• Le triste sort des orphelins pauvres

     

    Il est des actes, reflet de situations qui serrent le cœur, celle des enfants pauvres et orphelins notamment. Cosette n’est pas qu’un symbole né de l’imagination de Victor Hugo.

     

    059. Le triste sort des orphelins pauvres

    « Les Misérables », tragédie musicale d’après Victor Hugo. Pochette du disque (version originale 1980)

    Musique de Claude-Michel Schönberg. Textes d’Alain Boublil et Jean-Marc Natel.


    Quand Michel DEMORY meurt le 22 décembre 1736 à Beuvry-la-Forêt, il laisse une épouse près d’accoucher et sept enfants vivants. Marie Jeanne DRUMEZ met au monde un petit Michel le 12 janvier 1737 dont les parrain et marraine sont les aînés de ses frère et sœurs Noël et Marie Rose, âgés respectivement de 15 ans et 17 ans environ, signe manifeste que la famille, isolée, ne peut guère compter sur un entourage protecteur. Cependant fin mars de la même année, l’inhumation du petit Pierre Joseph, 2 ans, a lieu en présence de Pierre Charles SAUVAGE, son parrain. L’annus horribilis se termine le 12 novembre sur la mort de la maman, à l’âge de 42 ans seulement. Le petit Michel, « pauvre orphelin », ne lui survivra que deux mois.

    Charles François SAUVAGE, laboureur demeurant au village de Beuvry, est judiciairement établi tuteur aux corps et biens des enfants. Curieusement et bien que les DRUMEZ soient nombreux au village, cette responsabilité ne leur a pas été dévolue. Qui est ce tuteur par rapport aux enfants ? Aucun lien familial n’a pu être détecté. Peut-être l’employeur de feu Michel DEMORY pour avoir été celui qui le connaissait le mieux ? On sait seulement qu’il est le père de Pierre Charles SAUVAGE, parrain en 1737 de Michel DEMORY.

    Quoi qu’il en soit, ledit tuteur a justement un jardin avec arbres à fruits, maison… à louer. Il le met à bail aux enchères, pratique tout à fait inusitée. Et c’est justement Marie Rose DEMORY qui emporte l’affaire ! Prudent, car les juristes ont toujours jugé incompatibles les contrats entre tuteurs et pupilles, le notaire prend bien soin de préciser le lien juridique existant entre les parties : « Charles François SAUVAGE laboureur demeurant au village de Beuvry et tuteur judiciairement établi aux corps et biens des enfants de feu Michel DEMORY et de Marie Jeanne DRUMEZ vivant demeurant audit Beuvry à Marie Rose DEMORY, fille dudit feu Michel, demeurante audit lieu » (AD59 Tab. Douai 1171).  

    Que penser encore de ce bail aux enchères ?

    Jusqu’à la mort des parents, la famille DEMORY-DRUMEZ vivait évidemment dans une maison avec son jardinet attenant comme il est de règle à la campagne. Apparemment, ils n’en étaient pas propriétaires. Étaient-ils à la veille d’être expulsés ? Mais qui était ce propriétaire ? Ce pourrait bien être justement Charles François SAUVAGE qui, ne disposant plus de la force de travail des défunts, voyait là un moyen « légal » de garantir ses revenus.

    Il faut bien survivre : Marie Rose devenue chef de famille n’avait guère d’autre choix. Espérons seulement que les autres villageois compatissants se sont abstenus de tout renchérissement.

    Les six enfants vivoteront jusqu’aux années 1742-1743 quand les aînés se mariant, ils retrouveront un semblant de famille généralement recomposée mais plus protectrice.

    Noël DEMORY n’a que 20 ans quand le 06 février 1742 à Orchies, il épouse Barbe Angélique DELESTRÉ, 24 ans, fille d’un journalier.

    Anne Joseph DEMORY n’a que 20 ans elle aussi quand elle se marie le 29 octobre 1743 à Beuvry avec Jean Pierre HENNOCQ, vieux garçon orphelin de 36 ans : un bâton de vieillesse sans doute…

    Marie Rose DEMORY enfin s’unit le 05 novembre 1743 à Beuvry à Géry François Joseph DELESTRÉ, laboureur et bourgeois d’Orchies mais âgé de 38 ans, veuf avec au moins 3 enfants de Jacqueline BOURLÉ et probablement apparenté à Barbe Angélique DELESTRÉ.

    Marie Robertine DEMORY est inhumée le 1er juillet 1745 à Orchies en présence de son frère Noël et de son beau-frère Géry DELESTRÉ qu’elle avait suivis et qu’elle aidait probablement au fil des nombreuses naissances…

    Euphroisine DEMORY convole le 07 avril 1750 à Vred avec Louis François DUROT, un ménager de 26 ans, veuf lui aussi.

    Angélique DEMORY épouse le 07 janvier 1755 à Orchies Pierre Joseph DESCARPENTRY lui aussi orphelin qui avait hâte de fuir une famille recomposée mais décimée et où il avait dû dès ses seize ans aider son beau-père à élever ses nombreux frères et sœurs utérins…

    Le cas le plus tragique est cependant celui des jeunes orphelins dont le maigre héritage parental ne permet pas de les élever jusqu’à ce qu’ils soient autonomes. Rappelons que dans le Douaisis, les filles étaient censées se gouverner elles-mêmes dès l’âge de douze ans tandis que les garçons bénéficiaient d’un sursis de deux ans.

    Faute de pouvoir compter sur des oncles, tantes, parrains et marraines, ces enfants risquaient fort de tomber à la charge de l’échevinage, de la « pauvreté du lieu ». C’était possible quand les temps n’étaient pas trop durs mais en temps de guerre et tant que le village ne s’en était pas relevé et surtout si les orphelins étaient nombreux, les mayeur et échevins pouvaient, pour limiter les frais, décider de mettre ces infortunés aux enchères… à moins disant !

    L’épreuve se passait au sortir de la messe dominicale. Attirés par le pécule, les amateurs se disputaient les gosses, par lots ou fratries éclatées. S’effaçaient-ils au moins en faveur des membres de la famille naturelle ? Rien n’est moins sûr. Imaginons la détresse de ces enfants...

    Les enfants attribués, un contrat était établi pour un an précisant la somme due par les édiles et les obligations des enfants qui devaient se comporter en enfants de famille, c’est-à-dire obéir, être respectueux en toutes circonstances envers leurs hôtes et les aider aux travaux selon leur âge. Précisons que sept ans n’était pas considéré comme un âge trop tendre… Rigoureusement rien par contre sur les conditions d’accueil et d'hébergement des enfants. Il est à craindre que certains ont dû se contenter de partager l’étable ou la porcherie…

    Ainsi Martin HACHE, de Bouvignies, tuteur de ses neveux, les a fait mettre aux enchères en 1694 (AM Bouvignies aux AD59).

     

    « La pauvreté rend méchant » disait François Mitterrand qui connaissait parfaitement les ressorts de l’être humain.

     


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