• Les actes passés devant l'échevinage

    Ces actes (conservés en série E des AD mais aussi G et H) peuvent apporter des éléments similaires aux actes notariés bien que leur rôle ne soit pas exactement le même. En effet, le notaire traite du droit des personnes qu'il officialise tandis que l'échevinage est chargé des intérêts de la communauté dont il a la charge. 

    Pour bien comprendre ce que ces documents divers et variés apportent aux généalogistes et comment les trouver, il importe de connaître, au moins schématiquement, ce qu'est un échevinage, son rôle et ses pouvoirs.

    Au plan territorial, il s'agit d'un village sous la dépendance d'un seigneur, propriétaire d'un ou de plusieurs villages. Il appartient généralement à la noblesse - ou le prétend, tel le seigneur de Bouvignies à qui on donnait du "baron" sans que cela soit indubitablement attesté - mais il peut aussi être une communauté religieuse voire plus rarement un particulier. Le seigneur nomme le mayeur (le plus souvent choisi parmi les plus gros censiers), qui doit prêter serment, et les échevins qui officient à leur tour. Pour mémoire, le seigneur a aussi droit de justice haute, moyenne ou basse selon les cas. C'est le vieux système féodal qui, faute d'avoir su évoluer, sera anéanti par la Révolution.


    Le village coïncide généralement avec la paroisse, entité religieuse qui relève in fine en général de l'évêché mais des cas particuliers peuvent se présenter : un village - et sa paroisse - peut appartenir à une abbaye comme Vred et Pecquencourt, propriétés de l'abbaye d'Anchin. Elle peut au contraire regrouper plusieurs petites seigneuries en leur totalité ou en partie ou encore être incluses. Ainsi, la paroisse de Waziers se trouvait au carrefour de la Flandre, de l'Artois et de l'Empire avec des régimes fiscaux différents, offrant de belles opportunités aux fraudeurs de bières et eaux-de-vie... Dans la dernière partie du XVIIIe siècle, la minuscule seigneurie Piquenne Le Roy, incluse dans la ville d'Orchies, appartenait à un médecin lillois qui veillait jalousement à la perception de ses droits seigneuriaux à chaque mutation de propriété.

    En zone urbaine, l'échevinage peut être celui de la ville seule ou avec ses dépendances comme à Douai par exemple. Au Moyen-Âge, les villes ont obtenu, de haute lutte, des chartes, c'est-à-dire une relative autonomie qu'elles ont su pérenniser suite aux guerres de conquête de Louis XIV en particulier. Dans les Hauts de France, les magnifiques hôtels de ville avec leur arrogant beffroi, sa bretèque et son beffroi abritant un carillon rivalisent avec l'église, sa chaire, son clocher et ses cloches, ce qui en dit long sur les conflits de pouvoir entre la ville bourgeoise et l'autorité religieuse. Pour mémoire, les villes, au moins les plus importantes, comptent plusieurs paroisses mais Guînes, importante bourgade de plus de mille habitants - dont il est vrai une forte proportion de protestants ignorés des registres paroissiaux - n'en comptait qu'une.

    Au plan administratif, l'échevinage applique évidemment les directives provenant des différents niveaux de sa hiérarchie, établissant ainsi l'assiette des impôts ordinaires et supplémentaires, nommant en temps de troubles des vigiles et des miliciens, réquisitionnant des ouvriers pour les fortifications de Vauban ou des corvéables (qui disent avoir été "courroucés"),... Des listes étaient dressées et en cas d'homonymie, un surnom ou le prénom du père levait toute ambiguïté.

    L'échevinage dicte au besoin ses propres règles concernant l'espace public : interdiction de lancer des boules de neige, lestées ou non de cailloux, sur les personnes au sortir des offices religieux, de tirer des coups de fusil en l'air (fantasia) ou par la fenêtre lors des baptêmes, de se masquer le visage lors du Carnaval,... Il lui arrive de prendre des mesures d'urgence contre des forcenés. Il entretient aussi ou fait entretenir les "parties communes" : chemins, curage des fossés, attribution des parts de marais,... et veille au respect des droits des propriétaires, n'hésitant pas à mettre en fourrière les bestiaux pâturant illégalement dans les champs, jardins et marais. Là encore, des noms apparaissent.

    Qui dit impôts, dit aussi possession de biens ! Sous l'Ancien Régime, la richesse était essentiellement terrienne. L'échevinage a donc besoin de connaître à qui appartient chaque parcelle de son territoire. Il conserve ainsi dans le "ferme" (un coffre sous la garde du mayeur) une copie de toutes les mutations de terres et d'habitations qui y ont eu lieu : ventes, successions, prise de garanties, hypothèques, saisies,... où que soient passés les actes ! Plus conservateurs que nous, nos ancêtres ne se posaient pas la question de savoir à partir de quel délai on pouvait opérer un classement vertical puisque ces actes pouvaient toujours servir à justifier droits et prétentions ! Malheureusement trop d'archives ont disparu par la suite. En conséquence, l'échevinage procède aussi à la vente aux enchères des biens saisis ou des successions complexes, litigieuses ou sans héritiers connus.

    L'échevinage agrée ou refuse les demandes de marchands ou d'artisans désireux de s'installer sur son échevinage pour y exercer leur "traffic" pour "le plus grand prouffit de la communauté". Un certificat de bonne vie et bonnes moeurs délivré par le curé de la paroisse d'origine est aussi requis ainsi que des preuves d'autonomie financière. Un tel document non seulement rend inutile la recherche plus au-delà de cette famille où le père exerçait mais surtout il fournit son lieu d'origine.

    L'échevinage autorise ou non les demandes de vente de biens selon le réemploi de leur produit. En effet, le pater familias avait le devoir de transmettre - et si possible d'accroître - ses biens et ceux de son épouse à leurs héritiers. La dilapidation était si réprouvée qu'elle justifiait l'envoi des fils de famille en prison (voire à la Bastille) à la demande des ayants droits. Par contre, si le demandeur était dans l'absolue nécessité de vendre ou s'il désirait financer une formation professionnelle à un de ses enfants ou encore de lui octroyer une rente pour entrer en religion, sa requête avait d'excellentes chances d'aboutir... à condition que les autres membres de la famille y consentent, n'y voyant aucun inconvénient ou renonçant à leurs propres droits ou s'engageant à honorer le contrat en cas de défaillance des contractants.

    L'échevinage a aussi un rôle social tempéré toutefois par ses possibilités financières : il veille aux droits des orphelins mineurs ; il gère si nécessaire leurs maigres biens et doit parfois se résoudre à les mettre aux enchères à rebours pour les placer à l'année dans une famille d'accueil ; il doit se charger des enfants trouvés ; il apporte des aides diverses aux malades et aux nécessiteux ; il prend éventuellement en charge les frais occasionnés par ses ressortissants à l'extérieur. La condition est d'être natif de l'échevinage. Ainsi un individu retrouvé gravement blessé d'un coup de feu (apparemment une tentative de suicide) dans un champ du Cambrésis a été soigné jusqu'à son rétablissement puis mis sur une charrette et renvoyé, factures à la clé, à Cassel, son village d'origine dont le magistrat (autre appellation pour le mayeur et ses échevins) refusait de régler tout dédommagement, encourant ainsi un procès.

    Enfin, l'échevinage exerçait en pratique le droit de justice dévolu au seigneur dont il lui arrivait défendre les intérêts. Il représentait la communauté dans n'importe quel conflit. Il arbitrait aussi les différends entre particuliers selon la coutume locale : cela pouvait aller des insultes ("putaine", "maquerelle" et "bougre", c'est-à-dire sodomite, étant les plus courantes), blasphèmes, coups et blessures, rixes parfois mortelles de cabaret... jusqu'aux procès pour infanticide ou sorcellerie, quitte à se faire assister pour les cas les plus graves qui pouvaient échapper à leur compétence comme dans la terrible affaire de sorcellerie à Bouvignies en 1679. Il soldait aussi les successions litigieuses. C'est ainsi qu'au décours d'un procès, on peut découvrir un testament ou un contrat de mariage au titre des pièces versées. On ne s'étonnera pas de savoir que le gros des affaires traitées était cependant les impayés de toute sorte.

    On y voit donc défiler des justiciables, leurs victimes et des témoins qui, outre leur déposition fidèlement et savoureusement transcrite ou délicatement reformulée, déclinent leur âge, le nom de leur père, leur lien de parenté, de voisinage en relation avec l'affaire ou entre eux, leur profession, parfois des étapes de leur vie et tous détails utiles pour l'enquête. Renseignements d'autant plus précieux que les juges, plus rigoureux que nombre de curés, vicaires et clercs, contrôlaient et recoupaient tous ces éléments. Ils sont donc fiables.

    Plus rarement, il arrivait au magistrat de trancher dans des cas de vente avec demande de "reprise par proxime" refusée (Ces affaires présentent le même intérêt qu'une dispense de consanguinité).

    Cet inventaire succinct des documents disponibles donne une idée des possibilités qui s'ouvrent au généalogiste. Ils font entrer au coeur de la vie des citadins et des villageois, révélant au passage leur quotidien, leurs préoccupations, leurs vicissitudes et, à travers ces péripéties, leur mentalité à la fois si proche et si éloignée de la nôtre.

    "Cherchez à qui appartient la terre !"

    C'est en substance le conseil que Catherine Dhérent, ancienne directrice des AD62, donnait aux généalogistes qui avaient épuisé les BMS et le tabellion.

    Plus prosaïquement, des actes mettront au jour, à travers des biens, des lieux d'origine insoupçonnés et des antériorités de propriété avec parfois mention de cession par succession ou par achat.

    Ce sont ces recherches sur la traçabilité des terres et habitations qui permettent de retrouver l'ascendance des familles de riches censiers ou de seigneurs locaux, lesquelles peuvent, dans le meilleur des cas, mener à une ascendance flatteuse.

    Remarques importantes 

    Cet article ne vise qu'à orienter le généalogiste vers des sources insuffisamment connues pour qu'il puisse poursuivre et étoffer ses recherches. Il ne peut traiter que de généralités : entrer dans les détails nécessiterait un travail considérable. Il ne saurait non plus être exhaustif pour les mêmes raisons.

    Il alerte cependant sur l'incroyable variété de situations que présentait l'Administration à la fin de l'Ancien Régime, complexité acquise progressivement au fil des aléas de mille ans d'Histoire et de l'évolution notamment de la jurisprudence. Ainsi, une nouvelle compétence a pu échoir aux échevinages ou leur être retirée comme le montre le cas d'une enfant, pourtant exposée en 1725 tout contre la porte de l'Abbaye de Flines-les-Râches manifestement pour leur être confiée, a été à la charge du village parce que ces Dames avaient, dans un cas similaire en 1714, obtenu gain de cause auprès du Conseil souverain du Roi. Rien n'était figé dans le marbre : il y a eu des "avant" et des "après". 

    Il ne faut pas oublier non plus qu'avant Internet, les messages officiels circulaient fort bien via un réseau bien structuré mais qu'il n'en était pas toujours de même pour les diverses informations susceptibles de rendre service à la population comme un récent arrêt faisant jurisprudence, d'où des décalages parfois entre des décisions et leur généralisation.

    Il faut enfin noter que les affaires familiales ne portant pas sur les biens (quoique, à y bien regarder...) mais sur les sacrements et les moeurs relevaient des tribunaux ecclésiastiques appelés officialité (du diocèse).

    Bonne chance dans le maquis !

     


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :