• Le prêt sur gage entre particuliers

    Le prêt sur gage entre particuliers

     

    Les archives judiciaires renferment quantité de litiges sur la propriété d’objets accaparés ou confiés volontairement par un tiers et sur la difficulté à les récupérer,… Certains sont clairement des prêts sur gage entre particuliers mais d’autres qui y ressemblent fort n’osent pas dire leur nom.

    Le tabellion, pourtant riche en obligations assorties ou non de caution et de rentes garanties par des terres, jardins ou édifices, ne fait pas état de ces prêts sur gage entre particuliers. Rien de tel non plus parmi les accords* ou conventions** voire transactions***.

    Il ne s’agirait donc que d’arrangements de gré à gré, pris sans précautions particulières entre personnes qui se connaissent plus ou moins. Ne pouvant manifestement s’appuyer que sur les usages coutumiers en matière de jouissance et de propriété, voire interférer avec eux, ils dépendent in fine de la bonne foi des parties.

    Les écueils sont importants, le premier étant l’évaluation de la valeur du gage par rapport au montant du prêt. Si les deux parties sont convaincues que l’estimation a été correcte, si le propriétaire du gage préfère payer pour le récupérer, si le prêteur n’est pas particulièrement intéressé par l’objet – qu’il ne se gêne pas d’utiliser – et si aucun des deux ne change d’avis entre temps, les conditions sont réunies pour que tout se passe comme prévu. Sinon, l’emprunteur peut préférer abandonner son bien et le détenteur se laisser facilement aller à la tentation de spolier le propriétaire.

    Les nuances de langage peuvent échapper à des esprits frustes ou au contraire être utilisés astucieusement pour créer un malentendu constituant ainsi une source de sérieuses difficultés. En effet, dans la mentalité populaire, la distinction entre déposer, prêter, rendre, laisser la jouissance, laisser en gage, donner, confier, reprendre en cas de besoin, abandonner, détenir, posséder, utiliser, avoir en jouissance, être légitimement propriétaire,… pouvait être d’autant plus approximative que le temps passait. L’adage veut d’ailleurs que « possession vaut titre (de propriété) » à condition toutefois qu’elle soit « paisible » (sans contestation) puisque « qui ne dit mot consent » et que la détention s’étale sur une période suffisamment longue****. C’était parfaitement reconnu pour des terres d’autant que le bénéficiaire les a maintenues en l’état de culture préservant ainsi leur valeur. Un autre adage sert à éluder les demandes de restitution : « donner, c’est donner et reprendre, c’est voler ! ». Encore faut-il s’entendre sur le sens accorder à « donner »…

    En famille, surtout recomposée, les limites peuvent être volontairement floutées si les circonstances s’y prêtent et il suffit d’un seul individu rapace pour semer la zizanie chez tous les autres, contraints à défendre leurs intérêts. Chacun y va alors de son interprétation toute personnelle.

    Ces ambiguïtés, extrapolations, et quiproquo savamment entretenus parfois, coexistaient avec un fort attachement au patrimoine familial – que l’on se devait de transmettre et si possible augmenter – et à la traçabilité des biens comme le prouvent le droit de proxime avec possibilité de retrait lignager et la succession des couples sans postérité où les héritiers de chaque côté s’empressent de se faire attribuer prioritairement ce qui provenait de leur propre famille.

    Excepté ceux qui se croyaient obligés de mener un grand train de vie, le commun des gens était donc très matérialiste. Surtout à la campagne, ils vivaient en quasi autarcie, se montraient économes de leurs deniers, dépensaient peu, jetaient encore moins, étaient plus traditionnalistes et méfiants que sensibles à la nouveauté, ne répugnaient pas à acheter d’occasion et usaient leurs effets jusqu’à la corde, récupérant broderies, dentelles, boutons et boucles de ceinturon, chapeau ou de chaussures. Quand on possède peu, on y tient beaucoup ! Ce qui peut passer pour de l’avarice n’empêchait nullement la solidarité, le dépannage et la mise à disposition d’autrui de matériel ou d’outillage. Dans ces conditions, il est logique que le vol ait été sévèrement puni.

     

    Florilège

     

    Un prêt sur gage simple et classique, ce qui n’exclut pas une ultime difficulté...

    L’« Extrait des registres des Ville et prevoté Roÿale de Maubeuge de l’audience ÿ tenue le cincq juin 1750 » nous apprend que le sergent VICQ a fait saisir des biens appartenant à Philippe HUBINET, marchand demeurant à Solrennes. Ce dernier parvient à réunir in extremis un paiement partiel et, pour le solde, propose une croix en gage. Le sergent accepte mais un litige portera sur les frais de procédure, les honoraires d’avocat et la valeur dudit gage (AD59 Cumulus RDC 208/17).

     

    ni les complications imprévues…  

    Louis SERVOTTE, marchand à Cambrai, détenait un « porte-manteau » rempli de tabac (sic), laissé en gage par ses débiteurs. Mais Guillaume MASC(A)REZ, aussi marchand à Cambrai s’en est emparé... L’affaire, portée en justice, devant l’Officialité de Cambrai traînera de 1699 à 1700 (AD59 Cumulus RDC 056/52/1).

     

    ni la mauvaise foi ni les chicaneries…  

    Catherine BURΫ « ditte Thrésor », fille libre (célibataire) demeurante à Cambrai porte bien mal son sobriquet car elle est impécunieuse. Elle a obtenu un prêt d’Alexandre COURTIN, garçon libre, majeur, demeurant à Cambrai, moyennant des vêtements et autres objets laissés en gage.

    En 1785, COURTIN s’ingénie par tous les moyens à empêcher la restitution des effets : mauvaise foi, manœuvres dilatoires, fourberies, tracasseries, intimidation, excès ruineux de procédure et de plus, « La MON MIDΫ sa mere » porte les vêtements de leur débitrice !

    Catherine est obligée de s’adresser aux Magistrat de Cambrai pour obtenir satisfaction.

    Ledit COURTIN, qualifié de « lombardiste » et d’« uzurier », sera effectivement condamné aux dépens (AD59 Cumulus RDC 254/55).

     

    Quand les circonstances ne sont pas favorables aux militaires : embrouilles…

    Avant de partir pour la campagne de 1693, soit probablement fin 1692, Nicolas DU LAURENT confie une montre d’or – et autres effets qui appartenaient en fait à des officiers mais qui avaient été mis en gage chez lui – à Jacques ROBILLART, maître maréchal à Tournai. Il aurait aussi mis en pension un cheval moyennant rémunération et foin mais ledit ROBILLART l’a renvoyé trois jours plus tard chez ledit DU LAURENT sans rien restituer.

    Quatre ans plus tard, Jacques ROBILLART est mort en octobre 1693, quelques jours avant le retour de DU LAURENT qui n’est toujours pas parvenu depuis à récupérer la montre Il en est à faire appel devant les conseillers du parlement de Flandres. Ces messieurs, qui détiennent présentement la montre, écoutent les témoignages contradictoires qui se succèdent…

    Entre temps, ROBILLART, un an avant sa mort, étant encore à marier, avait selon un témoin « paradé » et donné la montre – avec promesse de mariage – à une demoiselle pour obtenir ses faveurs. Puis il avait épousé Marie Marguerite CHASTELAIN qui, devenue veuve, s’était remarié avec Nicolas LEBRUN. À présent intimée, elle réunit des témoignages à l’avantage du défunt, insistant sur son aisance, sa probité et sa générosité…

    Un autre témoin déclare qu’un troc aurait eu lieu entre lesdits DU LAURENT et ROBILLART : montre en or contre réveil d’argent… Chacun y allant de son opinion et de ses préjugés sur le propriétaire ou possesseur de la montre et autres biens ou prêts (AD59 Cumulus RDC 135/1). 

     

    Une sacrée embrouilleuse !

    En 1779, le Magistrat de Cambrai (le mayeur et les échevins), embarrassés par une ténébreuse affaire, demandent l’avis ou des éclaircissements de la gouvernance de Douai et Orchies.

    La demoiselle BARÇON est (ou semble ou se prétend être) au service du sieur MALLET, trésorier des États… et donc notoirement solvable. Aussi quand elle vient acheter plus de 36 aunes* de toile passablement fine, donc assez chères, de la part dudit MALLET chez Antoine MONTIGNY, négociant à Cambrai, ce dernier ne se méfie pas. Ce qu’il ignore sans doute, c’est qu’elle a un pressant besoin d’argent…

    Elle remet la toile en gage au sieur MONIEZ, marchand, pour « sureté d’une somme de quatre louis pour laquelle elle avoit fait un billet a ordre** pour un mois » au profit de Robert FENIN.

    Mais ledit FENIN, qui n’est pas payé, s’adresse à la justice qui condamne ladite BARÇON et ordonne la vente de la toile, puisque gage de la somme portée sur le billet.

    Devant l’embrouille, MONIEZ, qui détient le gage, préfère ne pas s’en dégarnir… et il se retrouve devant les juges à la requête desdits MONTIGNY et FENIN lésés dans cette affaire. Interrogée, ladite BARÇON reconnait tout avec candeur, ne réalisant sans doute pas que le vol domestique*** était passible de la pendaison ! (AD59 Cumulus RDC 083/6).

    * 1 aune valait 4 pieds

    ** le billet à ordre est un précurseur du chèque bancaire

    *** vol par un domestique ou une servante envers son maître (employeur)

     

    Dénouements imprévus…

    En 1679, Jeanne REGNART, veuve de Julien G(U)ILLEMAN, demeurant à Ath est gravement malade. Un linceul n’a pas de poches… Elle remet 1700 livres à Jean DU BOIS, curé de St Julien et doyen de chrétienté de Chièvres. Peut-être pour son salut éternel ? L’année suivante, elle se porte bien mieux et souhaite rentrer en possession de son bien mais ledit curé, lui, est décédé. Elle se tourne alors vers Me Valentin DU BOIS, aussi prêtre demeurant à Louvain et neveu dudit feu curé et vers Me Pierre François DU BOIS, prêtre étudiant à l’université de Louvain probablement autre héritier du défunt curé. Elle en récupère une partie mais doit s’adresser à l’Officialité de Cambrai pour obtenir restitution du solde de 976 livres (AD59 Cumulus RDC 121/78).

     

    Une caution en nature qui équivaut à une mise en gage

    En Thermidor An 12, Jacques-Joseph DEFRENNE, cultivateur à Nomain, a imprudemment offert sa caution sous forme de fruits de sa future récolte…

    Mal lui en a pris : Jacques Alexandre LEFORESTIER, propriétaire à Vendeuvre et créancier a fait saisir les fruits au grand dam dudit DEFRENNE qui en réclame la restitution « attendu qu[’ils] sont en maturité ».

    Le tribunal civil de Valenciennes lui a donné tort, il va en appel mais la partie est loin d’être gagnée pour lui… (AD59 Cumulus RDC 206/40).

     

    Ne pas confondre un gage et une gageure (pari) quoique…

    En 1671, Pierre BETOURNÉ, sellier, étant dans une taverne en compagnie de Pierre CAMBIER et autres consommateurs s’est laissé aller à une gageure de 10 pistoles. Il a perdu… Mauvais perdant, il refuse de s’exécuter au motif qu’ils étaient tous deux pris de boisson, ce qui est cause d’annulation. Les juges de l’Officialité de Cambrai vont entendre les témoins et apprécier… (AD59 Cumulus RDC 063/37).

     

    Un gage… d’amour ?

    Elisabeth DELACROIX a donné une bague en or à Pierre LAMOURET (le bien nommé, ça ne s’invente pas !) dont tout laisse à penser qu’il était son fiancé… avant son mariage avec Jacques CHARLET.

    En 1695, Jean Henri DELACROIX, bourgeois maître coreur (forme picarde de corroyeur) à Cambrai et père de ladite Elisabeth a recours au juge aux affaires matrimoniales de l’officialité de Cambrai pour obtenir la restitution du bijou (AD59 Cumulus RDC 020/41).

     

    Un gage humain !

    En 1789, Me MOITY, avocat au parlement de Flandres, en sa qualité de tuteur judiciairement établi des enfants du sieur DELALEU de SAINTE PREUVE, fait assigner devant le parlement de Flandres Jean Baptiste DE LA FOURNIERE, ancien maître de pension à Vincennes, bourgeois de Paris y demeurant, et Louis Joseph PODEVIN, procureur au Magistrat de Cambrai, y demeurant et curateur judiciairement établi du sieur DELALEU de SAINTE PREUVE.

    L’enfant mineur est fortuné « jusqu'à quatre a Cinq mille livres de Rente ». Il est hébergé par ledit DE LA FOURNIERE moyennant une pension qui doit être versée par ledit PODEVIN mais le montant fait l’objet d’un sérieux litige. Ledit DE LA FOURNIERE, demandeur, tente de forcer la main dudit PODEVIN en… détenant l’enfant « en gage de sa creance » impayée !

    Me MOITY, s’insurge contre cette prise d’otage d’autant qu’il craint des reproches de la part des parents de l’enfant ou du pupille lui-même à sa majorité. Il réclame la restitution immédiate dudit enfant mineur (AD59 Cumulus RDC 151/2).

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    * Comme le nom l’indique, les partenaires s’engagent ou vont s’engager dans une situation économico-financière voire la solder. Ils se font a priori confiance mais préfèrent acter leur accord pour que la situation soit claire, notamment par rapport aux tiers.

    ** La convention est ensemble de mesures adoptées par les deux parties, définissant leurs droits et leurs devoirs, avant de s’engager dans une association pour éviter tout malentendu ultérieur.

    *** La transaction est plutôt « un mauvais accord préférable à un bon procès ». Elle est conclue pour mettre fin à un litige faute de convention préalable ou face à une fâcheuse situation de fait.

    **** Cf. La possession de meubles vaut titre de proprieté : conditions, effets et recours : 

    https://www.legavox.fr/blog/maitre-anthony-bem/possession-meubles-vaut-titre-propriete-2529.htm 

     


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