• 029. Ripopée ou Lire, comprendre et interpréter les actes anciens

    Le généalogiste moderne type

    On lui a montré fièrement un arbre long comme un jour sans pain et exposé en quelques minutes combien c’était facile désormais grâce à Internet. Cela tombe bien, il est parfaitement équipé, souvent à l’affût des dernières innovations technologiques. On lui a expliqué que le plus difficile, c’était de commencer. Juste un mauvais cap à passer…

    Et après ? On va sur GeneaNet ou tout autre site analogue, on trouve tout, il serait surprenant si quelques lointains cousins n’avaient pas déjà fait le boulot. Il suffit de les « co-piller »… Ça occupe les longues soirées d’hiver et les étés pluvieux. Il ferait bien son arbre généalogique comme tout le monde, pour voir, vaguement…

    D’autres, probablement parce que ce sont les Mormons qui ont effectué le microfilmage des BMS, croient sincèrement que les Archives départementales disposent d’un gigantesque fichier et qu’en déclinant identité et quelques renseignements, on obtient une généalogie toute faite ! (Entendu lors d’une récente journée « Portes ouvertes » des Archives départementales du Nord !!).

    Si la généalogie n'était qu'un jeu consistant à surfer tranquillement chez soi pour piquer des fragments sur quelques sites bien connus et à les assembler vaille que vaille (J'ai ainsi découvert qu'un de mes aïeux était déjà père d'une fille âgée de trente ans quand il est né !) et, confronté à des versions différentes, à quémander sur d'autres sites laquelle est la bonne, alors ce passe-temps particulièrement chronophage n'aurait guère d'intérêt.

    Les généalogistes qui publient leurs propres travaux n’apprécient guère l'usage qui en est fait. Selon leur tempérament, ils s'agacent, se démobilisent ou s'en amusent. Des farceurs insèrent volontairement des erreurs voire des inepties pour les suivre à la trace… Les plus philosophes savent qu'il faut beaucoup semer pour que croissent quelques très belles plantes...

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    Selon les statistiques des Archives départementales du Nord, seuls 3 % des généalogistes fréquentant leurs salles de lecture poursuivent leurs recherches au-delà des BMS. L’éloignement des dépôts d’archives est certes un frein mais la principale raison est, Internet aidant, la méconnaissance des autres sources et ressources conjuguée à des méthodes de travail rudimentaires. Pourtant d’après Michel VANGHELUWE que les habitués de la salle de lecture n’oublieront pas de sitôt, pour tout individu vivant au XIXe siècle, il devrait être possible de rédiger une notice de cinq pages en moyenne.

    Lire, comprendre et interpréter les actes anciens

    Rien ne vaut le contact direct avec le document d'archives, l'original de préférence, celui que la main de nos aïeux a effleuré, à défaut sa version numérique mais, papier ou écran, quelques difficultés se présentent.

    D'abord, il faut se déplacer jusqu'au lieu de conservation de l'archive. Il faut noter à ce sujet que tous les actes déjà numérisés ne sont pas disponibles sur Internet. Certains ne sont consultables qu'en salle de lecture du dépôt d'archives. C'est le cas des NMD de moins de cent ans mais de plus de soixante-quinze ans et de tous les documents présentant un caractère confidentiel, c'est à dire les plus intéressants.

    Ensuite, il faut maîtriser suffisamment la paléographie pour décrypter l'acte. Le généalogiste n'a pas de chance : les curés, vicaires et clercs ainsi que les petits notaires, greffiers de justice et autres rédacteurs d'actes n'étaient pas tous, loin s'en faut, de distingués érudits à la calligraphie irréprochable. Ces derniers étaient au service des grands du royaume. Les malheureux généalogistes sont plutôt confrontés à des actes rédigés à la va vite avec de l'encre délayée sur du mauvais papier par des doigts engourdis par le froid ou handicapés par une maladie de Parkinson et malentendants de surcroît... Dans ces cas-là, on se rend vite compte que les manuels de paléographie ne sauraient dépanner efficacement et que la lecture tient à la fois du jeu de devinettes et du pendu voire du rébus quand il faut se raccrocher à la phonétique. C'est ce qui en fait tout le charme...

    Passons sur la dysorthographie des rédacteurs... Cela aurait pu être pire - et plus distrayant - si Douai n'avait pas été siège d'une Université. Considérons plutôt la syntaxe qui a passablement évolué depuis l'Ancien Régime. Il convient d'être particulièrement attentif pour éviter des contresens ou plus simplement des abimes de perplexité quant à l'interprétation des liens de parenté indiqués dans les actes notariés et les dispenses de consanguinité. Quand Jules est "assisté" de Firmin, cousin au troisième degré du côté maternel, il faut comprendre que la parenté est à rechercher du côté de la maman de Jules et pas de celle de Firmin. Évident ? Pas pour tout le monde.

    De plus, le vocabulaire a aussi ses pièges. J'ai souvenir d'avoir expliqué en vain que "neveu" et "nièce" pouvaient signifier "petits-enfants". Pourtant certaines phrases, telles "la testatrice donne à ses neveux et nièces, enfants de sa défunte fille..." sont sans ambiguïté.

    Cette étape franchie plus ou moins péniblement, il faut comprendre le texte replacé dans son contexte social. De beaux restes de culture historique ne sont pas superflus mais il est indispensable de les compléter par la lecture de quelques bons ouvrages d'histoire locale, oeuvres d'historiens qui n'écrivent pas à la légère. On ne se laissera pas leurrer par des romans dits historiques, aussi estimables soient-ils, dont le but est seulement de distraire le temps de parvenir à la dernière page. Ainsi, on saura situer dans le temps et apprécier le témoignage d'un aïeul décrivant des pratiques antérieures au traité des Pyrénées ou un événement survenu au temps des Autrichiens.

    Certaines situations exigent une certaine expérience des textes anciens autres que les BMS et le notariat. Nous avons ainsi redressé une interprétation fallacieuse. Tout s'y prêtait : écriture relâchée, syntaxe brouillonne, mots inconnus. Quelques généalogistes, réunis à la permanence de leur association, peinaient à venir à bout d'un acte de décès. L'un deux a cru comprendre que la grille du cimetière étant fermée (?), l'inhumation avait été reportée au lendemain et le corps laissé sur place devant les grilles ! Imagine-t-on le curé en tête du cortège muni de l'eau bénite et du goupillon, flanqué d'un ou deux enfants de choeur, le corps porté par quatre à six hommes, la famille, les voisins, amis et le reste du village contournant l'angle de l'église pour gagner la tombe déjà creusée... et abandonnant le défunt ? Même à une époque plus tardive et au cas improbable où le curé avait oublié une clé, il aurait sans doute envoyé un enfant de choeur la chercher. L'acte de décès faisait pourtant état d'un homme "trouvé tué", de la "visite" du cadavre et de l'autorisation de "lever" le corps. Il est alors clair pour toute personne ayant abordé les actes judiciaires que le permis d'inhumer a été délivré après autopsie.

    Toutes ces compétences seront progressivement acquises au fil des recherches pour peu qu'elles soient diversifiées. C'est à ce prix que la généalogie est un loisir particulièrement enrichissant... pour l'esprit.

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    Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué... pour nous ?


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