• "Régulation des naissances", avortements et infanticides

    Quand on se donne la peine de relever tous les enfants d'un couple, on ne peut qu'être saisi de compassion pour ces femmes perpétuellement enceintes ou allaitantes, mettant leur vie en jeu à chaque grossesse ou préférant quitter leur époux et refuser, malgré les pressions, de reprendre la vie commune. On comprend alors avec quel soulagement, les mères se soumettaient huit jours après l'heureuse délivrance au rite des relevailles et de la bénédiction religieuse qui marquaient leur retour au sein de la communauté de la paroisse et la reprise de leurs activités habituelles. Ce cérémonial, de nos jours abandonné par l'Église catholique, peut maintenant susciter des sentiments mitigés : valorisation de la fonction maternelle ou humiliation infligée à la femme, éternelle pécheresse, à travers la "purification" ? À chacun son opinion...

    Quoi qu'il en soit, sans réel moyen de contraception et malgré les impitoyables pressions économico-sociales, morales et religieuses, des filles sans mari et des veuves mettaient au monde des enfants considérés comme franchement indésirables. Il suffit de songer que, pris au sens littéral du terme, le lavage du linge sale en famille permet une très efficace surveillance gynécologique. Aussi en butte à la réprobation générale, ces femmes pouvaient être tentées par l'avortement voire par l'infanticide. Mais, respect de la vie oblige, tant l'Église que les rois luttaient contre ces pratiques. D'abord, ces femmes devaient déclarer leur grossesse : édit d'Henri II en février 1556, repris par un autre édit d'Henri III en 1585 et par la déclaration de Louis XIV du 26 février 1708 :   

     "...Toute femme qui se trouvera dûment convaincue d'avoir celé, couvert ou occulté tant sa grossesse que son enfantement sans avoir déclaré l'un ou l'autre et avoir pris de l'un ou l'autre témoignage suffisant même de la vie ou mort de son enfant lors de l'issue de son ventre et qu'après se trouve l'enfant avoir été privé tant du saint sacrement du baptême que sépulture publique et accoutumée, soit telle femme tenue et réputée d'avoir homicidé son enfant et pour réparation punie de mort et dernier supplice ..."

    Ces documents sont à rechercher dans les archives judiciaires, en série B des Archives départementales mais rares sont celles parvenues jusqu'à nous. Il se peut d'ailleurs que ces ordonnances aient été peu respectées. Négligence ? Déni de grossesse ? Espoir que la situation s'arrangera ?... Dans notre région du Nord, inutile évidemment de les rechercher avant le rattachement à la France...

     Quoique dangereux et pas toujours efficaces, quelques moyens abortifs étaient cependant connus. Au détour d'un acte, une allusion, une suggestion, une réputation révèlent que des secrets honteux circulaient dans les chaumières. Les vieux livres prêtaient des propriétés emménagogues à des plantes. Quelques pieds de rue (ruta graveolens) poussaient discrètement dans les jardins des grands-mères... "On" savait ou "on" croyait savoir les préparer pour "faire revenir les sangs" tellement capricieux...

    On espérait aussi « Faire descendre » ou « décrocher » l’embryon ou le fœtus en s’épuisant dans des travaux pénibles tels le port de lourdes charges, en sautant, en faisant du cheval, toutes activités interdites à toutes celles dont la grossesse est précieuse et aux futures mères d’enfants hautement désirés. Ainsi Anne d'Autriche, la très jeune épouse de Louis XIII, s'est vu reprocher des imprudences, causes supposées de ses fausses-couches. Marie de Bourgogne, fille de Charles le Téméraire, a fait une chute de cheval qui a été fatale à son enfant et à elle-même. De nos jours encore, des femmes du Nord proches du terme et impatientes d’accoucher ou craignant mettre au monde un enfant trop gros espèrent en finir plus vite en empruntant les routes pavées si possible sur un tracteur ou dans une vieille voiture à la suspension défaillante. 

    De l’auto-maltraitance à la maltraitance, le pas était vite franchi : compressions – les corsets n’avaient pas que des visées esthétiques – , coups de pied ou de bâton dans le ventre, … Si le fruit ne voulait toujours pas tomber, il restait à tenter d’aller le chercher : introduction de queues de persil, d’aiguilles,… et leur cortège d’hémorragies, d’infections. Fausses couches, avortements, fibromes, les femmes saignaient, c’était ainsi, personne ne s’en étonnait. Les commères cherchaient seulement à en comprendre la cause par l’observation des pertes et hochaient la tête d’un air entendu. Histoires de femmes, toujours un peu mystérieuses…

    Toutes ces pratiques n’étaient pas sans danger et leur incidence sur la mortalité se mesure en comparant celle des femmes célibataires de 15 à 30 ans par rapport à celle des hommes sur la même période. Une différence significative est à mettre sur le compte des avortements.

    Quand tout cela avait échoué, il fallait bien se résigner à mettre l’enfant au monde. La lecture des actes de baptême révèle comment ces parturientes étaient traitées : rejetées, menacées d'être privées de soins si elles ne dénonçaient pas le géniteur (qui, de son côté, les dissuadait parfois de "parler") ou du secours de la religion si elles se trouvaient en danger de mort, elles accouchaient en présence d'échevins chargés de recueillir leur déposition. Dans ces conditions, difficile pour elles de s'attacher à leur enfant surtout si sa conception avait été traumatisante.

    Dans un tel contexte, il ne faut pas s'étonner si des femmes partent accoucher en secret là où elles ne sont pas connues ou toutes seules sans aide aucune et si la mortalité périnatale de ces petits réprouvés était scandaleusement élevée, nettement plus que celle des premiers-nés légitimes. Ils mouraient généralement le lendemain, au plus tard après une semaine sans que personne s'en émeuve. Il faut bien admettre que leur disparition arrangeait tout le monde.

    Il est admis que le taux des naissances illégitimes relevées dans les registres de baptêmes était bon an mal an de 3 % environ sous l'Ancien Régime. Compte tenu de leur mortalité, leur taux de reproduction est nettement inférieur. Si on se fie aux tests génétiques actuellement commercialisés pour ceux qui souhaitent rechercher leurs origines lointaines ou découvrir ou encore vérifier leur parenté avec des contemporains*, il ne serait que de 1 %, ce que des filiations sans équivoque sur 300 à 400 ans tendraient à confirmer. Mais ces tests trouvent aussi des taux variables selon les milieux huppés ou prolétariens de ruptures de filiation masculine. Il serait surprenant que des chercheurs ne se penchent pas sur la question.

    Encore fallait-il être suffisamment habile pour ne pas se faire trop remarquer et ne pas outrepasser les limites implicites de la tolérance. Les paysans, fins observateurs de leur cheptel femelle, extrapolaient volontiers leurs connaissances à l’espèce humaine. Ainsi, de nombreux hommes savaient si leur compagne aurait un retard quelques jours plus tard. Ainsi allaient les choses mais quelques rares affaires parvenues en justice lèvent un coin du voile : le dégonflement subit d’un embonpoint pernicieux... suivi de la découverte d’un petit cadavre a immédiatement déclenché une enquête et le suicide, probablement par erreur de dosage, de la maîtresse du curé a confirmé tous les soupçons. On voit aussi un chirurgien miséricordieux peser de toute son autorité pour sauver sa cliente, une fille suspectée.

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    * Cf. GenNPdC, François FOUCART, passionné par les tests génétiques appliqués à la généalogie : 

    http://www.gennpdc.net/lesforums/index.php?showtopic=138339&pid=662533&mode=threaded&start=#entry662533

    http://www.gennpdc.net/lesforums/lofiversion/index.php?t138094.html

     


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