• La recherche des actes peut se heurter à des problèmes de noms fluctuants ou, dans une moindre mesure, de prénoms qui, non dépistés, mènent à des impasses ou pire vers des branches où l’on n’a que faire. Tant que les actes sont nombreux et suffisamment détaillés et à condition de nourrir quelques soupçons, les difficultés se règlent assez facilement avec méthode, juste un peu de patience et parfois une aide extérieure. Florilège

    Inévitables facéties...

    Se croyant spirituel, un scribouillard du Calaisis a noté le baptême d'un enfant né du légitime mariage de [prénom et nom du père] et de Marie LA CHIENNE, insultant ainsi gratuitement une accouchée qui n'était pas responsable de son patronyme LEQUIEN.

    À Condé-sur-l'Escaut, un autre scribouillard qui estimait sans doute avoir des comptes à régler, a qualifié des GUERDIN de GREDIN et de VERDEAU et des DAPSENS de L'ABSENTE et de L'ABSINTHE...

    Et on s'étonnera plus de ne pas trouver une naissance ou un décès dans les tables et relevés !

    Altération fluctuante 

    Cette famille BRAULLE ou BRAURE va et vient entre plusieurs paroisses en subissant chaque fois une altération de son patronyme : BRAULLE à Campagne les Guînes et à Bouquehault et parfois BRAUSLE mais BRAURE à Guînes. L’un de ses membres qui sait écrire son nom signe « braulle ». Ici, le phénomène est facilement observable puisque les actes ne manquent pas et que l’altération est faible mais ce n’est pas toujours le cas.

    Comment trancher quand un nom présente autant de variantes que d’actes dans lesquels il figure : DES RUMEL, DE RUMEL, DE DESRUMEL, DE ROMEL, DE REUMEL, DE REUMIEL, DE REME, DRUMEL, DRUMET, DE RUMET, DRUMER, DRUMEZ, DRUNET, DELEMER, GRUMEL, DE RANNET, PRUMMET,… ? Si on laisse de côté l'orthographe pour privilégier une approche phonétique, on penche vers DRUMET ou DRUMEL.

    Altération et quiproquo

    Un descendant du couple Antoine Joseph LECLERCQ – Marie GLACIER a eu la désagréable surprise de découvrir que le patronyme de la dame était pure vue de l’esprit de la part de l’officier de l’état civil de Dunkerque.

    038. Des noms à problèmes...

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    À Guînes, il se mit à rechercher le nom le plus proche et il trouva « GRASSIEN ». Effectivement… Ledit descendant a bien remarqué que le père et la mère de l’enfant étaient « garçon et fille » et il en avait déduit que leur mariage était postérieur à cette naissance. Situation fréquente à cette époque.

    Partant du principe qu’étant tous deux nés et domiciiés à Guînes, il était logique que leur mariage y ait été célébré et en se basant sur les âges déclarés, il se mit en quête du mariage d’Antoine Joseph LECLERCQ et de Marie GRASSIEN. Il finit par sélectionner le couple Antoine Joseph LECLERCQ – Louise Éléonore GRASSIEN marié le 06 août 1872 et qui grosso modo répondait le mieux aux critères dont il disposait sans prendre garde que les Antoine LECLERCQ étaient nombreux, que les âges ne collaient pas parfaitement et qu’il est hautement risqué de s’attribuer des aïeux dont on n’est pas absolument sûr.

    Ledit descendant a vite réalisé que les registres de Guînes contenaient beaucoup d’erreurs mais quand, par chance, les familles sont nombreuses, on dispose de beaucoup d’actes et on parvient à les rectifier et c’est donc sans craintes particulières qu’il publia son arbre sur GeneaNet en incluant quelques cousins et cousines…

    Une alarme de l’hébergeur me fit découvrir nosdits cousins et cousines sur son arbre. Aucun doute possible, son Antoine Joseph, né à Dunkerque, était un frère de ma grand-mère paternelle mais pour d’obscures raisons, son ascendance était erronnée. Comme je disposais de la succession de mes bisaïeux, je la lui fis parvenir… Nous avons alors compris qu’une seconde erreur, classique celle-là mais peu évidente, s’était ajoutée à la première.

    Voyons les faits. Le déclarant principal décline ses noms, prénoms, etc… et ceux de l’accouchée, les témoins ne sont là que pour la forme. Le greffier, qui calligraphie aussi soigneusement que lentement, est obligé de faire répéter ce qu’il n’a pas suffisamment mémorisé. C’est alors que se produit un quiproquo : le déclarant, peu habitué aux démarches administratives et à leur logique et de surcroît souvent illettré, croit que ce qu’il a dit est déjà noté et que cette fois, quand on lui demande « qui est sa mère », on veut savoir qui est la mère de l’accouchée !

    Le bon couple était Louis Antoine Joseph LECLERCQ marié en 1873 à Marie Justine MOUCHON, fille de Jacques Louis Joseph et de Marie Louise Antoinette Catherine dite Célestine GRASSIEN ! Loi de Murphy en version peu élégante de Jacques Chirac : "Les emm..., ça vole toujours en escadrille". 

    038. Des noms à problèmes...

    Sacré Louis Antoine !

    Collection personnelle

    Sobriquet

    En remontant la famille MOUCHON, de Guînes, un bon nombre de généalogistes parvient au couple Pierre MOUCHON et Madeleine CLERBOU qui s’y étaient mariés le 04 octobre 1707. S’ils négligent les frères et sœurs, ils ne se douteront de rien mais s’ils veulent reconstituer la fratrie, la fécondité de ce couple peut les déconcerter. Habituellement, l’espace entre deux naissances est d’environ deux ans, ramené à une année seulement si le nouveau-né ne survit guère.

    Dans le cas de Pierre et de Madeleine, le rythme m’a semblé si aléatoire que je me suis demandé s’ils n’avaient pas la bougeotte. L’impression s’est renforcée quand j’ai voulu rechercher les mariages et décès de tous ces enfants car il s’avérait difficile de rassembler le baptême, le ou les mariage(s) et le décès de chaque enfant. Certes, il n’est pas exceptionnel de ne pas parvenir à mettre la main sur un acte de naissance ou à n’avoir aucune idée de ce qu’est devenu un enfant mais quand les lacunes sont nombreuses, il est bon de se demander ce qui a bien pu se passer.

    C’est alors qu’un autre généalogiste a lancé un appel pour connaître les date et lieu du mariage vers 1709 de Pierre MOUCHON et Madeleine de BONNINGUE qu’il situait aux environs de Quesques. Je commençais justement à être intriguée par ce couple contemporain de celui dont je m’occupais. J’entrepris alors de les étudier simultanément : sur des grandes feuilles, deux colonnes, à gauche, les MOUCHON-CLERBOU et à droite, les MOUCHON-BONNINGUE et c’est parti pour une nouvelle lecture dans les BMS, acte par acte, année après année à partir de 1707 et ce, un siècle durant !

    Sans entrer dans de fastidieux détails, il suffit de dire que le résultat a été concluant : tous les actes manquants chez l’un des deux couples se retrouvent chez l’autre.

    Quand j’ai expliqué au généalogiste questionneur qu’à mon humble avis, Madeleine BONNINGUE et Madeleine CLERBOU ne faisaient qu’une seule et même personne, j’ai bien senti qu’il était dubitatif.

    Quelques semaines plus tard, il m’a rappelée pour m’informer qu’ayant ses petites entrées chez le notaire, il avait eu communication d’un accord passé en 1739 entre Pierre MOUCHON et un de ses gendres, veuf avec un nourrisson de six mois, de Marie Madeleine CLERBOU dit BONNINGUE. Il a conclu en me déclarant que je savais fort bien « traire les actes » !

    Attention ! 

    Dans le Calaisis - et sans doute également dans d’autres régions - les sobriquets sont aussi fréquents qu'employés indifféremment à la place du patronyme.

    Changements de nom 

    À la permanence des « Amis du Vieux Calais », les généalogistes sont tous cousins puisqu’ils remontent aux familles qui ont repeuplé le « Pays reconquis » sur les Anglais boutés hors de France en 1556. Autant dire que l’ambiance est parfois quasi familiale, chacun connaissant à peu près ce que les nouveaux venus s’évertuaient à démêler.

    Depuis quelques semaines, Norbert s’interrogeait sur Philippe FOIRET apparu et disparu mystérieusement à Guînes sous la Révolution sans laisser de traces après s’être marié et avoir engendré deux enfants. Pour ma part, je recherchais en vain le mariage de Philippe DELATTRE avec Marie Marguerite Antoinette TIRMARCHE qui ne pouvait qu’avoir eu lieu… à Guînes… sous la Révolution. De guerre lasse, mon « fidèle assistant » entreprit de lire attentivement tous les actes de mariage. Il retrouva Marie Marguerite Antoinette qui épousait… Philippe FOIRET ! L’ascendance de la mariée étant parfaitement connue, les mariages et les décès de ses sœurs aussi, aucune ambiguïté n’était possible.

    La suite des recherches montra que Philippe DELATTRE était né en janvier 1768 de Marie Anne DELATTRE à qui on n’avait pas demandé le nom de son séducteur, que celle-ci, exactement un an auparavant, avait été marraine du premier enfant de son amie - et très probablement aussi sa cousine - Marie Antoinette RIVELON(NE) et de Jean (Jacques) Nicolas (François) Antoine TIRMARCHE (grande fantaisie dans les prénoms). On réalisa enfin qu’après le décès de sa mère, Philippe a épousé Marie Marguerite Antoinette TIRMARCHE, sœur cadette de l’enfant baptisée en 1767 dont le parrain n’était autre qu’un certain Philippe FORÊT. Tout s’éclairait : le parrain plut à la marraine… et en 1793, personne ne s’offusqua que Philippe DELATTRE prit le patronyme de son père pour son mariage avec sa petite amie d’enfance.

    C’était sans compter avec la loi du 6 fructidor an II qui tentait de remédier aux désordres de l’état civil tenu par des révolutionnaires généralement plus convaincus que compétents.

    038. Des noms à problèmes...

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    D’après Wikipédia (extraits)

    Après la naissance de ses deux premiers enfants, Philippe, DELATTRE, marié FORÊT, a été contraint de reprendre le patronyme de sa mère et il mourra DELATTRE. Mais dura lex, sed lex, aux termes des articles 1er et 4, ses aînés portaient le nom de leur grand-père paternel et les six suivants, celui de leur père mais ce n’était pas le même !! 

    Absents de l’état civil, présents dans les actes notariés

    Dans les zones où les huguenots étaient nombreux, il n’est pas exceptionnel de se trouver brutalement devant un vide absolu au début du XIXe siècle. Des actes de décès ou de mariage renvoient à des actes de baptême ou de décès d’avant la Révolution qui, bien que clairement mentionnés, restent introuvables. Il s’agit généralement de familles qui n’apparaissent pas ou rarement dans les registres paroissiaux.

    L’explication est malheureusement simple : ce sont des familles protestantes qui étaient exclues des registres paroissiaux. Sauf exception, les registres protestants ne sont pas parvenus jusqu’à nous et il faudra se tourner vers les actes notariés et toutes les sources complémentaires de l’état civil pour remonter l’ascendance.

    Cependant la consultation des registres paroissiaux reste nécessaire au cas où la famille comprenait aussi quelques catholiques notamment pour recueillir l’héritage familial. En effet, les protestants n’avaient pas le droit d’hériter et les biens revenaient au roi mais il suffisait qu’un individu se convertisse, il était considéré comme un héritier unique et il ne lui restait plus qu’à restituer leur part à ses frères et sœurs. Ces successions se concentrent chez certains notaires, sans doute moins catholiques qu’ils ne le prétendaient puisque qu’il fallait l’être pour obtenir une charge.

    Francisation ou régionalisation du patronyme 

    Tant que nos aïeux restaient dans leur zone linguistique, qu’ils franchissent l’actuelle frontière franco-belge dans un sens ou dans l’autre n’avait aucune incidence notable sur leur nom. Par contre, coupé de sa zone liguistique d’origine, l’individu assiste souvent impuissant à la modification de son patronyme. S’il sait écrire, il a les moyens de résister mais si, illettré, il est confronté à des rédacteurs qui saisissent mal les phonèmes étrangers et s’ils sont, de plus, atteints de dysorthographie, alors les altérations sont inévitables.

    Qu’un de CAMPAIGNO d’Italie devienne CHAMPAGNE dans le Calaisis ne surprend guère mais que ce MEYS venu de son Brabant natal, ait fait souche dans le Hainaut wallon sous le nom de MAGE laisse perplexe.

    Les HOVELAQUE étaient suffisamment nombreux à l’ouest de Lille et géographiquement proche des flamingants pour préserver leur patronyme avec des variantes orthographiques certes mais phonétiquement stables. Mais quand l’un d’eux a migré dans le Valenciennois, il a été confronté à des curés incapables d’assimiler les sonorités de son patronyme qui est devenu AUFLAT.

    Les VAN CROMBREUGHE, marchands installés à Condé, avaient la malchance de porter un nom peu évident à orthographier, une insidieuse francisation les a transformés progressivement en (VAN) COMBREUCQ mais ils ont échappé au "DU PONT TORDU" !

    Les notaires flamands se permettaient parfois de traduire les patronymes, désignant ainsi sous le nom de DE SWARTE, DE WITTE, DEMEULENAERE, DEBACKER ou VAN DEN BERGHE des contractants qui signaient avec application : LENOIR, LEBLANC, MEUNIER, BOULANGER ou DUMONT... Signalons en passant que dans ce cas, "DE" n'est en rien une particule de noblesse française mais la simple traduction de notre article défini : "LE" ou "LA" selon le genre du nom français. Ainsi DE CLERCK n'est que "LECLERCQ".

    Ce phénomène concerne notamment les militaires qui ont tout quitté pour s'installer loin, très loin parfois, du pays natal.

    Un patronyme excessivement rare ! 

    Il est des actes qui défient les plus fins limiers. L’acte de mariage de Pierre SAILLLY et de Marie Anne LELEU surprend à plus d’un titre. D’abord, le patronyme MAÎTRECHARLES est absolument inconnu tant dans le Calaisis que dans le Boulonnais.

    Ensuite, le mariage semble assez mal assorti : le marié est le seul qui appose une croix, toutes les autres personnes présentes savent signer correctement. Enfin, l’époux apparaît isolé : ses parents sont apparemment encore en vie mais tous les témoins qui entourent leur parente orpheline sont d’Alincthun. L’explication tient peut-être à l’âge des mariés : il serait âgé de vingt-huit ans et elle est son aînée de quatre ans, elle ne peut plus faire la difficile et le clan familial accueille volontiers un jeune gars vigoureux et éloigné de sa famille qui saura s'intégrer à sa tribu d'accueil.

    038. Des noms à problèmes...

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    À Alincthun, les LELEU constituent une tribu apparemment unie qui a tendance à se replier sur elle-même puisqu’à la génération suivante, les mariages consanguins se multiplieront. Philippe SAILLY apparaît donc comme un « rattaché » pour son apport de sang neuf et sa force de travail. Ses origines devront être recherchées du côté des orphelins ou de familles recomposées. Quant au patronyme, bien que celui de CHARLES existe dans la région, il faudra, suivant les usages d’Ancien Régime qui donnait la prééminence au prénom sur le surnom comme le montrent tous les actes et les tables anciennes, considérer que le père de Marie « MAÎTRECHARLES » se prénommait Charles et qu'il était emloyeur...

    Le cas de l’énigmatique Marie est trop spécifique et nécessite trop de développements pour entrer dans le cadre de ce bref aperçu sur les difficultés liées aux noms, il sera repris en détail dans un prochain article. 

    Il est important de repérer ces situations pour ne pas passer à côté d’actes intéressants afin d’augmenter ses chances de lever les obstacles, d’obtenir une génération suplémentaire mais aussi de connaître des pans de la vie de ces personnes et de découvrir des épisodes qui donnent du relief à une généalogie.

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    On pourra poursuivre par les cas relatés sur GeneaNet.  

    http://blog.geneanet.org/index.php/post/2013/09/fautes-d-orthographe-et-genealogie-:-un-phenomene-normal

     


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  • Chers lecteurs, vous êtes en droit de me rétorquer : "Mais que vient donc faire le compositeur Verdi dans un blog consacré aux recherches généalogiques dans le Nord, le Pas-de-Calais et la Belgique ?".

    Juste attirer l'attention des plus pointilleux d'entre nous sur un détail : comment déterminer  correctement la date dans un acte paroissial ou d'état civil ?

    D'abord, Giuseppe Fortunino Francesco VERDI est né Joseph Fortunin François VERDI ! Tout simplement parce qu'en 1813, son village natal était alors sous domination napoléonienne dans le département français du Taro. Son acte de naissance, parfaitement orthodoxe, est donc rédigé en langue française et ses prénoms sont francisés.

    « L’an mil huit cent treize, le jour douze d’octobre, à neuf heures du matin, par devant nous, adjoint au maire de Busseto, officier de l’état civil de la Commune de Busseto susdite, département du Taro, est comparu Verdi Charles, âgé de vingt huit ans, aubergiste, domicilié à Roncole, lequel nous a présenté un enfant du sexe masculin, né le jour dix courant, à huit heures du soir, de lui déclarant et de la Louise Uttini, fileuse, domiciliée aux Roncole, son épouse, et auquel il a déclaré vouloir donner les prénoms de Joseph Fortunin François. »*

    Si cet acte n'appelle aucune remarque particulière, il n'en est pas de même de l'acte de baptême qui mentionne « "né hier soir" [ce qui] a suscité un doute sur sa date exacte de naissance.  À cette époque, les jours étaient en effet comptabilisés à partir du coucher du soleil, cette mention pouvant évoquer le samedi 9 octobre. »*

    Ainsi donc, grâce à un curé resté fidèle à la rédaction traditionnelle (et à Wikipédia), nous sommes alertés sur les dates piégeuses et en prime, nous comprenons maintenant mieux la mentalité de nos aïeux. Au coucher du soleil, ils considéraient avec logique la journée - plus précisément leur harassante journée de travail - comme terminée. Ils "prenaient leur réfection" comme on désignait joliment le repas dans le Douaisis et ils s'accordaient seulement une courte soirée de détente à la chandelle ou au coin du feu en songeant probablement comme les Espagnols que "Mañana será otro día" (Demain sera un autre jour) avant de s'octroyer un sommeil réparateur afin d'affronter le dur labeur qui les attendait le lendemain. À minuit, ils dormaient du sommeil du juste sans se préoccuper du passage d'un jour à l'autre.

     

    050. Naissance et baptême de Verdi

    La Louvière, Belgique : Strépy-Bracquegnies
    Place communale de Stépy - porche d'une ferme
    Cadran méridional, orienté, daté 1793

    http://michel.lalos.free.fr/cadrans_solaires/autres_pays/belgique/cs_hainaut.php

     

    Il faut cependant considérer une grande variété dans la rédaction des actes paroissiaux selon le curé ou le clerc paroissial. Ainsi l'un, indifférent aux ordonnances royales et aux rappels des évêques, négligeait de préciser le moment de la journée, un autre l'indiquait vaguement et d'autres encore veillaient à inscrire une heure précise. Encore fallait-il que la paroisse ait été suffisamment riche pour doter le clocher d'une coûteuse horloge. Signalons en passant que les églises de Flêtre, Winnezeele, Berthen, Wallon-Cappel, Eecke et Hardifort ne possédaient même pas de clocher en pierre mais d'une simple "maison des cloches" ou "klockhuis"en bois dont seuls les deux derniers subsistent encore de nos jours.

    L'heure - et le jour - d'un événement : naissance et baptême de Verdi

    Eecke - le klockhuis (à droite avec son horloge) de l'église Saint-Wulmar (à gauche) dans le cimetière

    https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Eecke_WLM2016_le_klockhuis_de_l%27%C3%A9glise_Saint-Wulmar_(1).jpg

     

    Cf. Wikipédia et Monuments Historiques

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        * Source Wikipédia sur lequel on trouvera le fac-similé de l'acte de naissance de Verdi.

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Giuseppe_Verdi


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  • Pour faire court, dans cette affaire jugée en appel devant le parlement de Tournai en 1704, il s'agit de mère porteuse et d'adoption illégale !

     

    Un couple désespérément stérile mais point trop désargenté s'est laissé gagner par la tentation de se procurer un enfant.

    Il est assez facile de trouver une fille enceinte disposée à cacher sa grossesse et à abandonner son enfant - dans d'excellentes conditions, ce qui étouffe bien des scrupules - afin de préserver sa réputation, sauveur son honneur et conserver toutes ses chances de se marier ultérieurement selon sa condition. Il faut cependant se mettre d'accord très vite avant que les premiers signes de gestation apparaissent ce qui n'échappe pas au regard exercé des paysans habitués à suivre celles de leur cheptel. Il faut enfin soustraire la fille à la curiosité publique et lui assurer les meilleures conditions matérielles dans une maison de confiance pour quelle donne naissance à un enfant en pleine santé et retenir une nourrice. Enfin, il faut prévoir de rétribuer largement tout ce beau monde pour les dédommager de leurs peines, les récompenser de leur silence et éventuellement continuer à l'acheter.

    Les sages-femmes font de parfaits intermédiaires : dans le village et à la ronde, elles n'ignorent rien des dessous féminins lavés en famille. Si elles savent être compréhensives et d'une absolue discrétion, leur réputation leur amène des clientes fort embarrassées.

    Le couple en mal d'enfant a donc retenu la fille sélectionnée par la matrone locale, l'épouse a fait connaître son immense bonheur, s'est progressivement rembourré la silhouette tout en se préparant à accueillir le nouveau-né.

    Le jour "J", alertée par la femme de l'art, elle a si bien joué la comédie que personne n'a rien soupçonné. L'enfant a été baptisé sous le nom de l'époux... Malheureusement, malgré les soins les plus attentifs, n'en doutons pas, il n'a vécu que quelques semaines. Une seconde supercherie a été mise en oeuvre mais elle a cette fois éveillé des soupçons. Outre un doute sur le terme, la soi-disant accouchée a commis l'imprudence de ne pas rester suffisamment alitée et a fait ses relevailles le huitième ou neuvième jour seulement à l'église. 

    La rumeur est parvenue jusqu'à la justice du lieu qui s'est saisie de l'affaire. L'enquête a permis de confondre la matrone et la mère biologique qui furent emprisonnées et quelques complices. Un médecin a été commis pour "visiter" la prétendue parturiente. De nombreux témoins sont venus témoigner de ce qu'ils avaient observé, entendu dire ou imaginé, les commères du quartier, persuadées d'aider la justice à combattre l'amoralité, ont abondamment brodé autour de l'événement, confondant les protagonistes et ajoutant un ou deux nourrissons.

    Pas un mot sur le géniteur...

    Seule la matrone, fustigée et condamnée au bannissement à perpétuité, a subi les foudres de la justice.

    Méfiance donc quand un couple, resté longtemps stérile, se met subitement à avoir un enfant qui restera unique !

    ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Cumulus RDC 82/17 aux AD59.


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  •  

    Tenter de retracer la vie de ses aïeux passe forcément par les situer dans leur environnement familial, amical, social.

    Nous savons que la présence des principaux témoins à un mariage obéit à des règles précises. Nous avons vu que "Lorsque l'enfant paraît", le choix des parrains et marraines ne se faisait pas au hasard et qu’en principe, le premier enfant avait pour parrain son grand-père paternel et sa grand-mère maternelle. Pour le second, on alternait : le parrain était son grand-père maternel et sa marraine était sa grand-mère paternelle. Ensuite, on passait aux frères et sœurs des parents suivant les mêmes règles, à commencer par l'aîné des frères du père et l'aînée des sœurs de la mère et ainsi de suite. Si la famille continuait de s'étendre et que tous les frères, beaux-frères, sœurs et belles sœurs avaient été honorés, alors venait le tour des cousins et cousines ou des frères et sœurs du nouveau-né, par ordre de naissance.

    Ainsi si l'un des témoins au mariage porte le même patronyme que le mariant ou la mariante et qu'il apparaît au baptême du premier enfant, il est à n'en pas douter le plus proche parent du père ou de la mère : père, oncle, frère aîné, cousin... Maigre indice, sans doute mais il permet d'avancer ou de conforter une hypothèse, de contribuer à reconstituer la fratrie et de faire avancer les travaux.

    Mais ce schéma théorique s’avère souvent contrecarré par la Grande Faucheuse et des considérations sociales. Il est donc valable surtout pour les couples parentaux qui ont rang d’aînés et nettement moins pour les "bâtons de vieillesse". II importe néanmoins de connaître les usages pour se glisser en somme dans la peau de nos aïeux, comprendre leurs choix et deviner leur comportement. C'est pourquoi il est parfois nécessaire de comparer la descendance d’un(e) cadet(te) et plus encore d’un(e) benjamin(e) à celle de ses aîné(e)s pour y trouver trace des principaux membres de la famille. Mais seules des fratries reconstituées avec soin et rigueur seront riches d'enseignements.

    Il n’en demeure pas moins que l’ordre social semblait plus ou moins respecté. De nos jours encore alors qu’une certaine souplesse est admise, on continue à jaser sur le choix des parents et des parent(e)s se vexent de n’avoir pas été sollicité(e)s. C’est dire l’importance de la question autrefois. Alors quand un proche parent semble avoir été écarté, faut-il conclure qu’une brouille en était la cause ? Parfois, sans doute, mais ces anomalies apparentes peuvent aussi s’expliquer par les circonstances et par le jeu des relations sociales.

    Il peut arriver que le père ou la mère soient au service d'un seigneur qui ne refusera pas d'être le parrain du premier enfant de son serviteur dont il apprécie le travail. Ce peut aussi être une flatteuse relation professionnelle : riche marchand, bourgeois, censier,... Si ce cas se présente après plusieurs naissances, c'est le signe d'une évolution du statut social de la famille.

    À défaut de grand-père, un beau grand-père fait l'affaire, un oncle trop excentré saute son tour, une future ou une nouvelle belle-sœur passe avant les autres en signe de bienvenue,...

    Il n’est pas rare en effet qu’une jeune tante soit marraine et que son compère soit son promis et inversement qu’un oncle à marier épouse peu après sa commère. Le cas ci-dessous, plus inhabituel, montre qu’être choisie comme marraine est non seulement une marque de considération et d’honneur mais aussi un fort signe de bienvenue et d’accueil. C’est bien pour cette raison qu’il est toujours hors de question de faire l’affront de refuser.

    035. Témoins, parrains & marraines : choisir, être choisi(e)

    035. Témoins, parrains & marraines : choisir, être choisi(e)

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    On aura remarqué que ce sont les parrain et marraine qui "imposent" le prénom de l'enfant, le plus souvent, le leur. Quand par exception, cette coutume n'est pas respectée, il n'est pas rare que les parents, qui se perdent parfois dans les prénoms de leur progéniture, finissent par la rétablir au fil du temps, la vue du parrain et de la marraine servant en somme de moyen mnémotechnique mais par erreur en l'occurrence.

    On sait aussi que si deux enfants ont les mêmes parrain et marraine, il est à peu près certain que le premier n'a pas survécu. Mais cette règle ne s’applique pas dans toutes les familles, certaines, plus superstitieuses, y voient un signe de la volonté divine, croient que les cieux n’y étaient pas favorables et craignent que cela porte malheur à l’enfant.

    De même que le cortège nuptial était constitué avec soin pour favoriser d’autres noces entre les jeunes filles et leurs cavaliers, chaque perspective de baptême méritait mûre réflexion. Comme l’Église mettait les liens d’affinité spirituelle sur le même plan que ceux du sang, un veuf ne pouvait épouser sans dispense la marraine d’un de ses enfants, même décédé entre temps ! Avant de créer un couple compère-commère, il fallait éviter tout empêchement à un mariage ultérieur. On sélectionnait donc de préférence deux personnes entre lesquelles toute alliance était a priori exclue : frère et sœur de l’enfant, oncle et nièce, tante et neveu,… mais aussi celles qu’on marierait volontiers le cas échéant : « Pourquoi tu n’en veux pas comme marraine ? Aurais-tu l’intention de l’épouser si je meurs en couches ? ».

    Les familles les plus soudées ne vivaient pas en autarcie ; elles avaient des interactions extra familiales que le généalogiste, focalisé sur ses propres aïeux à tendance à ignorer superbement. Ces liens sont pourtant faciles à mettre en évidence : il suffit de rechercher systématiquement la présence des aïeux dans les actes. On découvrira qui ils côtoyaient, fréquentaient en dehors du cercle familial et qui recherchait leur présence sans oublier que des « amis » sont souvent des parents éloignés au troisième ou quatrième degré voire plus.

    Enfin nos ancêtres, qui avaient leur savoir-vivre, pratiquaient le troc et l’échange de services et de marques d’amitié : tout comme une invitation, une faveur reçue doit être rendue dans un délai décent. Être choisi(e) imposait de rendre la pareille !

    Il est donc éclairant de réaliser un grand tableau familial de type « Excel » : une colonne par couple, les événements en ligne, une case par événement, un trait sur toute la largeur avant de passer à l'année suivante. On comprend qui exactement fait quoi, et où. De plus, ce panorama familial facilite l’évaluation des âges, la détermine de fourchettes pour situer une disparition (décès du grand-père, remariage, mariage loin du berceau,...) et ainsi affiner les recherches. Enfin, ce tableau est d'une grande aide pour la saisie informatique, évitant quelques grosses erreurs générationnelles.

     

    † Guy TASSIN, docteur en histoire, a consacré en juin 1995 un long article de 22 pages sur ce sujet : "Parrains et marraines à Haveluy au XVIIIe siècle" dans la revue VALENTIANA, n° 15.

    Cette question a aussi fait l’objet d’une intéressante discussion sur GenNPdC :

    http://www.gennpdc.net/lesforums/index.php?showtopic=96416&pid=428720&mode=threaded&start=#entry428720

    035. Témoins, parrains & marraines : choisir, être choisi(e)

    Fonts baptismaux de Wierre-Effroy, Pas-de-Calais

    Ministère de la Culture Base Mémoire

    http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/memoire_fr?ACTION=RETROUVER_TITLE&FIELD_98=LOCA&VALUE_98=%20Nord-Pas-de-Calais%20&GRP=119&SPEC=1&SYN=1&IMLY=&MAX1=1&MAX2=1&MAX3=50&REQ=%28%28Nord-Pas-de-Calais%29%20%3ALOCA%20%29&DOM=Tous&USRNAME=nobody&USRPWD=4%24%2534P


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  • Quand l’enfant paraissait, il rencontrait souvent une indifférence qui semble inconcevable aujourd’hui. À peine baptisé, Talleyrand est confié à une nourrice et sa mère ne prend de ses nouvelles, quatre ans plus tard, que parce qu’elle a perdu son fils aîné. Exceptionnel ? Au contraire, la mise en nourrice est courante, sauf dans les campagnes. Pire, l’abandon, quoique mal vu, n’est pas rare. C’est seulement en 1762 que Jean-Jacques Rousseau propose dans l’« Emile » le modèle familial basé sur l’amour maternel. Mais dans les « Confessions », il se justifie d’avoir abandonné tous les enfants que Thérèse lui a donnés : « Je me dis, puisque c’est l’usage du pays, quand on y vit, on peut le suivre » et persiste : « Tout pesé, je choisis pour mes enfants le mieux ou ce que je crus l’être. J’aurais voulu, je voudrais encore avoir été élevé et nourri comme ils l’ont été. ».

    A contrario, l'affaire CANTRAINE qui suit illustre parfaitement les différents aspects du drame qu'une naissance illégitime pouvait causer dans une famille paysanne.

    Le 21 novembre 1758, lorsque le procureur d’office et le bailli d’Hasnon apprennent que « Marie Anne Joseph Cantraine serait accouchée le 6 du présent mois d’un enfant illégitime sans qu’il apparaisse au vrai ce que la mère en a fait et ce qu’il est devenu », ils suspectent d’autant plus un infanticide que la grossesse n’a pas été déclarée. L’édit de Henri II de février 1556, édit qui ne semble pas avoir été appliqué avec rigueur, enjoignait à toute fille ou femme qui n’était pas en puissance de mari de faire connaître son état au plus tôt afin de prévenir avortements et infanticides.

    Le jour même, le bailli, assisté de son greffier, interroge longuement la présumée coupable. Sa famille, réputée complice, sera entendue dès le lendemain matin (E 1271/2 aux AD59).

    Marie Anne Joseph Cantraine, malgré ses trente-trois ans passés, est encore fille à marier. Elle vit chez ses parents à Hasnon avec ses frères et sœurs : Léonard, ouvrier, trente-cinq ans, Firmine, trente et un ans, Pierre Antoine, ouvrier du lin, vingt-sept ans passés, et Marie Joseph, couturière en blanc, vingt-cinq ans, tous enfants de Nicolas, ménager, soixante-seize ans, et de Marie Claire Biseau, soixante-huit ans. Il est évident que les Cantraine éprouvent des difficultés à marier leurs enfants.

    L’interrogatoire de Marie Anne Joseph Cantraine

    Après serment de dire la vérité, Marie Anne Joseph reconnaît avoir mis au monde un garçon le six novembre, vers dix heures du matin, en présence de sa mère et de Fermine et Marie Joseph, ses deux sœurs. Elle n’a été assistée d’aucune accoucheuse, d’aucun chirurgien « pour tâcher de mettre son honneur a couvert ». Elle prétend « qu’elle ignorait même d’être enceinte malgré les signes de grossesse qu’elle avoit remarqué et les demandes que sa mère luÿ fit au sujet parce qu’elle attribue l’état où elle se trouvait à des causes naturelles ». Elle explique que toute sa famille a résolu d’envoyer l’enfant à Valenciennes « affin de soustraire toutes connoissances de cet accident aux habitants du lieu », que le lendemain, Pierre Antoine et Marie Joseph ont transporté l’enfant « enveloppé de linge et d’une couverture avec une serviette pour le soutenir » chez Madame Le Blan accoucheuse. Moyennant la somme de trois Louis, la matrone a accepté de le faire baptiser et acheminer vers l’Hôpital des Enfants-Trouvés de Paris. Le soir même, vers neuf heures, le nouveau-né a donc été baptisé en la paroisse St Géry à Valenciennes, comme enfant illégitime de Jacques Dupont et de Marie Louise Delcauchie. Pour conclure, Marie Anne Joseph ajoute qu’elle attend « de jour en jour des nouvelles de l’emplassement de son enfant » comme lui a promis ladite Le Blan.

    049. Un abandon d'enfant à Valenciennes en 1758

    Mais Marie Anne Joseph n’a pas révélé qui était le père de l’enfant. Le bailli insiste. Elle finit par lâcher son secret : « elle ne peut dire n’ÿ nommer l’homme des œuvres de qui procede cet enfant parce que aÿant été il ÿ a neuf à dix mois à Valenciennes pour ÿ acheter des fillets et boutons pour son usage attendu qu’elle est couturière en blanc elle trouva a son retour de Valenciennes à Hasnon elle trouva a son retour deux hommes qui l’abordèrent au dela de Vicoigne pour entrer dans le bois avec lesquels elle causa quelques tems en marchant, que l’un des deux hommes s’avança seul dans le chemin pendant qu’elle resta avec l’autre en arrière ils se reposèrent et s’assirent ensemble dans le bois et quoÿ que la comparante se deffendit contre l’ardeur et l’empressement de cet homme pendant quelques tems elle sy laissa malheureusement entraîné et livré de façon qu’elle peut affirmer que c’est des œuvres de cet homme qu’elle fut enceinte de l’enfant qu’elle a mis au monde, qu’elle se trouve obligée d’avouer qu’elle a commis cette faute parce qu’elle étoit un peu en boisson d’avoir bu tant a Valenciennes que chez la veuve Pauquet en passant lors de son retour a Vicoigne pour retourner a Hasnon, nous aÿant au surplus assuré de ne point connoitre l’homme avec lequel elle a eu affaire et qu’elle ne l’a pas revu depuis que luÿ a paru aussÿ lors, qu’il c’etoit un peu pris de boisson et qu’elle a bien du regret de s’être aussÿ inconsidérément livrée ».

    Le bailli se demande si Marie Anne Joseph n’a pas fait endosser cette paternité par d’autres. Elle répète « que ce fut pour mettre son honneur a couvert » qu’elle a fait baptiser son enfant sous de faux noms, précisant que le parrain est Hanneton, clerc de la paroisse de St Gery a Valenciennes, et la marraine la fille de ladite Le Blan. Elle ajoute que sa déposition pourra être confirmée par l’extrait baptistaire, par l’accoucheuse et par ceux ou celles qui ont transporté l’enfant à l’hôpital à Paris « et c’est meme de quoy elle s’offre a rapporter les actes et certificat necessaires au plustot possible ». Enfin, elle signe avec application chaque page de sa déposition : marianne ioesph cantrainne.

     

    049. Un abandon d'enfant à Valenciennes en 1758

     

    Un faux

    Le lendemain 22 novembre, un prêtre de St Géry délivre un extrait de baptême. Il est truffé d’inexactitudes et de fausses déclarations. On laisse même entendre que l’enfant est né à Valenciennes : « L’an mil sept cent cinquante huit le sept novembre fut baptisé pierre Antoine joseph, né hier à onze heures du soir fils illegitime de … et de Marie Louÿse Cauchÿ native et Residante a la Croisette proche st amand, libre, la sage femme Caroline Leblanc rue du verger, laquelle nous a declaré que la ditte Cauchÿ lui avoit affirmé par les serments ordinaires dans les maux que son enfant estoit des œuvres de jacqs noel dupont libre Resident au même endrois, parin jean Baptiste henneton Clerc de cette paroisse, Marene Caroline Leblan sage femme susditte estoient signés Cleblanc pour ma mère, jBhenneton – n demourin vic » Le généalogiste retiendra que dans certaines situations, les pistes sont volontairement brouillées même si les noms et lieux ne sont pas choisis tout à fait au hasard.

    Surpris ?

    Ce même jour, le bailli interroge successivement Marie Claire Bisau, Léonard et Marie Joseph Cantraine. Pierre Antoine témoigne le 24. Nicolas et Firmine, pourtant présente lors de l’accouchement, ne sont pas entendus, ce qui laisse supposer que le père était très diminué par l’âge et que sa fille pouvait être simple d’esprit. Le bailli vérifie ensuite toutes ces dépositions à travers le témoignage de l’accoucheuse, Marie Françoise Legrand, cinquante ans, femme d’Antoine Leblanc, et celui de Marie Joseph Caroline Le Blanc agée de vingt trois ans, sa fille à marier. Toutes ces déclarations confirment les dires de l’accusée. Elles semblent sincères et pleines de bonne volonté, mais il peut s’agir aussi d’un discours habilement concerté pour éviter tout risque de poursuite judiciaire. En effet, Marie Anne Joseph est une fille intelligente : elle est la seule de sa famille à savoir signer. Même si elle écrit « joseph » dans le désordre, elle possède une réelle maîtrise de l’écriture et par conséquent de la lecture.

    Marie Claire Binau raconte que sa fille « Se trouva fort Incommodée en Se plaignant d’un grand Mal de Rain que Sur Le matin ille apparu que Sadite fille étoit enceinte et alloit accoucher ». Elle se dit surprise, prétendant avoir ignoré que sa fille fût enceinte. Elle l’a accouchée « Sans que personne ne Le Sache » et, l’enfant ayant pleuré à sa naissance, elle lui a « Seulle donné Le Secours qu’elle a pû Luÿ donner ». Elle « reprocha a L’Instant » à sa fille de lui avoir caché son état et lui demanda « de qui elle avoit eu et qui Luÿ avoit fait Cet Enfant ». Marie Anne Joseph a répondu « qu’elle n’avoit pas Crû elle meme d’Etre enceinte » et a avoué sa furtive rencontre.

    Il est difficile de déterminer si Marie Anne Joseph Cantraine a fait un véritable déni de grossesse ou si elle a pris le risque de cacher son état et prémédité, voire préparé l’abandon de son enfant. Si, même accidentellement, il était décédé à la naissance, sans baptême et s’il n’avait pas été inhumé chrétiennement, elle aurait encouru à coup sûr la peine de mort. Léonard et Pierre Antoine disent avoir ignoré la grossesse de leur sœur et appris avec surprise la naissance de l’enfant à midi, de retour de leur travail. Peu vraisemblable de la part de campagnards à l’œil exercé. On a franchement peine à croire que la mère, qui avait suspecté la grossesse de sa fille, se soit contentée de ses explications, au point d’être stupéfaite quand l’accouchement s’est déclenché, d’autant plus que certains villageois, qui ont suscité l’enquête, ne s’y sont pas trompés. Quoi qu’il en soit, ces dépositions décrivent comment l’abandon était organisé.

    Une filière de l’abandon

    Atterrées, Marie Claire Binau et sa famille cherchent « Le moÿen pour Tacher de Couvrir L’honneur » de Marie Anne Joseph « d’Eloigner Secrettement Cet Enfant ». Marie Joseph révèle que les préoccupations financières ne sont pas absentes : il faut une accoucheuse qui se contente d’une somme modique pour se charger de l’enfant, le faire baptiser et conduire à Paris. Pierre Antoine part donc pour Valenciennes où il se renseigne auprès de diverses personnes. On lui indique Madame LeBlanc, accoucheuse. Il lui propose « de se charger d’un Enfant dont une fille de Sa connoissance etoit accouchée » et qu’on lui apportera le lendemain de grand matin. Prudente, la matrone repond « qu’il falloit Savoir ce que c’Etoit de Cet Enfant S’il etoit en etat d’étre transporté Sans danger a… Son Bapteme ». Pierre Antoine avoue qu’il s’agit de sa sœur dont il veut « Sauver L’honneur et la reputation » « Surquoy la [sage-femme] luy dite qu’on pouvoit apporter Ledit enfant Le Lendemain matin, et qu’elle verroit a pouvoir Se charger du tout ». Rassuré, Pierre Antoine se trouve un cabaret où il passera la nuit.

    Marie Joseph relate comment vers trois ou quatre heures du matin, elle « Se Chargea dud Enfant qui etoit maliotté dans des Linges et une mauvaise Couverture Soutenu par une Serviette en dessous de Sa faille* ». Accompagnée de Leonard, elle arrive vers six heures et demie du matin à Valenciennes. Pierre Antoine est au rendez-vous, à l’entrée de la porte de Tournay. Il leur annonce qu’il a trouvé une accoucheuse. Léonard rentre à Hasnon, Pierre Antoine conduit aussitôt sa sœur chez l’accoucheuse à qui ils remettent l’enfant. On le déballe. La sage-femme et sa fille constatent que le garçon n’est « enveloppé que de [fort] mauvais lange, et dans une très mauvaise couverture Blanchatre et Bordée de Rayes Rouge qui paroissoit même étre un morceau de couverture Servante aux cheveaux ». Il « etoit presque nu et dont rien de ce qu’il avoit ne pouvoit Servir etant méme dans L’état ou il etoit née ». La matrone le trouve « tellement naissant quelle fut obligée de le Soigner et accomoder comme Sil ne faisoit que de venir au monde ». Elle veut connaître ses visiteurs, elle comprend, à leurs propos, qu’ils sont frère et sœur de l’accouchée et elle les interroge. « Après tous ces aveus et declarations », elle accepte de prendre en charge l’enfant « parmis la Somme de quatre Louis y compris toutes les nippes dont il falloit revestir cet Enfant ». Ils conviennent que l’enfant restera chez elle, ils arrêtent les modalités du baptême et du transport vers Paris. Marie Claire Biseau apprend au retour de ses fils et de sa fille ce qu’ils ont décidé pour l’enfant.

    C’est la fille de la sage-femme qui a porté elle-même l’enfant à l’église, a veillé à ce qu’il soit baptisé comme convenu et a été sa marraine, le parrain ajoutant le nom de Joseph, elle a ramené l’enfant chez sa mère où il est resté jusqu’au jeudi neuf à midi. Entre temps, Pierre Antoine est revenu seul chez l’accoucheuse apporter les quatre Louis convenus. Comme promis, celle-ci lui a remis le certificat, daté du treize novembre, que l’hôpital avait délivré à Jean Cirié qui a porté l’enfant à Paris. Pierre Antoine remet ce certificat au bailli qui le paraphe. Pour leurs dépositions, la sage-femme et sa fille ont « requis Salairs ». Le bailli les a respectivenent « taxé » de vingt et de seize patars.

    Le bailli a toutes les preuves que l’enfant a été baptisé puis confié, bien vivant, à une accoucheuse pour le remettre à un hôpital. Aucune charge ne peut donc être retenue contre la famille Cantraine. Mensonges ou pas, l’enquête est terminée.

    Marie Claire Binau est le chef de famille, elle semble avoir été l’instigatrice de cet abandon. Son premier réflexe est de dissimuler l’accouchement. On perçoit sa colère. Sa fille est déshonorée, elle veut connaître le responsable, espérant sans doute lui imposer le mariage. Ce n’est pas possible, elle improvise un conseil de famille, elle trouve des faux noms. Même si les Cantraine veulent débourser le moins possible, on peut écarter d’emblée tout motif économique car la pauvreté n’est jamais invoquée. L’obsession est de « couvrir l’honneur » de Marie Anne Joseph, de préserver ses chances de contracter un mariage. En deux heures environ, on met au point le moyen de se débarrasser discrètement du témoin vivant de la faute. L’abandon est si facile, cela se sait jusque dans les campagnes. De fait, Pierre Antoine trouve très rapidement une accoucheuse.

    Marie Françoise Legrand est une sage-femme jurée bien connue des Valenciennois. Le 17 mai 1742, elle et son mari se sont engagés à élever jusqu’à sa majorité Albert Joseph, un nourrisson trouvé deux mois et demi plus tôt à Douchy pour la somme – totale – de vingt-six écus à quarante-huit patars pièce (J 1586/40 aux AD 59). La somme semble mince. En effet, les mayeur et échevins évitaient, autant que possible, de faire supporter à la communauté villageoise l’entretien des enfants trouvés sur leur terroir. Spéculait-on sur le risque que l’enfant n’atteigne pas cet âge ?

    Il est difficile de comparer les « 26 écus à 48 patars pièce », soit 62 florins 8 patars, dont s’est contentée l’accoucheuse pour élever un nourrisson jusqu’à sa majorité et les « 4 louis » réclamés par cette même sage-femme pour vêtir et prendre en charge un nourrisson durant quelques jours et rétribuer un « meneur » pour le transporter à Paris. En principe, les 4 louis valent 76 florins 16 patars, mais on utilisait aussi des monnaies plus anciennes émises à des cours différents. La comparaison entre les deux sommes reste éloquente : on exploitait la détresse des femmes et filles « deshonorées ».

    Épilogue

    Savait-on que l’abandon à l’hôpital équivalait, dans la majorité des cas, à un « infanticide par procuration », dans la mesure où ces enfants étaient mis dans des situations telles que leurs chances de survie étaient faibles ? D’abord, ils sont fragilisés par les mauvaises conditions de la grossesse, de l’accouchement et le manque de soins attentifs. Ensuite, le transport est éprouvant. Il s’effectue à dos d’homme dans une boîte matelassée pouvant contenir trois nouveaux-nés ou sur des charrettes. Le meneur, payé à la course, ne s’arrête que pour ses propres nécessités. Il fait sucer aux nourrissons une éponge imbibée de lait. Nourriture inadaptée, manque d’hygiène, étouffement, accidents, selon la saison 5 à 10 % des enfants n’y survivent pas. Les rescapés sont accueillis à la maison de la Couche, rue Neuve-Notre-Dame, à côté de l’Hôtel-Dieu. Des nourrices, poussées par la misère, les y allaitent. Maladies, accidents, ils sont les plus mal soignés. D’après un témoignage de 1762, une visiteuse alarmée par l’état des bébés se serait entendue répondre par une religieuse « que ces enfants étaient bienheureux de mourir, qu’ils allaient jouir d’une éternelle béatitude ; et … il est bien à souhaiter aussi pour les gens de cet hôpital que tous les enfants qu’on y apporte n’y vivent pas longtemps, parce que ses revenus ne seraient pas suffisants pour nourrir tout le monde », ce qui reflète une opinion trop répandue. La mortalité est effrayante : à Paris, plus de 80 % des bébés abandonnés n’atteignent pas leur première année. On ne peut donc qu’être pessimiste sur le sort de Pierre Antoine Joseph « Dupont ».

    Au plan social, la famille Cantraine décline progressivement. Nicolas, le père, s’était marié une première fois en 1721 avec Jeanne Brigitte Baudry, une jeune veuve d’Hasnon pourvue de deux fils. Il s’était engagé par contrat de mariage à les élever et entretenir jusqu’à l’âge de vingt ans et payer à chacun cinq cents livres de fourmorture, somme importante pour un manouvrier, fournir une vache à chacun quand ils prendront état honorable et les vêtir comme de coutume. Ces dispositions laissent supposer que Jeanne Brigitte Baudry jouissait de quelques biens. Elle laisse Nicolas veuf quelques mois après la naissance de leur fille Marie Angélique qui s’était mariée à l’âge de vingt et un ans en 1742 sans difficulté apparente. Veuf, Nicolas se remarie en 1723 avec Marie Claire Bisiau. Elle n’est pas un parti avantageux : elle n’est pas originaire d’Hasnon, elle est orpheline, simple fileuse, elle approche de ses trente-cinq ans et elle est bien près d’accoucher de surcroît.

    En 1758, Nicolas n’est pas encore parvenu à trouver alliance pour les six enfants de ses secondes noces. Le scandale provoqué par Marie Anne Joseph éclabousse la fratrie, prolongeant leur célibat. Léonard et Marie Joseph semblent avoir quitté Hasnon. Firmine, à l’âge de trente-six ans, se résigne à épouser un veuf chargé de trois enfants. Pierre Antoine doit attendre encore douze ans pour se marier. Quant à Marie Anne Joseph, elle convole à quarante-trois ans avec un orphelin d’Orchies, issu d’une famille de boulangers, de vingt ans son cadet. Le couple a un fils deux ans plus tard. Précoce, il se marie à l’âge de seize ans et quatre mois avec Rose Elisabeth Davrinche, native de Givenchy le Noble. Il devient père cinq mois plus tard. Ces diverses péripéties montrent que « l’accident » survenu à Marie Anne Joseph s’inscrit dans une marginalisation progressive de la famille Cantraine qui ne parvenait plus à maintenir sa position et à sauvegarder ses intérêts dans le village.

    * jupe

     

    Extraits d’un article publié dans « ACCORD PARFAIT » n° 27, bulletin de l’association ARPÈGE.

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    Remerciements :

    à M. Serge DORMARD qui a bien voulu se pencher sur le problème des monnaies.


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