, il reste peu de possibilités pour se marier.

    ◊ ◊ ◊

    C’est le problème des LELEU, très nombreux dans le village et aux proches environs, qui constituent une tribu apparemment unie avec une nette tendance au repli sur elle-même, caractéristique des propriétaires, fort attachés à leurs terres.

    Pour preuve, de 1747 à 1767, quatre mariages consanguins auront lieu dans la famille LELEU dont celui de Jacques SAILLY, fils précisément de Pierre SAILLY et de Marie Anne LELEU avec Marie Catherine MOBREUX. Il faut noter que la consanguinité passait par les MOBREUX, la coupe étant pleine côté LELEU.

    Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES...

    Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES...

    Extraits de la Dispense du 3ème au 3ème degré de consanguinité SAILLY-MOBREUX du 09 février 1767 AD62,

    1G874 (G240) pièce 13

    On remarque que la branche de la mariante se trouve à gauche du tableau généalogique, place occupée habituellement par celle de son futur, particularité qui témoigne de la considération relative accordée par le curé aux MONBRUN et aux SAILLY, arrivés plus tardivement au village et probablement moins aisés voire moins généreux avec l’Église.

    Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES...

    Mariage desdits SAILLY-MOBREUX le 02 mars 1767 à Bellebrune AD62, 5 MIR /104/1 p. 528 BMS

    On remarque aussi avec quel luxe de détails sont présentés les protagonistes : suppliants et témoins pour la dispense, mariants et témoins pour la bénédiction nuptiale.

     

    Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES...

    Jacques SAILLY et Marie Catherine MOBREUX et leurs témoins  

    Par la suite, dans d’autres actes, le même souci de préciser les liens de parenté prouvera que le curé, qui rencontrait déjà des difficultés à dresser l’arbre généalogique des LELEU (Cf. ci-dessous le mariage en 1751-1752 de Marc LELEU avec Marie Jeanne LELEU), faisait très attention pour s’y retrouver.

    Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES...

    Toutes ces unions consanguines attestent amplement que Marie Anne LELEU était effectivement apparentée avec une bonne partie du village. 

     

    Un besoin de « sang neuf »

     

    Si la famille de Marie Anne se laisse appréhender, il n’en est pas de même pour celle de Pierre, cet OMNI (Objet Mariant Non Identifié) bien que les noms de ses père et mère soient connus…

    Alors que penser à ce stade des recherches ?

    Il semble acquis que Pierre était esseulé. Orphelin sans famille ? Brouille familiale ? Si opposition à ce mariage avantageux pour lui il y eut, ce ne pouvait être, pour d’obscures raisons, que du côté de Pierre puisque les LELEU lui ouvrent grand les bras.

    En revanche, il est certain que le curé du Wast le connaissait bien et depuis suffisamment longtemps pour être certain que cet homme de 28 ans était encore célibataire. En conséquence, il a délivré une autorisation de les marier à son confrère d’Alincthun. S’il avait eu le moindre doute, il se serait renseigné auprès du curé du lieu de baptême et, le cas échéant, auprès des armées, ce qu’il aurait scrupuleusement noté pour montrer à son évêque qu’il s’acquittait correctement de ses responsabilités.

    La famille, tant paternelle que maternelle de Pierre étant introuvable au Wast, il pourrait donc être venu y travailler dès l’adolescence. Peut-être même y a-t-il été élevé ?

    On commence cependant à comprendre les circonstances de ce mariage : un jeune homme, probablement sérieux et travailleur, est d’autant plus facilement agréé par une famille paysanne qui avait besoin de « sang neuf » qu’il manque apparemment de parents, ce qui facilitera son intégration dans une tribu qui devra par la suite recourir aux mariages consanguins pour maintenir sa cohésion, limiter le nombre d’héritiers et… éviter le fractionnement et la dispersion de ses terres ou pour reconstituer le pré carré démembré par des partages successoraux ! Il est probablement plus pauvre mais l’avantage est qu’il n’est pas en position d’exiger une dot conséquente et il apporte une appréciable force de travail.

    Quoi qu’il en soit, le jeune couple vit à Alincthun où Pierre SAILLY deviendra fermier ou laboureur.

    Six enfants naissent. 

     

    Deux sœurs de Pierre SAILLY à Colembert et à Selles

     

    Grâce aux baptêmes, on découvre que Pierre a deux sœurs.

    Le 25 février 1731 à Alincthun, leur fils Pierre SAILLY a pour marraine « Marie Jeanne SAILLY, sa tante Maternele de la paroisse de Colembert » qui met sa marque faute de savoir écrire. Le curé s’embrouille dans l’expression des relations de parenté : il faut bien évidemment lire « paternelle ».

    L’enfant décédera le 23 mars 1731 à l’âge d’un mois à peine.

    Un autre Pierre lui succédera le 26 mai de l’année suivante mais ses parents ne reconduiront pas les parrain et marraine (par superstition ?), préférant se rabattre sur des habitants d’Alincthun.

    Le 14 novembre 1734 à Alincthun, Jean Marie SAILLY a pour marraine « Marie SAILLY, sa tante paternele de la paroisse de Selle » qui ne sait pas écrire non plus comme il fallait s’y attendre. Le curé a retrouvé sa maîtrise du vocabulaire… 

    On oriente donc les recherches sur Colembert (Nabringhem, son secours) et sur Selles.

    Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES...

    Les résultats sont décevants : à Colembert, on ne trouve absolument rien !

    Ce cas est fréquent.

    On en conclut que Marie Jeanne SAILLY y vivait en célibat, probablement comme servante chez un laboureur ou un aubergiste… Mariée, avec ou sans enfants, elle serait apparue sans tarder dans les registres comme marraine dans sa belle-famille. Marque de bienvenue à une nouvelle « rattachée ». 

    ◊ ◊ ◊

     Mais à Selles, parmi quelques SAILLY, on trouve le baptême le 15 janvier 1691 d’une Marie SAILLY, fille de Philippe SAILLY et… de Jeanne LE FEBVRE, sa femme ! 

    Une sœur consanguine de Pierre SAILLY-MAÎTRECHARLES, peut-être ?

    Se pourrait-il que ce soit elle qui demeurait toujours à Selles en 1734 ?

    Remontant le temps, on lui trouve un frère Philippe SAILLY-LE FEBVRE, né le 14 et baptisé le 15 juin 1689.

    C’est tout !  

     

    Élargir le cercle des recherches

     

    Ces pistes étant épuisées, il reste à élargir le cercle géographique des recherches, à commencer par Brunembert parce qu’il est le secours de Selles. Ces deux paroisses ont d’ailleurs fait registres communs pour certaines périodes.

    On découvre sans surprise que Philippe SAILLY et Jeanne LEFEBVRE y ont été mariés le 16 octobre 1684 mais par le curé de Selles.

    Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES...

    Mention de Michel LE FEBVRE et de Robert COUSIN, témoins non repris sur la copie.

    À rapprocher au besoin de Pierre COUSIN, parrain le 15 juin 1689 de Philippe SAILLY, la marraine étant une autre Jeanne LE FEBVRE, cette homonymie révélant souvent un cousinage, ici avec l’accouchée.

    Un premier enfant, Philippe SAILLY-LE FEBVRE, ne va pas tarder à naître le 16 janvier 1685. Il sera baptisé le lendemain et aura Charles LE FEBVRE pour parrain et Margueritte LE FEBVRE pour marraine.

    On en déduit que la famille LE FEBVRE n’est pas loin…

    La naissance d’un frère cadet aussi prénommé Philippe, déjà trouvée en 1689 à Selles, laisse supposer que ce premier né est décédé en bas âge.

    Effectivement, il est mort le 19 mars de la même année.

    Il faudra absolument savoir qui est ce Charles LEFEBVRE qui pourrait bien être le « Maître Charles » recherché…  

    Mais pour l’instant, on évite de se disperser et on poursuit la recherche des enfants du couple SAILLY-LE FEBVRE.

     

    La fratrie de Pierre SAILLY retrouvée ? 

     

    Un deuxième enfant, Jean SAILLY-LE FEBVRE, le suit le 03 octobre 1686.

    Les baptêmes de Philippe et de Marie, les 3ème et 4ème enfants ont déjà été trouvés dans les registres de Selles en 1689 et 1691.

    Retour à Brunembert où un 5ème enfant est… Marie Jeanne SAILLY-LE FEBVRE, née et baptisée le 12 juin 1695.

    Il peut s’agir de la marraine de l’enfant né en 1731 à Alincthun.

    Et, le 09 février 1701, est né et baptisé Pierre SAILLY… lui aussi fils de Philippe et de… Jeanne LE FEBVRE

    Se pourrait-il que ce soit Pierre SAILLY-MAÎTRECHARLES ?

    On a bien Pierre, né comme prévu en 1701 et ses sœurs Marie et Marie Jeanne, tous enfants de Philippe et de Jeanne LE FEBVRE alors qu’on s’attendait à un remariage de Philippe avec Marie MAITRECHARLES.

    Deux pères portant le même prénom, deux fratries de trois enfants parfaitement homonymes même si les prénoms sont banaux, à la même époque, l’un d’eux né la même année, le tout en un lieu indiqué par un indice, cela constitue un solide faisceau de compatibilités malgré les prénom et nom de la mère, nom qui laisse par ailleurs perplexe…

    Si deux familles aussi semblables vivaient à la même époque dans un aussi petit village, les BMS refléteraient cette situation mais il n'en est rien.

    L’expérience montre qu’il ne faut jamais abandonner une piste prometteuse au premier grain de sable, à la première déception.

    MAÎTRECHARLES versus LEFEBVRE  

    057. Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES... (Un patronyme inusité)

    D’après les travaux de Vincent LÉCUYER sur Geneanet

     

    Le drame ! 

     

    Et 9 mois et demi plus tard, le 22 novembre de la même année…

    Antoine est né et a apparemment été ondoyé comme le sous-entend la formulation inhabituelle et la non désignation des parrain et marraine. Il est décédé vraisemblablement avant que le curé ait pu suppléer aux cérémonies du baptême et il a été inhumé le lendemain.

    Cette naissance prématurée, ou fausse couche, a coûté la vie à Jeanne LEFEBVRE, décédée le 25 novembre 1701 sans doute d’une hémorragie qui l’a vidée peu à peu de son sang.

    Ces maigres éléments donnent cependant du crédit à l’hypothèse selon laquelle Pierre SAILLY-MAîTRECHARLES appartiendrait à une famille quelque peu dispersée, mouvante et des plus réduites.

    Il n’a guère connu sa mère, il n’en a aucun souvenir. En pareil cas et si les proches parents ont disparu ou sont trop éloignés, il est fréquent de constater, surtout chez les analphabètes, qu’après deux ou trois décennies, le souvenir de la défunte s’estompe… parfois au point d’oublier ses nom et prénom !

     

    Un foyer privé de maman

     

    Qu’est devenu ce Pierre SAILLY-LEFEBVRE ?

    Est-il mort peu après sa naissance, en bas âge ou plus tardivement ou est-il parvenu à l’âge d’homme ?

    057. Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES... (Un patronyme inusité)

    Si ce Pierre SAILLY-LEFEBVRE a survécu, quelle a été sa tendre enfance ?

    A-t-il été mis en nourrice dès que sa mère, de nouveau enceinte, n’a plus eu de lait ?

    A-t-elle réussi à le nourrir en recourant peut-être au lait de chèvre plus ou moins coupé ?

    A-t-il été élevé au Wast chez une parente, une marraine, une voisine qui pouvait nourrir deux enfants ?

    S’il a survécu, il le doit certainement à la solidarité des femmes.

    Autrefois, les mères donnaient longtemps le sein à leur enfant jusqu’à une année entière et parfois plus car l’allaitement artificiel, loin d’être au point, compromettait les chances de survie du nourrisson. On ne savait guère materniser le lait de vache, les « biberons », en fait une tasse de type cuillère ou un petit pot-mamelle ou pot-burette, étaient inadaptés et l’hygiène approximative.

    De plus, l’allaitement maternel constituait le meilleur moyen d’espérer espacer quelque peu les naissances. Entretenir la lactation en prenant un enfant en nourrice ou en recueillant un nourrisson privé de lait maternel permettait de prolonger ce répit.

    En conséquence, les enfants qui ne recevaient que tardivement une alimentation diversifiée étaient fréquemment carencés et donc affaiblis. 

    ◊ ◊ ◊

    Ensuite, que serait devenu ce Pierre SAILLY-LEFEBVRE à la mort de sa mère ?

    On sait seulement que son père ne s’est pas remarié et que, selon Vincent LÉCUYER, il vivait encore en 1723 lors du mariage de Jean, son fils aîné…

    Le plus plausible est que Philippe SAILLY s’est débrouillé pour élever ses enfants.

    À neuf mois et demi, Pierre, nourri de panades au lait, de soupes de légumes et d’œufs, pouvait survivre.

    Il suffisait qu’il soit sous surveillance pour guider ses premier pas et éviter tout accident.

    À l’adolescence, vers 14 ans, a-t-il commencé à circuler de village en village, apprenant son métier au gré de ses employeurs, sachant se faire apprécier jusqu’à son mariage avec Marie Anne LELEU ?

    Il faut souligner ici que dans le Douaisis, les filles étaient censées pouvoir subvenir à leurs besoins, leur nourriture et entretien, dès l’âge de douze ans et les garçons de quatorze. Autrement dit, ils pouvaient être embauchés comme servantes et domestiques.

    A-t-il plutôt quitté le foyer familial après le mariage de son frère aîné en 1723 ?

    A-t-il été le « bâton de vieillesse » de son père avant de partir travailler au Wast après sa mort ?

    Il faudrait pouvoir vérifier ces hypothèses en toute certitude. Sans perdre de vue cet objectif, il reste à s’interroger sur le patronyme MAÎTRECHARLES, rigoureusement inconnu dans toute la région, foi de généalogistes !

     

    « Maître Charles » ou « Maître CHARLES » ?

     

    Pour corser l’affaire, l’auteur d’une table de BMS a cru lire : « Marie Marthe CHARLES » !

    Pourtant, on distingue parfaitement le point sur le « i », une liaison entre « marthe » et « charles » et surtout c'est bien un « r » après le « t » de maitre. Ce ne peut donc être « Marie Marthe ».

    Fiez-vous aux tables !... 

    ◊ ◊ ◊

    Ce patronyme « MAÎTRE CHARLES » reste cependant une énigme.

    Face à un tel nom composé qui évoque un nom d’usage, presque un sobriquet plus qu’un réel patronyme, il convient d’analyser séparément les deux éléments.

    Pour le premier élément, « Maître » désignait habituellement l’employeur (« Le valet et son maître »), un marchand, un gros censier, un important fermier, voire un mayeur ou un échevin influent mais il s’appliquait aussi à un maître artisan. Il pouvait aussi qualifier un homme autoritaire qui jouait un peu trop les coqs de village et qui est resté dans les mémoires sous ce vocable.

    Marie pourrait aussi être notoirement connue pour être fille naturelle de l’un d’eux...

    Quant au second élément, il faut envisager deux hypothèses : celle du prénom « Charles », par chance assez peu courant, et celle du patronyme « CHARLES » qui se rencontre aussi dans le Calaisis-Boulonnais !

    Dans le second cas, il faut trouver le prénom de « Maître CHARLES » et les prénom et nom de sa femme, mère de leur fille Marie…  

    Dans le premier cas, on a affaire à « Maître Charles N… ». Il faut trouver le patronyme, ce qui donne du crédit au couple « SAILLY-LEFEBVRE ».

    Mre (?) Charles LEFEBVRE

     

     

    Vincent LÉCUYER, consulté pour avis, confirme obligeamment l'existence à Brunembert d'un Charles LEFEBVRE qui serait à peu près de la même génération que Jeanne.

     

    "registre de Brunembert (5mi R179/1), et sur la vue 76 :

     

     

    3ème acte page de gauche : chronologiquement, ce ne peut être le père de Jeanne, mais un Charles LEFEBVRE décède le 06/01/1684 à 40 ans, et son nom semble précédé d'une abréviation qui pourrait être celle de "maître"... sans garantie."

     

     

     

    057. Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES... (Un patronyme inusité)

    http://archivesenligne.pasdecalais.fr/ark:/64297/a9201d50c9a103b997af0062c5f21a47#

    Reste à comprendre le rôle joué par cet homme dans le village et dans la vie de Jeanne. Un frère aîné, un oncle, un parrain  qui l'aurait élevée ou chez qui elle aurait vécu ? Situations fréquentes. 

    ◊ ◊ ◊

    Vincent LÉCUYER, qui a ratissé les bases généalogiques du Boulonnais-Calaisis, a pu écrire sur GenNPdC que « Sans prétendre être exhaustif, les SAILLY de cette époque autour du Wast sont principalement présents à Brunembert, Lottinghen et Selles. Les CHARLES sont plus loin (principalement autour de Marquise/Wimille et à Guînes) ».

    Il est utile et agréable de présenter ces renseignements sur une carte synthétique.

    057. Énigmatique Marie MAÎTRECHARLES... (Un patronyme inusité)

    Les CHARLES et                                                                    les SAILLY 

    Voilà qui n’incline guère à pencher en faveur d’un mariage SAILLY-CHARLES.

    ◊ ◊ ◊

    Par contre, les usages anciens plaident pour le prénom « Charles ».

    Autrefois, tant dans leur cercle relationnel qu’officiel (Dans le village où chacun se connaissait, la famille était la cellule de base de la société), les gens étaient couramment désignés par leur prénom suivi éventuellement de leur « surnom » (patronyme, « surname » pour les Anglais) ou par leur sobriquet. Combien d'actes de baptême ou de décès les plus anciens se contentaient d'un laconique « enfant de Pierre et de sa femme » ?

    On remarquera à ce sujet que les inévitables homonymies étaient l’une des raisons des sobriquets et des fréquents changements de prénoms au fil de l’existence.

    Ainsi les tables en fin de registre des terriers ou des cueilloirs de rentes présentent un classement alphabétique... au prénom suivi - mais pas toujours - du patronyme, ce qui les rend fort peu utiles aux généalogistes !

    Par contre, pour l’administration judiciaire, si on ignorait le prénom d’un individu ou pour éviter de fastidieuses répétitions, les comparants étaient désignés par le sieur N... ou le nommé N... (à noter que sauf exceptions, l'âge est fiable).

    C'est seulement à la Révolution qu’on a commencé à nommer les individus par leur patronyme en omettant leur prénom : « le citoyen N... », usage repris par notre moderne Administration qui préfère donner la priorité au patronyme sur le « nom de baptême » sans doute trop catholique : « Vos nom, prénom, SVP ! »

    À noter que fort heureusement, les SAILLY, à la Belle Époque, étaient encore circonscrits essentiellement dans le Pas-de-Calais, ce que confirme le « Répertoire des noms de famille du Pas-de-Calais en 1820 ». Dans le cadre de cette étude, on peut donc raisonnablement écarter toute autre origine.

     

    Élargir le champ des recherches

     

    Poursuivant donc les recherches sur Lottinghem comme suggéré par Vincent LÉCUYER, on trouve le mariage le 10 janvier 1678 d’un Philippe SAILLY, originaire de Brunembert, avec Catherine PREDHOMME, de Lottinghem. 

    S’il s’agit bien du père de Pierre SAILLY-LEFEBVRE, il aurait épousé en premières noces Catherine PREUDHOMME.

    On peut alors estimer raisonnablement que le mariant était alors âgé de vingt-cinq à trente ans. Il serait donc né, disons vers 1655. L’un des témoins est son frère Pierre SAILLY, aussi de Brunembert.

    Ce Philippe SAILLY, originaire de Brunembert, est probablement celui qui assistait le 13 juillet 1677 à Brunembert au mariage de Marie SAILLY, aussi dudit lieu, avec Pierre HONVAULT, veuf avec enfants. Le couple ira vivre à Nielles les Ardres, paroisse de l’époux.

    Veuf sans enfant connu, Philippe SAILLY se remarierait en 1684, à Brunembert cette fois, avec Jeanne LEFEBVRE, fille d’un homme à forte personnalité ou aux compétences professionnelles reconnues.

    Il a environ 33 ans. Elle est plus jeune que son époux puisqu’à son décès le 25 novembre 1701, elle est âgée d’une quarantaine d’années environ. Elle serait donc née vers 1660, à 5 ans près.

    Veuf, frisant la cinquantaine avec quatre enfants, peut-être cinq, dont apparemment un en bas âge, il hésite à se remarier au risque d’agrandir sa nichée.

    Comme il vit dans son village d’origine et qu’il est apparemment gendre d’un homme qui a été relativement aisé, il peut se faire aider pour élever sa progéniture sans être obligé de leur infliger une marâtre. 

    Le tableau familial ne respire cependant pas l’aisance.

    Le fils aîné, Jean, âgé de 15 ans seulement, aurait pu quitter la maison pour gagner sa vie et rapporter un peu d’argent mais Philippe SAILLY a certainement préféré le garder auprès de lui pour l’aider à faire vivre la famille. En tant qu’aîné, il sera principal héritier mais cet avantage est contrebalancé par le devoir d’aider ses cadets.

    Jean comprend vite que son petit frère Pierre lui sera un boulet…

    Les deux sœurs tiennent la maison, s’occupent du jardin et de la basse-cour… et sont responsables de leur petit frère s’il a survécu. L’aînée, Marie, est chargée du plus gros du travail tandis que Marie Jeanne surveille son petit frère comme une poupée, joue avec lui…

    Le soutien d’une tante n’est évidemment pas exclu…

    Dans ces conditions, on ne perd ni temps ni argent pour envoyer les enfants à l’école…

    Le temps passe, les galants ne se pressant pas pour épouser des filles désargentées et probablement chargées d’un gamin de surcroît, les deux sœurs resteront célibataires…

    Pierre grandit, parvient à l’adolescence. Son père tient à le garder près de lui pour lui apprendre le métier et surtout pas le laisser se faire exploiter par des laboureurs.

    En 1723, Philippe SAILLY approche les soixante-dix ans. Il s’est usé au travail mais il a mené ses enfants à l’âge adulte sans parvenir cependant, malgré tous ses efforts, à leur assurer une situation correcte pour démarrer dans la vie. Surtout, ses forces déclinant, il a toujours besoin d’eux, de la force de travail de son ou ses fils et de la capacité de ses filles à tenir sa maison. Aussi, en bon pater familias, il rechigne à céder sa place, sa maison, ses terres, à laisser ses enfants quitter le foyer familial pour vivre leur vie.

    Jean, son aîné a maintenant trente-six ans, il attend avec impatience de pouvoir travailler enfin pour lui-même, se marier, fonder une famille qui le soutiendra dans ses vieux jours et… sa récompense pour avoir été sacrifié.

    Il faut signaler que dans le Calaisis-Boulonnais, c’est le droit d’ainesse qui prévaut, à charge pour l’héritier principal de prendre en charge ses cadets…

    Le 1er février 1723 à Selles, Jean peut enfin épouser Catherine DELATTRE.

    Philippe SAILLY « assiste » au mariage…

    Pierre SAILLY-MAITRECHARLES aussi… à n’en pas douter.

    La date du décès de Philippe SAILLY n’est pas connue mais il est en fin de vie… 

     

    La jeunesse de Pierre SAILLY-MAÎTRECHARLES

     

    À y bien réfléchir, ce mariage est la clé qui lève les derniers doutes.

    Si Philippe SAILLY fait patienter aussi longtemps son aîné, ce n’est certainement pas par pur égoïsme mais parce qu’il estimait ne pas pouvoir lui abandonner ses biens, se reposer enfin tant que Pierre, son dernier enfant, n’a pas atteint l’âge adulte, vingt-deux ans en l’occurrence. Il pressent que l’entente entre les deux frères n’est pas des plus cordiales et que s’il passe la main trop tôt, l’aîné écartera son cadet pour lequel il estime avoir suffisamment payé de sa personne.

    Le mariage de Jean au plus tôt, le décès de Philippe au plus tard sonne la dispersion de la famille. Selon la coutume, Jean a recueilli l’héritage paternel en tant que fils aîné et n’entend plus partager.

    Les deux sœurs ont aussi été sacrifiées. À la mort de leur mère, Marie, qui approchait ses douze ans a été la « petite maman » de ses cadets, se chargeant de tenir tant bien que mal la maison tandis que Marie Jeanne, six ans, l’a aidée de son mieux et a été la compagne attentive de Pierre, âgé d’à peine dix mois. Un lien particulier unira Pierre et Marie Jeanne puisqu’il la choisira en premier pour être marraine de ses enfants. Marie, bien qu’aînée, attendra un peu son tour.

    La complicité des deux plus jeunes portera ombrage à Jean qui ne leur proposera pas d’être parrain ou marraine. Seule Marie, à qui il reconnaît le même statut de « victime » des circonstances et de l’autorité paternelle, tiendra un de ses enfants sur les fonts baptismaux.

    Il est significatif que Marie restera à Selles dans l’ombre de son frère alors que Marie Jeanne s’éloignera davantage pour aller vivre à Colembert [2].

    Pierre SAILLY-LEFEBVRE a appris à bonne école le métier auprès de son père et de son frère. Polyvalent à n’en point douter ! Il part gagner sa vie. C’est peut-être lui qui vit à Rinxent en 1726 mais c’est assurément lui qui se trouve au Wast en 1730 à la veille de son mariage.

    À l’approche de la trentaine, paysan accompli quoique illettré, Pierre se fait apprécier d’une tribu instruite et organisée qui a une benjamine à marier mais sans parvenir à trouver de parti qui lui convienne. Il y retrouve un milieu analogue à celui de son enfance dans lequel il ne tarde pas à s’insérer.

    Bien qu’il reste des zones d’ombre (que des découvertes ultérieures pourraient dissiper) sur son enfance, son adolescence et le début de sa vie d’homme, il semble d’ores et déjà certain que Pierre SAILLY, fils de Philippe et de « Marie MAÎTRECHARLES » serait en réalité fils de Philippe SAILLY et de Jeanne LEFEBVRE.

    ◊ ◊ ◊

    Une bonne connaissance de la vie et des mentalités autrefois, acquise en ce qui me concerne par plus de trente-cinq ans d’expérience à travers diverses séries des Archives, est indispensable. Les fonds notariés et judiciaires notamment offrent un véritable portrait en creux de la société et permettent de fournir une interprétation cohérente d’un ensemble d’actes. Souvent, une documentation complémentaire est d’ailleurs nécessaire. La généalogie, c’est aussi cela. 

    Enfin, il faut parfois corriger une erreur, détecter un sobriquet ou une dénomination usuelle qui aura plongé tous les descendants dans des abîmes de perplexité.

    C’est, me semble-t-il, cette fois encore le cas de l’énigmatique Marie MAÎTRECHARLES.

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    [1]

    Cf. Baudechon > Pierre Baudechon > Pierre MOUCHON x Marie Madeleine CLERBOU dit BONINGUE.

    Cf. Marguerite HOVE > HURTREL > HOVE

    Cf. : « Le tuteur malgré lui » (Pierre Joseph, fils de Jean Baptiste, en réalité Étienne François DESCARPENTRIES et de Marie Joseph HERBAUT) in Douaisis-Généalogie, bulletin du CEGD.  

    Cf. : « Quand l’acte de mariage n’est pas filiatif… » (celui de Pierre POTTEZ, fils de Guillaume et de Catherine LE ROUX dite La Rochelle avec Marie Anne BEAURAIN) in un bulletin du GGRN.

    Cf. : « DELATTRE-FORÊT-DELATTRE (Marie Anne DELATTRE, sa mère, et autres familles) Faire parler les actes paroissiaux et d’état-civil » in Accord parfait, bulletin de ARPÈGE.

    Cf. Marie Jeanne BIGOURD

    [2]

    Il faut noter que le parrain de Pierre SAILLY-LEFEBVRE est Pierre NOËL et que ce patronyme se retrouve à Colembert. D’ailleurs, Marie Catherine MOBREUX, qui épousera Jacques SAILLY-MAÎTRECHARLES en 1767 avec une dispense pour le troisième degré de consanguinité, était servante chez son bel oncle Jean NOËL dit DECOMBOIS, aubergiste audit Colembert.

     

    Encore un grand merci à Vincent LÉCUYER !

    http://www.gennpdc.net/lesforums/index.php?showtopic=103240&hl


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  • Le succès des contes pour enfants, véritable instrument populaire d’éducation et d’initiation, résulte d’une plongée dans le tréfonds des mentalités et des réalités. Ce genre littéraire permet également une liberté d’expression toute relative qui n’a pas épargné Jean DE LA FONTAINE tandis que Charles PERRAULT a tranquillement pu publier en 1697 sa version du « Petit Poucet » en période d’appauvrissement suite aux rudesses climatiques et aux grandes famines qui caractérisent, sur fond de guerres, la fin de règne crépusculaire de Louis XIV, le Roi-Soleil. La précarité de la vie paysanne et plus encore celle de l’enfant, trop souvent sacrifié, y sont crûment exposées.

    Le généalogiste ne s’étonne d’ailleurs pas de constater que les abandons d’enfants, bien que rares, étaient plus nombreux quand sévissaient de graves difficultés économiques, particulièrement suite à des épidémies ou guerres dévastatrices.

     

    048. Abandon d'enfants

    « Tu vois bien que nous ne pouvons plus nourrir nos enfants. »

    « Le Petit Poucet », illustration de 1867 de Gustave Doré

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Petit_Poucet

     

    Nul doute que les classes aisées pouvaient rétribuer une famille nourricière pour la prise de charge de leurs bâtards qui étaient parfois légitimés et mis au service de leur famille, l'exemple venant d'en haut : Henri IV et Louis XIV pour les plus récents.

    La persistance d’abandons sporadiques laisse entrevoir d’autres causes dont la principale est l’illégitimité. La pression tant morale de l’Église que sociale de la communauté pesait sur les filles et femmes enceintes non pourvues de mari et rejaillissait sur les « enfants du péché ». Si on forçait les parturientes à révéler le nom du géniteur, ce n’était pas seulement par curiosité malsaine ni pour faire honte à la coupable voire la criminelle mais plus prosaïquement pour savoir d’où vient l’enfant afin d’éviter une union consanguine ultérieure et surtout, parce que les raisons économiques ne sont jamais absentes, trouver à qui incombera l’entretien d’un petit indésirable qui risquerait d’être supporté par la solidarité communale. Il ne faut jamais oublier que le mariage était – et reste – avant tout une institution dont la fonction est d’attribuer les enfants d’une femme à son époux, à charge pour lui de prouver le cas échéant qu’il ne saurait être le père.

    Sur fond de superstitions, une fille-mère avait tout intérêt à dissimuler sa grossesse et son accouchement qui la dévalorisaient considérablement sur le marché matrimonial. Au milieu du XXe siècle, certains croyaient encore que la portée entre un chien et une chienne dotés toux deux d’un pedigree impeccable ne pouvait être considérée comme de pure race si elle suivait une portée bâtarde ! De là à extrapoler à l’espèce humaine…

     

    Si nous sommes bien renseignés sur les circonstances de l’abandon et la vie de ces petits infortunés au XIXe siècle, nous le sommes nettement moins pour les siècles antérieurs. La raison en est simple : la Révolution française a retiré la tenue de l’état civil au clergé pour la confier aux municipalités. Dorénavant, l’enfant trouvé sera amené à la mairie qui le fera acheminer vers un hôpital et il sera pris en charge par une organisation avec ses règles et textes de lois. On dispose ainsi d’archives et il est possible de retrouver au moins ses conditions d’existence et les principales étapes de sa vie.

    Auparavant, on alertait le curé pour qu’il baptise l’enfant et le mayeur qui était en principe chargé de subvenir aux besoins et à l’éducation de tout enfant découvert sur l’étendue du territoire dont il assumait les responsabilités. Il lui trouvait d’urgence une nourrice puis le confiait à une famille nourricière rétribuée sur les fonds de la communauté. Le plus souvent, il le remettait à une institution charitable privée qui pouvait aussi recueillir des orphelins pauvres mais ces établissements n’ont guère laissé d’archives. Le mayeur ne manquait pas d'alerter le bailli qui diligentait une enquête pour retrouver au moins la génitrice mais les investigations aboutissaient rarement.

    Les circonstances de l’abandon suggèrent que certains nourrissons ont été abandonnés à contrecœur en leur offrant le maximum de chances de survie tandis que d’autres ont été quasiment traités comme des déchets à la limite de l’infanticide. Cette observation est à rapprocher du cas des enfants naturels dont la survie oscille généralement entre trois et huit jours, mortalité indiscutablement supérieure à celle des premier-nés légitimes sans que cette hécatombe émeuve. Il ne faisait pas bon vivre sa vie ou naître hors du cadre conjugal autrefois.

     

    Le sujet a fait couler beaucoup d’encre… Des recherches sont possibles. Certes, elles sont aléatoires et on ne pourra pas toujours mettre un nom sur la mère et encore moins sur le père mais les articles, ouvrages et discussions seront consultés avec profit pour se faire une idée du sort de ces enfants.

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    Pour en savoir plus :

    http://www.gennpdc.net/lesforums/index.php?showtopic=111331&hl=

    http://www.gennpdc.net/lesforums/index.php?showtopic=1965

    http://www.gennpdc.net/lesforums/index.php?showtopic=11514

    http://www.gennpdc.net/lesforums/index.php?showtopic=11515

    http://www.gennpdc.net/lesforums/index.php?showtopic=123369

    http://www.gennpdc.net/lesforums/index.php?showtopic=12482

    Voir en particulier le très riche site de Jean-Marie QUARESME sur les enfants trouvés à Namur au XIXe siècle.

     

    La spécialiste de la question est la généalogiste Myriam PROVENCE.

    « Guide des recherches sur les enfants naturels et abandonnés » (opuscule) Brocéliande, 7 bis, rue César-Franck, 75015 Paris.

    Voir aussi l’article paru dans RFG n° 139, avril-mai 2002.

    Claude GRIMMER « La femme et le bâtard, amours illégitimes et secrètes dans l’ancienne France » Presses de la Renaissance, 1983.

    Elisabeth BADINTER « L’amour en plus, histoire de l’amour maternel XVIIe-XXe siècle » Flammarion, 1980.

    Guy TASSIN « Se marier, ni trop près, ni trop loin. Les habitudes matrimoniales dans un village au XVIIIe siècle », article paru dans Généalogie Magazine n° 208 octobre 2001 pp. 18-25.

    et pour de plus amples détails :

    Guy TASSIN « Mariages, ménages au XVIIIe siècle – Alliances et parentés à Haveluy » Préface de Françoise HÉRITIER L’Harmattan, 2001.

    Robert MUCHEMBLED « les derniers bûchers. Un village de Flandre et ses sorcières sous Louis XIV » Ramsay, 1981.

    Dominique SIMONNET, Jean COURTIN, Paul VEYNE, Jacques LE GOFF, Jacques SOLÉ, Mona OZOUF, Alain CORBIN, Anne-Marie SOHN, Pascal BRUCKNER et Alice FERNEY « La plus belle histoire de l’amour » Le Seuil, 2003.

     


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  • Il ne s'agit évidemment pas de mettre systématiquement en doute les actes, de baptêmes ou autres, qui ne permettent pas de faire avancer les recherches mais plus simplement, à la lumière des deux cas suivants, d'attirer l'attention sur la possibilité de rencontrer des actes à la sincérité toute relative.

    Tout d'abord, il faut garder à l'esprit que le livret de famille n'a été instauré que suite à l'incendie de l'Hôtel de Ville de Paris en mai 1871. Il a alors été décidé de créer un "livret [qui] sera l'arbre géologique (sic) de la démocratie"  ! Pour plus de détails, nous vous invitons à consulter Wikipédia et surtout l'excellent site de la famille Granger-Thomas*

    Les passeports, cartes d'identité, permis de conduire, etc... toutes pièces permettant de prouver son identité étaient évidemment inconnus de nos aïeux jusqu'à une période relativement récente. Les usages puis la Loi se contentaient de témoins qui attesteraient le cas échéant « être mémoratifs » de l'évènement et qui reconnaitraient les signatures ou marques apposées au bas de l'acte.

    Le premier acte ** concerne un garçon illégitime baptisé à Valenciennes, paroisse St-Géry : « L’an mil sept cent cinquante huit le sept novembre fut baptisé pierre Antoine joseph, né hier à onze heures du soir fils illegitime de … et de Marie Louÿse Cauchÿ native et Residante a la Croisette proche st amand, libre, la sage femme Caroline Leblanc rue du verger, laquelle nous a declaré que la ditte Cauchÿ lui avoit affirmé par les serments ordinaires dans les maux que son enfant estoit des œuvres de jacqs noel dupont libre Resident au même endrois, parin jean Baptiste henneton Clerc de cette paroisse, Marene Caroline Leblan sage femme susditte estoient signés Cleblanc pour ma mère, jBhenneton – n demourin vic ».

    Si les habitants d’Hasnon ne s’étaient pas étonnés d’un remue-ménage inhabituel ressemblant fort à une scène d’accouchement, le procureur d’office et le bailli du lieu n’auraient pas enquêté, l’acte de baptême serait resté celui d’un « enfant sans suite » et nous ne saurions rien du drame familial qui avait eu lieu.

    Marie Joseph CANTRAINE, jeune fille un peu prolongée s’était laissé aller, « un peu en boisson » ce jour-là, à une brève rencontre au coin du bois de Vicoigne avec un inconnu. Déniant sa grossesse, elle avait réussi à la dissimuler aux yeux de tous jusqu’à l’accouchement un matin sans autre aide que celle de la maisonnée. La famille, atterrée, a aussitôt cherché « Le moÿen pour Tacher de Couvrir L’honneur » de Marie Anne Joseph « d’Eloigner Secrettement Cet Enfant ». Le nouveau-né a été amené la nuit suivante à Valenciennes chez une sage-femme de confiance qui se chargerait du baptême et de l’abandon chez les Enfants trouvés de Paris.

    Il faut remarquer que les faux noms n’ont pas été choisis au hasard. Les registres paroissiaux d’Hasnon commencent en 1677, plusieurs Cantraine y vivent déjà. Il était donc hors de question de s’inspirer des patronymes d’habitants d’Hasnon. Mais Marie Claire BISEAU et Jeanne Michelle FONTAINE, respectivement mère et grand-mère maternelle de Marie Joseph CANTRAINE, étaient natives de Wandignies Hamage. L'aïeule avait certainement connu Antoine DUPONT qui y avait épousé Marie BIZEAU. Par ailleurs, le patronyme CAUCHIE se rencontre dans le Valenciennois.

    Marie Anne Joseph, qui n'était pas un monstre mais qui n'avait pas eu le choix, attendait des nouvelles de son enfant... Des recherches approfondies pourraient révéler qu'il a malheureusement eu une courte vie tant la mortalité de ces petits indésirables était effroyablement élevée. Connaissait-elle cette terrible réalité ?

    Le second acte, toujours en la paroisse St-Géry à Valenciennes, est encore plus rocambolesque : « Le dix neuf janvier mil sept cent dixsept Marie Joseph, fille illégitime d’Anselme pastorel et de Marie jeanne ferin »... Ladite Marie Jeanne FERAIN, sa mère, qui ne voulait pas élever cette enfant, a fait part de sa décision au géniteur, Michel Anselme DESFONTAINES écuyer, Sr de la Barre, demeurant à Douai, conseiller secrétaire du roi, maison et couronne de France qui avait le même souci de discrétion et qui a dû trouver une nourrice. Il a donc demandé au sieur Martin DESCHAMPS, receveur du duc d’Aremberg, demeurant précisément à Valenciennes de régler ce problème. Ce dernier, aidé de sa propre mère, va tout organiser. La paternité de l’enfant sera imputée à PATOULET ou PASTOURELLE, domestique du sieur BALICQUE, maître des Eaux & Forêts à Valenciennes. La sage-femme chargera Antoine MALLET « remoleur autrement dit gagne petit », demeurant aussi à Valenciennes, époux de Marie Barbe… FERAIN, de conduire nuitamment l’enfant entre Denain et Escaudain, près d’une chapelle, pour le remettre à une vieille femme avec une hotte qui a pris le chemin d’Escaudain…

    Marie Joseph sera élevée au village de Masny chez Antoinette DESCHAMPS, femme borgne et cousine germaine dudit Martin DESCHAMPS et Etienne MORELLE, son époux. À noter que le mayeur de Masny était marié à une MALLET… La mère confiera qu’elle « etait contente du père ». Elle se mariera quelques années plus tard avec Pierre WARNYE qui ignorait le passé de sa femme et le couple demeurera à Valenciennes.

    Mais au fil du temps, la nourrice ne sera plus payée si bien qu’un accord sera passé le 21 août 1723 entre le couple et ledit Martin DESCHAMPS : pour 450 florins, les parents nourriciers deviendront parents adoptifs. On en profitera pour brouiller encore un peu plus les pistes. La transaction sera passée « pour et au nom » du sieur Charles François Dominique DELAPORTE, écuyer, Seigneur de BEAUPREZ, capitaine « en espaigne dans une compaigniz des garde wallonne » son prétendu père et Estienne MOREL sera nommé Estienne DELFOSSE. Le couple investira la somme dans un petit lopin de terre et la fillette, devenue « grandelette » sera conduite à Douai par celle qu’elle appelait « sa mère » soi-disant pour parfaire son éducation, en fait pour être placée comme servante chez des débitants de boissons.

    Michel Anselme DESFONTAINES se tenait discrètement informé du sort de sa fille adultérine. Traversant à l’occasion le village, il lui a parfois fait la charité mais il s’est refusé énergiquement à la reconnaître quand, en 1743-1744, Marie Joseph, qui se considérait comme « vendue » et qui a fait preuve de beaucoup de ténacité pour percer le secret de ses origines, l’a attrait en justice***.

    Prudence donc avec les actes de baptême d'enfants illégitimes surtout si la mère ne semble pas avoir accouché dans sa paroisse ! La consultation des archives judiciaires s'impose.

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    * http://www.webgt.net/cousins/etatcivil.php?offset=7 

    ** AD59 E 1271/2 et « Un abandon d’enfant à Valenciennes en 1758 » publié dans « ACCORD PARFAIT » n° 27, bulletin de l’association ARPÈGE.

    *** AD59 Cumulus RDC 202/18, Cumulus RDC 222/36 et VIII B 1ère série 27773.

     


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