• Chers lecteurs, vous êtes en droit de me rétorquer : "Mais que vient donc faire le compositeur Verdi dans un blog consacré aux recherches généalogiques dans le Nord, le Pas-de-Calais et la Belgique ?".

    Juste attirer l'attention des plus pointilleux d'entre nous sur un détail : comment déterminer  correctement la date dans un acte paroissial ou d'état civil ?

    D'abord, Giuseppe Fortunino Francesco VERDI est né Joseph Fortunin François VERDI ! Tout simplement parce qu'en 1813, son village natal était alors sous domination napoléonienne dans le département français du Taro. Son acte de naissance, parfaitement orthodoxe, est donc rédigé en langue française et ses prénoms sont francisés.

    « L’an mil huit cent treize, le jour douze d’octobre, à neuf heures du matin, par devant nous, adjoint au maire de Busseto, officier de l’état civil de la Commune de Busseto susdite, département du Taro, est comparu Verdi Charles, âgé de vingt huit ans, aubergiste, domicilié à Roncole, lequel nous a présenté un enfant du sexe masculin, né le jour dix courant, à huit heures du soir, de lui déclarant et de la Louise Uttini, fileuse, domiciliée aux Roncole, son épouse, et auquel il a déclaré vouloir donner les prénoms de Joseph Fortunin François. »*

    Si cet acte n'appelle aucune remarque particulière, il n'en est pas de même de l'acte de baptême qui mentionne « "né hier soir" [ce qui] a suscité un doute sur sa date exacte de naissance.  À cette époque, les jours étaient en effet comptabilisés à partir du coucher du soleil, cette mention pouvant évoquer le samedi 9 octobre. »*

    Ainsi donc, grâce à un curé resté fidèle à la rédaction traditionnelle (et à Wikipédia), nous sommes alertés sur les dates piégeuses et en prime, nous comprenons maintenant mieux la mentalité de nos aïeux. Au coucher du soleil, ils considéraient avec logique la journée - plus précisément leur harassante journée de travail - comme terminée. Ils "prenaient leur réfection" comme on désignait joliment le repas dans le Douaisis et ils s'accordaient seulement une courte soirée de détente à la chandelle ou au coin du feu en songeant probablement comme les Espagnols que "Mañana será otro día" (Demain sera un autre jour) avant de s'octroyer un sommeil réparateur afin d'affronter le dur labeur qui les attendait le lendemain. À minuit, ils dormaient du sommeil du juste sans se préoccuper du passage d'un jour à l'autre.

     

    050. Naissance et baptême de Verdi

    La Louvière, Belgique : Strépy-Bracquegnies
    Place communale de Stépy - porche d'une ferme
    Cadran méridional, orienté, daté 1793

    http://michel.lalos.free.fr/cadrans_solaires/autres_pays/belgique/cs_hainaut.php

     

    Il faut cependant considérer une grande variété dans la rédaction des actes paroissiaux selon le curé ou le clerc paroissial. Ainsi l'un, indifférent aux ordonnances royales et aux rappels des évêques, négligeait de préciser le moment de la journée, un autre l'indiquait vaguement et d'autres encore veillaient à inscrire une heure précise. Encore fallait-il que la paroisse ait été suffisamment riche pour doter le clocher d'une coûteuse horloge. Signalons en passant que les églises de Flêtre, Winnezeele, Berthen, Wallon-Cappel, Eecke et Hardifort ne possédaient même pas de clocher en pierre mais d'une simple "maison des cloches" ou "klockhuis"en bois dont seuls les deux derniers subsistent encore de nos jours.

    L'heure - et le jour - d'un événement : naissance et baptême de Verdi

    Eecke - le klockhuis (à droite avec son horloge) de l'église Saint-Wulmar (à gauche) dans le cimetière

    https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Eecke_WLM2016_le_klockhuis_de_l%27%C3%A9glise_Saint-Wulmar_(1).jpg

     

    Cf. Wikipédia et Monuments Historiques

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        * Source Wikipédia sur lequel on trouvera le fac-similé de l'acte de naissance de Verdi.

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Giuseppe_Verdi


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  •  Sous l’Ancien Régime, la rente était l'instrument de crédit par excellence*. Elle servait surtout à lever les fonds nécessaires à l’acquisition d’un bien d’une certaine importance. Là s’arrête la comparaison tant les différences sont nombreuses et importantes avec le crédit tel que nous le connaissons.

    - Les précurseurs des banques étaient de simples officines de commerce et de change comme celle créée en 1750 par Mayer Amschel ROTHSCHILD. Celui qui voulait emprunter s’adressait donc à un notaire qui le mettait en relation avec une personne aisée désireuse de se procurer un revenu régulier et pérenne. Si les deux parties étaient d’accord, il rédigeait la constitution ou création de rente.

    Il y a quelques décennies, dans le secret des études, cette pratique perdurait encore en France.

    - Sa particularité la plus caractéristique était que l’emprunteur recevait un capital et versait chaque année une somme fixe. Le taux le plus courant était le denier 20 soit 5% mais il ne s’agissait ni d’intérêts ni du remboursement d’une part du capital mais plutôt d’un loyer. L’expression « loyer de l’argent » n’a d’ailleurs pas disparu de notre vocabulaire.

    - En conséquence, la rente est héritière. Elle se transmettait aux héritiers tant du côté du crédirentier (abrégé en rentier) que de celui du débiteur avec faculté de rachat pour l'éteindre aux conditions généralement précisées dans l'acte de constitution. Elle pouvait ainsi perdurer durant plusieurs générations allant jusqu'à plus de deux siècles et demi si ce n'est plus. Plus rarement, elle est stipulée non remboursable.

    Ce caractère transgénérationnel, un peu comme une dispense de consanguinité, fournit aux généalogistes une solide base à exploiter et à compléter par d'autres actes.

    Lors d'une succession, les rentes figuraient au bilan du défunt, crédirentier ou débirentier. Les héritiers devaient les "reconnaître". Il faut noter que les héritiers pouvaient renoncer à une succession dont le passif était supérieur aux actifs. Un héritier pouvait aussi racheter la part d'un ou plusieurs cohéritiers.

    - Le crédirentier pouvait vendre une rente pour se procurer des liquidités - cas fréquent après une période d’appauvrissement telle le siège d'une ville ou des guerres - ou la donner à ses enfants (plus souvent les filles, les garçons recevant de préférence les terres et les immeubles) en la portant à leur contrat de mariage ou encore la léguer à qui il voulait ...

    - Chaque mutation était signifiée à l’autre partie probablement via le notaire. Le nouvel emprunteur « reconnaissait » alors à qui il était désormais redevable.

    - En sûreté de la rente, des biens tels que terres et/ou bâtiments étaient pris en garantie. Cette clause, forme d’hypothèque, n'empêchait nullement la vente desdits biens, grevant seulement son prix, mais elle obligeait l'acheteur à prendre le relais du vendeur s’il n’avait pas éteint la rente. Il en découle que pour constituer une rente, il fallait déjà posséder quelque bien : "On ne prête qu'aux riches" !

    - Quand la rente restait impayée quelque temps, le crédirentier faisait jouer la garantie. Le plus souvent, ce sont les héritiers du crédirentier négligent ou bienveillant qui mettaient fin au laxisme en réclamant les arriérages.

    Si ceux-ci étaient trop importants, le remboursement exigé devenait impossible, la vente judiciaire « à la criée » (aux enchères) s’imposait. Le débirentier pouvait cependant anticiper en demandant des « lettres de cession misérable », c’est-à-dire abandonner ses biens, se faire déclarer en faillite.

    La rente, son intérêt pour le généalogiste

    Mais l'histoire ne s'arrêtera pas là : les héritiers de feu Gilles FAUVEAU se souviendront du testament de Marguerite ROSIÈRE, leur aïeule. Elle avait légué son jardin auquel elle tenait beaucoup mais elle avait interdit à ses héritiers de le vendre ! Les dernières volontés étant sacrées, la veuve du baron de Bouvignies qui remettait de l'ordre dans les finances n'a pas pu le faire vendre judiciairement...  

    La rente, son intérêt pour le généalogiste

    - Heureusement toutes les rentes ne débouchaient pas sur un procès. On peut alors les suivre dans les cueilloirs de rentes (registres recensant les rentes dues à de gros crédirentiers et servant à leur suivi) et/ou à travers les actes notariés.

     

    Analyser une rente 

     

    La rente étudiée ci-dessous, créée en 1524, objet d'un procès en 1653, couvre une période de 129 années soit a priori environ 4 générations, ce qui se vérifiera.

    La rente, son intérêt pour le généalogiste

     

    La rente, son intérêt pour le généalogiste

    https://www.ochingenealo.fr/les-ochin-du-douaisis/ 

     

    Tri des données

    Trier soigneusement les renseignements sur le crédirentier et sur le débirentier sur deux colonnes pour ne pas s'empêtrer dans les deux lignages.

     

    La rente, son intérêt pour le généalogiste

     

    Exploitation des données

     

    Le contrat de mariage LE LIÈVRE-BONNENUICT fournit les parents... et les grands-pères des mariés.

      La rente, son intérêt pour le généalogiste

    http://www.gennpdc.net/lesforums/lofiversion/index.php/t83518.html

    Du côté de la prêteuse, son legs aux religieuses de l'Abbaye des Pretz rompt toute filiation.

    Quant à la partie emprunteuse, il reste à comprendre quel lien exact existait d'une part entre Adam LE COCQ et Pierre LE LIÈVRE, son héritier, ou Isabeau BONNENUICT et d'autre part entre cette dernière et Jean JOUVENEL par héritage ou cession.

    Un ratissage dans les successions et les ventes passées devant les Auditeurs de la gouvernance de Douai** devrait apporter au moins des éléments de réponse.  

    ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------- * Cf. l'article de Serge DORMARD, professeur d'économie à l'Université de Lille, sur la rente dans Douaisis-Généalogie, la revue du GEGD, association de référence pour le Douaisis.

    ** Cf. le site aux AM de Douai après une sélection, pour faciliter les recherches, dans les remarquables travaux de Jean Claude LAMENDIN publiés par le CEGD.

    Le tabellion de Douai a été mis en place par Louis XIV après ses guerres de conquête dans les années 1660. 

     


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  • Il arrive qu’un acte de sépulture reste introuvable alors que les lieux et date du décès sont parfaitement connus, à défaut correctement cernés, les registres pour la période considérée disponibles et pourtant le ratissage systématique allant jusqu’aux paroisses environnantes reste infructueux. Le curé était-il distrait ou négligent ? Le personnage était-il parti en goguette définitivement ou avait-il été victime d’un sort funeste ? Était-il suspect de protestantisme ou avait-il été excommunié ou s’était-il suicidé ? ou... ?

    Quelques actes inédits trouvés simultanément par hasard et d’autres assez frappants se sont organisés tout naturellement pour faire apparaître les contours des moments les plus cruels de la vie de nos aïeux sans que nous puissions prétendre avoir fait le tour de la question. Il faut cependant considérer que tout ce qui avait trait à la mort était source d’un fructueux commerce. On sait que les testaments notariés commencent toujours par des formules philosophico-religieuses, se poursuivent par le choix de la dernière demeure puis par des dons pieux ou charitables avant d’en venir à la dévolution des biens du testateur. Pour leur part, les curés ne se contentaient pas de confesser, réconforter et oindre les mourants. Ils pouvaient recueillir les dernières volontés et plus volontiers les messes payantes, dons et legs au bénéfice de l’Église ou en leur nom propre avec plus ou moins de succès comme en témoignent les exemples suivants.

    En 1768, Marie Barbe DESAIN, célibataire aussi aisée que pieuse, sans héritiers directs n’avait vraisemblablement que des peccadilles à se reprocher pourtant elle redoutait le Jugement Dernier. Pour gagner plus sûrement la félicité éternelle, elle a légué le produit de la vente de ses deux maisons, meubles et effets non seulement à Marie Anne LEFEBVRE, sa « fille de confiance », mais aussi aux Pères récollets de Cambrai et à sa paroisse. Pour être certaine que ses dernières volontés soient respectées, elle a obtenu l’accord de CLAUWEZ, prêtre bénéficiaire de la métropole de Cambrai, et d’Alexandre DOUTART, avocat en parlement et échevin dudit Cambrai, pour être ses exécuteurs testamentaires, les priant d’effectuer également des legs pieux, de faire dire quantité de messes « pour le salut de son âme » et de verser « le surplus s’il s’en trouve » aux pauvres de sa paroisse. Elle n’avait pas imaginé que, sitôt sa succession réglée, de prétendus héritiers se manifesteraient. Le premier a eu la chance qu’une ancienne créance entre son grand père et celui de la défunte soit retenue : il a obtenu une part prise sur ... celle des pauvres ! Les suivants : un carillonneur et la propre sœur de l’avocat DOUTART ne sont pas parvenus à convaincre les juges (AD59 Cumulus RDC 194/5).

    Les excellentes relations d’Antoine CARPENTIER, curé de Hamage, lui ont permis de se faire coucher le 30 juillet 1677 sur le testament de Jacquelaine de WANBRECHIE demeurant à Valenciennes. Après autorisation du 13 août, il héritera d’une coupe de terre à charge d’un obit à perpétuité. Mieux, le 02 septembre de la même année, il bénéficiera d’une donation de deux rasières et d’un demi-bonnier de terres de la part de Philippe DE WALLERS, son paroissien « pour la bonne affection et obligation quil at et port vers [sa] personne ». En échange, il devra « celebrer et chanter un obÿ Annuellement la vie naturelle et durant dudit Carpentier avecq messe … ». Curieux marché par lequel le généreux donateur a intérêt à prier pour la longévité de celui qu’il favorise ! (Tabellion de Douai 2E13/1467 nos 131 et 14 AD59).

     Soulignons au passage que les religieux payaient volontiers en ... prières à l’instar des pauvres Clarisses de Cambrai en 1777. Leur mulet étant mort, elles avaient absolument besoin d’une nouvelle bête de somme. Justement, Nicolas BASTIDE, maître chaudronnier de ladite ville en possédait un. Il projetait de ne le vendre que prêt à l’emploi, suffisamment développé pour porter des charges et donc à bon prix tandis que les religieuses préféraient acquérir un animal trop jeune mais nettement moins cher. Suite à leurs pressantes sollicitations, il finit à regret par le céder après d’âpres marchandages : elles ne verseraient que la moitié du prix, le reste consistant en prières pour le vendeur et sa famille. L’affaire aurait dû en rester là mais quelques mois plus tard, le baudet n’étant pas devenu la bête forte et robuste qu’elles espéraient, elles attaquèrent en justice leur vendeur dépité qui « n’attendoit d’elles que des prières en reconnoissance : prieres qu’elles avoient promises et sous la foi desquelles il a bien voulu sacrifier le gain qu’il pouvait faire » (Cumulus RDC 44/40 AD59).

    La réciproque n’était évidemment pas possible : les laïcs devaient régler leurs redevances et impositions envers l’Église en nature ou en espèces sonnantes et trébuchantes exclusivement. Le clergé, pas toujours compréhensif face aux difficultés rencontrées par ses débiteurs, disposait de moyens redoutables pour se faire payer. Ainsi Paul DENISE, marchand de laines et peaux, bourgeois de Cambrai, et Marie MORY, sa femme qui ont été victimes de pertes dues aux guerres, ne peuvent satisfaire leurs créanciers dont le chanoine PAULUS, qui ont recours à la justice. L’enquête montre qu’ils ne dilapident point leurs ressources dans les cabarets et ils ont pu recueillir des témoignages en leur faveur. Malgré ces éléments positifs, l’ecclésiastique ne leur consent aucun délai et les fait excommunier. Conséquence fâcheuse : ils sont soupçonnés d’hérésie ! Les infortunés sont obligés d’impétrer des « lettres de cession de biens » (1) que l’official leur accordera le 02 mai 1679 (2), assorties de la levée de l’excommunication. « La bourse ou la vie ! » en somme (AD59 Cumulus RDC 110/4). 

     La mésaventure d’un paroissien d’Hergnies jette une lumière crue sur le comportement du clergé envers ses ouailles. En 1751, Jean François DUPRIEZ, homme manifestement instruit à en juger par sa signature, est tout disposé à satisfaire à « son devoir paschal » (6) mais il se heurtera successivement à son vicaire puis à son curé qui refuseront de l’entendre en confession « Lui disant de se disposer pour la Suite ». Rebuté et n’ayant pas perçu la menace, il renoncera à se présenter au banc de communion « jusqu’à ce que certaines affaires concernant ses interêts temporels fussent ajustées ». En clair, le curé a fait pression sur lui pour qu’il règle ses dettes, dîmes ou rendages habituellement, envers l’Église, n’hésitant pas à porter l’affaire devant le tribunal de l’officialité de Cambrai, demandant qu’il soit « privé de l’entrée de l’eglise pendant sa vie et de sepulture ècclesiastique apré sa mort et condamné aux depens ». Il s’agit d’une excommunication qui ne dit pas son nom pour protéger ici encore les intérêts matériels de l’Église. Jean François implorera un délai au juge qui ne lui accordera qu’un mois pour régulariser sa situation (AD59 Cumulus RDC 215/1).

     La procédure d’excommunication pour dettes envers l’église peut aussi être employée malicieusement en boomerang contre un ecclésiastique. En 1543, les héritiers d’Ysabel MEURISSE, alors probablement veuve de Jacques DE RAISMES, vont se déchirer devant l’Official de Tournai suivi d’un appel devant la Cour de Malines. Son testament stipulait que seuls ses enfants encore vivants au jour de son trépas se partageraient ses biens. Si de nos jours, les petits enfants, en tant qu’héritiers réservataires, recueillent automatiquement la part de leur père - ou mère - prédécédé dans la succession de leurs grands parents, il n’en était pas de même sous l’Ancien Régime. Les testateurs et les parents des futurs époux, véritables contractants des traités de mariage, précisent s’ils accordent ou non « droit de représentation » à leurs petits enfants.

    Au décès d’Ysabel, Pierre et Nicolas DE RAISMES, ses deux fils encore vivants, sont donc héritiers universels. Mais ses deux filles ont laissé une postérité : Jehennette avait eu de Pierre LOBEGEOIS, Jehan, Guillaume et Franchoise tandis qu’Ysabel avait délaissé Ysabelet BONNENUYT, fille d’Adam. Les frères LOBEGEOIS et leur beau frère Jehan LEFEBVRE ainsi que leur cousin Pierre LE LIÈVRE, époux d’Ysabelet, vont s’efforcer de récupérer ce qui pourrait l’être. Revendications réciproques, atermoiements, monition de occultis, lettres patentes et arguties juridiques vont constituer un épais dossier de 39 pièces dans lequel interviennent aussi les deux exécuteurs testamentaires et Martin FOURMANOIR, huissier d’armes de l’empereur à Tournai. Les plaignants s’avisant que leur oncle Pierre étant prêtre, qu’il ne paye pas ce qu’ils lui réclament via un tribunal ecclésiastique, obtiennent purement et simplement de l’évêque un avertissement avant son excommunication ! Leurdit oncle réplique en réclamant que deux gardemaneurs soient assignés à demeure chez Guillaume et à ses frais ! (AD59 Cumulus RDC 190/1).

    Tous les curés n’ont pas cette habileté à lever des fonds ou ont affaire à forte partie. Quatre ans avant sa mort, Marie Claire BOSQUET, veuve d’Hubert HISTASSE - en son vivant authentique dragon du régiment Pimentelli puis de Flavacourt et domina d’Hanzinelle - mais surtout femme énergique qui ne s’en laissait pas compter... ni conter, a dicté ses dernières volontés le 14 mai 1743 à BOTTAR, son curé. Au chapitre des dons, elle a consenti de menues sommes à sa paroisse et quelques messes pour ses parents, son mari et ses amis mais pas pour elle, estimant n’en avoir point besoin (sic), avant de passer à l’obligation pour ses filles de payer en priorité la récolte à leur fermier et autres dispositions matérielles et familiales (Hanzine-Hanzinelle aux Archives de Namur).

    Jean François DUQUESNE, curé de Coutiches, est plutôt partisan du « Fais ce que je dis, pas ce que je fais ». Son testament du 18 octobre 1753 manifeste autant de son sens de la famille que de la justice : il répartit soigneusement ses biens entre tous ses neveux et petits neveux sans exception mais selon les services rendus, le bon comportement et les besoins, avantageant une fratrie orpheline. Par contre, il n’a fait aucun don de charité ! Ses démêlés judiciaires de 1734 à 1738 avec sa hiérarchie pour obtenir des objets de culte et des réparations nécessaires tant à l’église qu’au presbytère l’ont apparemment laissé amer et rancunier (AD59 Tabellion de Douai 2E13/554 et 31H504).

    Le commerce de la mort commençait parfois en amont. Les laïcs pouvaient en effet se retirer dans des couvents et monastères pour y finir leurs jours et y être inhumés dignement moyennant frais de pension ou cession de tout ou partie de leurs biens. Les problèmes pouvaient surgir en cas de changement de Supérieur et surtout si le pensionnaire vivait toujours alors que ses ressources tarissaient. C’est ce qui est arrivé à un célibataire sans héritiers retiré en échange de ses économies à Douai chez des religieux qui avaient bien besoin de ressources après les guerres de 1710-1712. Sous divers prétextes, il finit par être privé des mets offerts par de généreux donateurs, écarté des pièces chauffées puis relégué avec sa « chambre » (3) dans la cour au cœur de l’hiver. Son avocat, indigné, est intervenu en urgence pour le sauver d’une mort possible.

    Que le défunt ait été généreux on non, il restait encore la possibilité d’exploiter plus ou moins la famille grâce aux funérailles qui contribuaient à assurer les moyens d’existence du curé, en l’occurrence, véritable organisateur des Pompes funèbres. Ainsi celui de Forenville-Sérenvillers-Awoingt avait consigné dans son registre de catholicité combien il avait réclamé pour quelques paroissiens d’âge, de sexe et de niveau social variés, se constituant ainsi des repères pour calculer équitablement ses tarifs. De telles données chiffrées sont exceptionnelles mais il n’est pas rare de trouver, comme à Condé-sur-l’Escaut au début du XVIIIe siècle, de brèves précisions sur chaque service funèbre telles que "messe chantée, ornements, présence de plusieurs prêtres, premier, deuxième ou troisième service, service à une ou deux messes, sans service, distribution de pain", etc... tous éléments manifestement corrélés à un barème ... ou négociés à la tête du client. L’inhumation dans l’église paroissiale était plus lucrative, surtout aux meilleurs emplacements, que dans le cimetière. On ne sera donc pas étonné si certains curés peu enclins à la charité, en conflit avec leurs ouailles, etc... se montraient intraitables sur leur dû, n’hésitant pas à recourir à des moyens coercitifs.

    Marie Antoinette RICQUET déplait fortement à son curé. Fille de Nicolas, marchand drapier en détail, et de Antoinette HENNEBEL, elle a été baptisée le 11 février 1643 en l’église Saint-Étienne de Lille située dans le quartier bourgeois mais en 1680, maintenant désargentée, elle demeure en la paroisse Saint-André, rue des Carmes (4) en zone remaniée par Vauban. Vers 1673, le père est mort subitement sur le chemin de Lannoy sans le secours d’un prêtre pour se mettre en paix avec Dieu et éviter l’Enfer éternel. Situation redoutable, loin de ce qu’on considère de nos jours comme une « belle mort » : on laissait accroire que la personne était si pécheresse que la volonté divine avait été de mettre un terme à sa vie sans tarder en lui refusant toute possibilité d’un rachat jugé par avance inutile.

    Outre cet opprobre qui entache sa famille, Marie Antoinette RICQUET qui n’a pas très bonne réputation a attaqué Ferdinand POULLE en justice pour promesse de mariage non tenue. Vaste déballage intime et défilé de quarante-sept témoins, pas moins. C’est dans ce contexte qu’on découvre que la mère de la plaignante semble avoir été victime de la disette et que le curé, craignant que ses enfants ne puissent payer ses funérailles, menaçait d’enterrer ignominieusement la défunte dans une botte de paille. Marie Antoinette RICQUET voulait bien régler sa part mais à condition que ses frères et sœurs paient la leur, ce qu’ils ont refusé de faire. Outrée, elle a renoncé à la fosse qui avait été préparée dans le cimetière et a fait enterrer sa mère comme une bourgeoise, dans l’église ! Une action a été intentée pour recouvrement du solde des frais de funérailles (AD59 Cumulus RDC 11/11).

    Pour les plus démunis, un décès représentait une catastrophe financière si le curé se montrait dénué de compassion. En 1738-1739, le curé de Saint Géry, doyen du district, interviendra dans une triste affaire soumise à l’Officialité de Cambrai à l’encontre d’Amand PANNEQUIN demeurant à Saint Saulve. Suite à un concours de circonstances et à sa pauvreté, il a inhumé lui-même son enfant « sans ministere eccl(es)i(asti)q(ue) ». Il lui en coûtera une humiliante demande de pardon, le don d’un gros cierge et les dépens du procès (AD59 Cumulus RDC 10/37).

    Certains curés allaient jusqu’à veiller jalousement à ce qu’aucun cadavre ne leur échappât ! Toujours dans le Valenciennois, en 1617 et 1629, l’abbé de Hasnon n’a pas hésité à traîner en justice les Grises Sœurs du couvent de St François à Valenciennes jusque devant le Grand Conseil de Malines, juridiction supérieure. Il leur reprochait d’avoir procédé à des inhumations sans son autorisation préalable, elles ont répliqué que cette pratique est « de temps Immemorial ». Le procès s’est achevé en 1635 (AD59 Cumulus RDC 138/11).

    L’affaire peut sembler obscure mais, même lieu, même date, même provenance, deux attestations des frères mineurs récollets de Valenciennes apportent un début d’explication. Ils déclarent les 18 décembre 1628 et 03 janvier 1629 qu’ils bénéficient du privilège d’inhumer « toutes sortes de personnes ecclesiastiq(ues) et seculieres, de quelques condition, estat ou sexe que ce soit sans po(u)r ce Les en demander conge ou licence, aux pasteurs ny Evesq(u)es, ny a personne de quelle authorite qu’elle puisse estre. et telle de tout temps a este et est po(u)r le present n(ot)re praticq(u)e ordinaire sans contradiction de personne ». Péremptoire ! (AD59 Cumulus RDC 208/30).

    Le business de la mort sous l’Ancien Régime

    Cliché aimablement communiqué par Dominique DELGRANGE (AD59 Cumulus RDC 208/30)

    Le business de la mort sous l’Ancien Régime

    Cliché aimablement communiqué par Dominique DELGRANGE (AD59Cumulus RDC 208/30)

    Les préoccupations financières n’étaient évidemment pas absentes comme le confirme clairement le cas suivant. François MERLEBECQ serait passé de vie à trépas le 03 avril 1786 à Hondschoote, mais on à beau chercher, on ne trouve à cette date aucune trace de son décès dans le registre des actes de sépultures. Au cas où le curé se serait trompé de registre, on vérifie si l’acte n’a pas été porté dans le registre des baptêmes ou de celui des mariages. En vain. Le curé aurait-il omis d’inscrire l’acte ? Cela peut arriver. Nous connaissons l’existence de certificats de notoriété pour remplacer un acte de baptême ordinairement requis pour se marier ou justifier de son âge mais pas pour les décès. François MERLEBECQ aurait-il été excommunié, aurait-il été protestant ? Nenni. Il était pensionnaire au couvent des Trinitaires d’Hondschoote où il est décédé après avoir reçu les saintes huiles et où il a été enterré. Plus chanceux que l’infortuné Douaisien dans la cour...

    Nous n’aurions probablement pas eu trace de ce décès si J.B. BECQUE, curé d’Hondschoote, n’avait attrait en justice le ministre et les religieux dudit couvent devant le présidial de Flandre (5). Le curé a obtenu gain de cause et, pour terminer ce procès Monsieur VASSEUR, ministre dudit couvent, s’est obligé le 11 juillet 1788 de lui payer une messe d’enterrement ainsi que tous les frais du procès et de lui donner un acte capitulaire par lequel ces Messieurs du couvent reconnaissent le droit de l’église paroissiale d’administrer les saints sacrements à leurs pensionnaires et de les enterrer comme les autres paroissiens d’Hondschoote. Et « pour que nul n’en ignore », le curé résume l’affaire le 11 août 1788 dans le registre des sépultures (AD59 Hondschoote BMS 1788 Vue 603/943).

    Le business de la mort sous l’Ancien Régime

    Le business de la mort sous l’Ancien Régime

    Certes, les cas présentés dans ce florilège sont assez exceptionnels mais une société se laisse entrevoir et comprendre à travers ses excès et ses dysfonctionnements qui jettent une lumière crue sur les contraintes et difficultés que nos aïeux, hantés par la mort si familière, entretenus dans la crainte du péché et de l’au-delà, pouvaient rencontrer s’ils ne savaient ou ne pouvaient se prémunir contre cette emprise morale.

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    REMARQUE

    Cet article est déjà paru dans le bulletin du GGRN. Quelques modifications muneures ont cependant été apportées.

    NOTES

    (1) Aussi appelées « lettres de cession misérable », terme ô combien éloquent.

    (2) Dans « Les derniers bûchers », Robert MUCHEMBLED a analysé une affaire de sorcellerie à Bouvignies ayant eu lieu précisément de mai à septembre 1679.

    (3) Lit garni et ses tentures.

    (4) déchaussés NDLR

    (5) de Bailleul NDLR

    (6) Tout chrétien était obligé de communier au moins une fois l’an pour la fête de Pâques.

    SOURCES

    La consultation des livres de comptes des établissements religieux fait apparaître au chapitre des recettes des messes et des obits. Avec un peu de chance, les noms des défunts apparaitront (séries G : clergé séculier et H : clergé régulier).

    Quand un défunt a laissé des enfants mineurs, on trouve généralement dans le compte de tutelle le montant détaillé des frais engagés pour les funérailles et souvent aussi pour les derniers jours de maladie (Actes d’échevinage, série E normalement, parfois en Série J).

    Les litiges, actes particulièrement « vivants » comme on a pu le voir mais de recherche plus aléatoire sont à rechercher essentiellement en série B ou, pour les cas moins graves, en série  E (Échevinage) mais l’administration judiciaire sous l’Ancien Régime étant particulièrement complexe, nous ne pouvons que conseiller le catalogue d’une exposition, par Véronique DEMARS-SION et Serge DAUCHY, disponible aux AD59.

    Le business de la mort sous l’Ancien Régime

     

     


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  • Printemps 1977, maman se mourait mais nous ne le savions pas encore.

    L'article passa inaperçu.

     

    00. Le déclic

    00. Le déclic

    Extraits de « LES FRANÇAIS À LA CONQUÊTE DE LEURS RACINES » 

    in "Marie Claire", magazine, avril 1977

    Cliquez et re-cliquez dans les images pour les agrandir.

     

    Quelques mois plus tard, elle n'était plus. Sentiment de perte irrémédiable...

    Lors d'une une séance de rangement et de débarras, la double page attira mon attention. Lecture de l'article. Étonnement ! Une vague envie de retrouver une part de ce que maman, une taiseuse, ne transmettrait plus...

    Quelques années plus tard, la perspective d'un déménagement pour des raisons professionnelles emporta la décision. Achat d'un guide de généalogie pour un bon départ. Nous avions mis le doigt dans l'engrenage... 

    Cas classique.

    Les guerres et le mode de vie moderne qui ont souvent dispersé les familles, déracinant leurs membres, sont aussi à l'origine de l'en-quête généalogique.

    Les non-dits et les situations confuses ou inexpliquées peuvent créer un puissant désir de savoir et de comprendre. 


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