• Une fois encore, les archives judiciaires nous offrent un précieux témoignage sur les mœurs, mentalités et usages relatifs au mariage, moment clé de la vie privée mais plus encore sociale et économique.  

    L'intérêt de ce dossier, au demeurant des plus ordinaires s’il ne se déroulait pas devant deux juridictions, est de mettre en scène à la fois une amourette de prime jeunesse, une fille en mal d'époux qui s'est fait berner et une du bois de celles qu'on épouse. Le tout tandis que Louis XIV vieillissant et sous l'influence de l'austère Madame de Maintenon, oublieux de ses propres écarts - ou ne s'en souvenant que trop bien -, décidait de lutter contre les mésalliances qui déplaisaient tant aux familles.  

     

    L’affaire commence à l’automne 1697.

    Jean Jacques DELACROIX*, mayeur de Quarte et Pont (actuellement Pont-sur-Sambre), est tout heureux de préparer le mariage de son fils Joseph avec Marie DIESME, fille du directeur des postes d’Avesnes. Octobre est le mois idéal pour les réjouissances familiales : les récoltes sont à l'abri, les durs travaux des champs laissent un peu de répit et... il était temps de procurer une épouse à ce fougueux garçon pour le stabiliser...

     

    063. Le fiancé, sa promise et ses ex

    Semailles de septembre

    Traité d’agronomie du Bolonais Pietro de’Crescenzi, 1459 (Ms 340, musée Condé, Chantilly)

     

    La nouvelle se répand dans le village, parvenant aux oreilles d’Anne Marie FINET, une jeune fille qui attendait fermement son heure… Elle intente aussitôt une opposition à ce mariage.  

    À Avesnes, la même rumeur commence à circuler. Marguerite TOURTEAU, réalisant qu’elle s’est fait abuser, entame la même démarche le 21 septembre. Elle se prétend enceinte, exposant que « ce malheur n’est arrivé à la suppliante que sur les promesses de mariage que ce jeune homme luy a faites Et qu’au lieu de les effectuer, on apprend qu’il est en termes d’en epouser une autre. ».

    Le premier ban est néanmoins publié le 22 septembre comme prévu tandis que les familles DELACROIX et DIESME se mobilisent d’autant que Marie DIESME serait aussi enceinte ! 

    Joseph DELACROIX réplique le 25 septembre par une requête devant l’officialité de Cambrai** pour obtenir la levée de ces oppositions au motif que son mariage « a estez Contracté entre les parens Communs des deux familles » et au nom de son propre intérêt.  

    François FABRY, oncle maternel de Joseph et surtout avocat, se joint à son neveu. Il fait mine d'ignorer les griefs des plaignantes mais ne manque pas de réclamer leur condamnation aux dépens, assortis de dommages et intérêts. 

    C’est dans ce contexte que les juges de l’officialité doivent examiner les faits. Ils commenceront par joindre les deux causes en une procédure unique mais totalisant 39 pièces et relativement longue puisque l’inventaire des pièces du procès n’aura lieu qu'en janvier 1698.

     

    François Joseph, prénommé communément Joseph, a été baptisé le 29 janvier 1674 à Quarte et Pont. Il est encore mineur**. Jacques et Jenne LIESNARD, ses parents, ont veillé à son éducation et à sa formation pour en faire un jeune homme accompli. Son père l’envoie en toute confiance régler ses affaires à sa place. C’est pourquoi Joseph demeure présentement à Avesnes chez le sieur Claude CRESTEAU.  

    Sa voisine n’est autre que Marguerite TOURTEAU qui avait largement dépassé la trentaine sans parvenir à trouver un mari. Elle a accepté - sous de vagues promesses de mariage - de lui ouvrir imprudemment sa porte. Il se montrait si pressant…   

    L’année précédente, Joseph semble avoir été sincèrement amoureux de Marie Anne FINET, aussi du village de Quarte et Pont allant jusqu'à causer un scandale. Mais souvent cœur varie, Joseph se lasse et papillonne…  

    C'est alors que les parents de Joseph et le maître de poste ont entrepris de marier leurs enfants, passant même le contrat de mariage. Alliance avantageuse. Joseph s'est laissé convaincre facilement. 

     

    Autant le dossier de l’une apparaît fragile, autant celui de l’autre s'avère solide.

    Marguerite est assignée à comparaître le 1er octobre. Elle est âgée de 35 ans environ, elle se prétend enceinte de deux à trois mois, ce qu’atteste Marguerite NONNET, sage-femme « sermentee » d’Avesnes qu'en bonne fille de médecin, elle n'a pas manqué de consulter le 28 septembre. Elle réclame donc l’exécution des promesses de mariage ou les frais de défloration, de couche et entretien de l’enfant à naître dans 6 à 7 mois.

    Pour faire pression, elle s’est aussi adressée au comte de BROGLIA, gouverneur et bailli d’honneur des ville et bailliage royal d’Avesnes qui a fait emprisonner le jeune homme où il se trouve le 16 septembre 1697.

    Mais Marguerite ignorait que le tribunal ne prenait les grossesses en considération qu’à cinq et six mois passés.

    Malheureusement mal conseillée, elle hésite entre des relations charnelles consenties sous belles promesses ou forcées… la première fois ! Elle ajoute qu’elle s’était toujours bien gouvernée jusque là. Elle finit par demander « une dotte conforme a sa condicion ».

    Chicaneries ordinaires, Joseph la traite d’affabulatrice et insinue qu’elle aurait en vue un mariage avec un autre… et il s’étonne qu’à trente-six ans (sic), elle s’acharne à vouloir l’épouser, lui qui n’est âgé que de vingt-et-un ans (sic).  

     

    Pierre DIESMES et le sieur François FABRY, oncle paternel de Marie, avocat au bailliage royal d'Avesnes et chargé des affaires de son Altesse le Duc d’Orléans de surcroît, tous deux bourgeois, veulent en finir au plus vite avec cet obstacle à leurs desseins. Le 23 novembre, ils se portent caution devant le bailliage d’Avesnes pour ledit DELACROIX au cas où il serait condamné pour défloration, frais de couche et entretien de l’enfant à naître.  

    En outre, François FABRY, au nom de sa nièce, demande l’accomplissement des promesses de mariage faisant valoir que « la chose est fort avancee, ÿ aÿant contract de mariage**** fait du consentement des plus proches parens des parties, que ledit suppliant convient que ladite diesme est enceinte… » et que la caution versée par ledit suppliant « servira pour tous les interests pretendus ».

    Il faut probablement compter aussi sur l’appui de François DIESME, aussi oncle de Marie, notaire royal du bailliage d’Avesnes, ancien mayeur d’Avesnes et subdélégué à Avesnes de l’intendant du Hainaut. 

    Marguerite essaie de convaincre qu’elle est d’aussi bonne famille que Joseph. Las, ses prétentions tournent court. Elle est renvoyée devant le bailliage d’Avesnes pour y demander des dommages et intérêts le moment venu…  

     

    Marie Anne FINET semble d’origine plus modeste mais elle dispose de solides arguments.  

    Elle demande la préférence en faisant prévaloir son antériorité et elle avance des preuves. À défaut, elle se contenterait d’une dot… 

    Elle fournit quatre missives affectueuses de Joseph. Une seule est signée… La dernière, du 26 septembre 1696, adressée à « Mariane finet chez françois proùveùr a Cùrgie » se termine par « c’est celuÿ qui voùs at debaùchez qùi voùs mande Vostre tres fidel et intime serviteùr ». 

     

    Le fiancé, sa promise et ses ex (en cours)

    AD59 Cumulus RDC 194-30 

    Elle exhibe aussi un certificat circonstancié de Jacques DORLEANT, curé de leur paroisse, à qui les tourtereaux avaient, le premier août 1696, fait part de leurs intentions de mariage. Mais, craignant à juste titre l’opposition des parents de Joseph, ils avaient effectué cette démarche à l’insu de leurs familles… Le prêtre leur a expliqué que l'accord de leurs parents est obligatoire.

    Enfin, leurs amours ont fait scandale : le lendemain de leur visite au curé, Joseph DELACROIX s’est rendu coupable d’« enlèvement », plus exactement, ils ont fugué ensemble, espérant sans doute forcer le consentement du mayeur et de sa femme.

    Jean FINET et Jean COLMANT, respectivement frère et futur beau-frère (il épousera Antoinette FINET) de Marie Anne, attestent que le 02 août 1696, ils avaient été requis par Marie TELLE, mère de ladite FINET de la rechercher. Ils l’ont trouvée le soir dans une tourelle à sécher du houblon en compagnie de Joseph.

    Ladite TELLE a commencé à gronder et à maltraiter sa fille, Joseph lui « a repondu quelle [Marie Anne] n’ÿ retourneroit point [à la maison], et qu elle n’estoit plus a elle qu’il le tenoit pour sa femme, et s estoit a luÿ » précisant « qu’il l’avoit enlevé honneste fille, et qu’il la vouloit faire honneste fem(m)e », répétant « qu’il l’avoit enlevé […] en brave fille, qu’il en feroit Une brave fem(m)e ». Ces promesses de mariage faites clairement en présence aussi de Marie Anne MERCHIER, femme dudit Jean FINET.

    En août et septembre, l’amoureuse Marie Anne avait cédé à plusieurs reprises aux désirs de Joseph mais aucune grossesse ne s'était ensuivie. Puis il l'avait délaissée, draguant ailleurs.

    Meurtrie et manifestement jalouse, elle s’efforçait d’épier les faits et gestes de son séducteur, affirmant avoir mis en garde deux autres filles qu’il aurait abusées et laissant planer la menace d’autres plaintes éventuelles…

    Forte de ses droits et preuves, Marie Anne, qui garde quelque espoir de se faire épouser, persévère dans ses poursuites.

    Pour les familles DELACROIX et DIESMES qui ont surtout hâte de faire publier les deux autres bans, les prétentions de Marie Anne sont plus ennuyeuses. Elles vont méthodiquement démonter ses arguments et preuves et renouveler leur offre de caution.

    Le 9 novembre 1697, les père et mère de Joseph font connaître par écrit leur opposition absolue au mariage de leur fils avec Marie Anne FINET et leur volonté de lui faire épouser Marie DIESME.

    Le même jour, le sieur FABRY fait valoir que « le mariage que led de la Croix pretend faire avec lad dalle diesme, est le plus Jùste Et le plus advantageux qu’il puisse faire dans lestat p(rése)nt des Choses

    Il est le plus Jùste, parce que laditte diesme ne sest laissee aller aùx desirs dud de la croix, que sur une promesse positive qu il lüy at donné de L Espouser, Et Come Elle se troùve Enceinte de ses oeuvres Cette promesse doit Saccomplir Elle est Icy Jointe

    Il est le plus advantageux aud delacroix parc parce que cette fille est de L Une des premiere famille d Avesnes Le sieur pierre diesme son pere estant directeur des postes Et bon marchand bourgeois de La ville d Avesnes, le sieur francois diesme son oncle En aÿant estez doùze ans maieur, Et estant presente(ment) subdelégué de Monsieur L Intendant Woisin, Et ceste fille aÿant plus une dotte plùs forte que Celles que lesd finet Et tourteau Jointes Ensemble » 

    Le même jour encore, Joseph fait valoir les tout récents édits et déclaration du roi renforçant les intérêts des familles contre les mésalliances de leurs enfants :

    « Extrait du registre du bailliage d’avesnes portant L’Enregistrement des Edits et declarations du roy

    Edits du roy du mois de mars 1697 et declaration du 15 juin ensuivant concernant la celebration du mariage

    […] les roys nos predecesseurs ont authorisez par plusieurs ordonnances L’execution d’un reglement si sage, et qui pouvoit contribuer aussÿ utilement a empescher ces conionctions malheureuses qui troublent le repos et fletrissent L’honneur de plusieurs familles souvent encore plus honteuses par la corruption des mœurs que par l’inegalité de la naissance, mais comme nous voyons avec beaucoup de desplaisir que la justice de ces loix et le respect qui est Deu aux deux puissances qui les ont faites, n’ont pas estez assez capables d’arrester la violence des passions, qui engagent dans les mariages de cette nature, qu’un interest sordide fait trouver trop aisement des tesmoins Et même des prestres qui prostituent leurs ministeres aussy bien que leur foy pour profaner de concert ce qu’il y at de plus sacré dans la religion et la societé civile : nous avons estime necessaire d’establir plus expressement que L’ont n’avoit fait jusqu’à cette heure

    […] Declarons que le domicille des fils et filles de familles mineurs de vingt cincq ans, pour la celebration de leur mariage est celuy de leur peres, meres ou de leurs tuteurs et curateurs apres La mort de leurs peres et meres, et en cas qu’ils ayent un autre domicile de fait, ordonons que le bancs seront publiez dans les paroisses ou Ils demeurent et dans celles de leurs peres, meres, tuteurs et curateurs

    Adjoutant a L’ordonnance de lan 1550 et a l’article deux de celle de L’an 1659 permettons aux peres et aux meres d’exhederer leurs filles veuves mesme majeurs de vingtcincq ans lesquels se marieront sans avoir requis par escrit leur advis et conseils

    Declarons lesdittes veuves et les fils et filles majeurs meme de vingt cincq et de trente ans, lesquels demeurans actuellement avec leurs peres et meres contractent a leurs insceu des mariages, comme habitant d’une autre paroisse sous pretexte de quelque logement qu’ils y ont pris peu de temps auparavant leur mariage privez et descheus par leur seul fait ensemble les enfans qui en naistront, des successions de Leurdis peres, meres et ayeuls et ayeulles et des tous autres avantages qui pouront leur estre acquis en quelque manière, que ce puisse estre mesme du droict de legitime

    […] Signez bardet

    Collationné au Registre du Baillage d’avesnes Et trouvé concorder de mot a autre par moÿ commis au greffe dudt Baillage sousigné ce 9e. 9bre. 1697 Beviere ».

     

    Et Joseph dans tout cela ?

    Le premier juin 1697, il avait rédigé un court billet, signé celui-là : « Je promet et ie Jure sur ma part de paradis que i. Espouseray demoiselle Marie diesme que ie n’en prendraÿ point d’autre ».

    Le premier octobre, l’officialité, à titre conservatoire, l’avait fait mettre au secret et au pain sec et à l’eau trois jours par semaine dans un cloitre, chez les Jésuites ou chez les Capucins de Maubeuge, avant le jugement définitif. Mais le 13 décembre, la mesure n’étant toujours pas exécutée, Marie Anne FINET qui semble désormais sensible à l’octroi d’une dot, doit relancer les juges.

    Un Jésuite de Maubeuge atteste qu’il a reçu le 18 un jeune homme nommé Joseph DE LA CROIX assigné à une retraite de huit jours pour des « exercices spirituelles […] avec toute l’exactitude possible, ne sortant pas un moment de la chambre qui luÿ a etté designee, excepté poùr aller entendre l.. messes, et pour autres necessitez indispensables. – Je certifie de plus quil ÿ a jeuné tres exactement au pain et a leau trois jours ; en un mot quil ÿ a donné des marques, dun veritable repentir. ». Joseph peut en ressortir promptement le 27 décembre avec un certificat attestant qu’il s’est livré à une confession générale.

     

    063. Le fiancé, sa promise et ses ex

    http://www.monumentum.fr/ancienne-chapelle-college-des-jesuites-actuellement-salle-sthrau-pa00107747.html

     

    Chicaneries de peu d’importance puisque pour les juges, n’étant pas enceinte, la plaignante ne pourrait pas empêcher le mariage avec ladite DIESME « Jettant dans l’opprobre » sa famille. Et pourtant… qui a promis le mariage et défloré doit s’exécuter car « il est tres constant de droict que ce n’est point l’enfantement, nÿ la grossesse qui engendre cette obligation indispensable » mais la parole donnée.

    Restent les dommages et intérêts…

    La justice d’Ancien Régime est à rapprocher de celle qui a encore cours aux USA (comme on a pu s’en apercevoir lors d’un retentissant procès opposant une femme de chambre à un homme politique français). Les parties préfèrent souvent trouver un mauvais accord entériné par le juge plutôt que poursuivre un procès ruineux. Le procureur de Marie Anne FINET procédera donc le 14 janvier 1698 à l’inventaire des pièces du procès en vue du calcul des frais… et passage à la caisse ! 

     

    Épilogue

    Le mariage de Joseph LACROIX et de Marie DIESMES aura lieu le 06 février 1698 à Chimay où ils s’installeront. Joseph deviendra un respectable marchand et Marie liquidera ses biens à Avesnes en faveur de sa famille.

    Il n’a pas été trouvé trace d’un accouchement de Marguerite TOURTEAU en 1698. En 1702, elle semble habiter à Avesnes chez son frère Claude, marchand cirier. Elle est décédée à l’âge de 79 ans à Avesnes le 13 décembre 1741, toujours célibataire. Elle a été inhumée en l’église d’Avesnes.  

    Le curé de Quarte et Pont enregistrera pour mémoire le mariage de François LE VENT et de Marie Anne FINET le 13 mai 1701 et trois jours plus tard, il baptisera leur fille Marie Antoinette mais l'acte sera intercalé entre ceux des 17 et 20 mai. Des négligences qui en disent long...

     

    Sociologie

    Jean Jacques LACROIX semble n'avoir été qu'un paysan aisé, probablement gros censier et mayeur, autrement dit "coq" de son village mais il avait de l'ambition pour son fils.  

    063. Le fiancé, sa promise et ses ex

    Marie Anne FINET semble n'avoir eu comme atouts que sa jeunesse et sa joliesse, sa famille ne se distinguant en rien de la paysannerie bien que Marie TELLE, Jean, Marie Antoinette et Marie Anne FINET elle-même sachent parfaitement signer, au moins aussi bien sinon mieux que Joseph DELECROIX.  

    063. Le fiancé, sa promise et ses ex

    Marguerite TOURTEAU, outre un père médecin, comptait un marchand et un religieux dans sa famille qui était certes respectable mais de peu d'influence et sans pouvoir particulier.

    063. Le fiancé, sa promise et ses ex

    Par contre, la famille DIESME détenait un réel pouvoir étayé par de solides connaissances juridiques, par la confiance de hauts personnages et probablement par un réel entregent. Avec l'aide probable de son frère curé d'Escarmain, Marie CRONIER, qui se disait pauvre, avait su donner à ses enfants les moyens de réaliser une remarquable ascension sociale jusqu'à truster les fonctions les plus en vue à Avesnes.

     

    Remerciements

    Toute ma gratitude à Georges CLOEZ pour ses travaux et recherches sur Avesnes (Actes de l’échevinage, tomes 4, 5 et 6) et à Georgette VENET pour ses recherches sur Chimay. 

    _____________________________________________________________________________

    * DELACROIX ou LACROIX ou DELECROIX ou DELCROIX. 

    ** Tribunal de l’archevêché de Cambrai pour les affaires religieuses mais aussi civiles dont les affaires de famille.

    *** La question de la majorité est complexe. Sous l'Ancien Régime, elle était de 25 voire 30 ans. Mais elle pouvait différer selon le sexe, l'époque et le lieu (la frontière entre la France et l'actuelle Belgique a été fluctuante). Il faut aussi distinguer diverses majorités : civile ou légale, matrimoniale, sexuelle, politique, ethnique, religieuse, pénale sans oublier son abaissement par l'émancipation.

    **** Le contrat (ou traité) de mariage était valable quarante jours à condition que l’église ait consenti au mariage. 


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  • Le prêt sur gage entre particuliers

     

    Les archives judiciaires renferment quantité de litiges sur la propriété d’objets accaparés ou confiés volontairement par un tiers et sur la difficulté à les récupérer,… Certains sont clairement des prêts sur gage entre particuliers mais d’autres qui y ressemblent fort n’osent pas dire leur nom.

    Le tabellion, pourtant riche en obligations assorties ou non de caution et de rentes garanties par des terres, jardins ou édifices, ne fait pas état de ces prêts sur gage entre particuliers. Rien de tel non plus parmi les accords* ou conventions** voire transactions***.

    Il ne s’agirait donc que d’arrangements de gré à gré, pris sans précautions particulières entre personnes qui se connaissent plus ou moins. Ne pouvant manifestement s’appuyer que sur les usages coutumiers en matière de jouissance et de propriété, voire interférer avec eux, ils dépendent in fine de la bonne foi des parties.

    Les écueils sont importants, le premier étant l’évaluation de la valeur du gage par rapport au montant du prêt. Si les deux parties sont convaincues que l’estimation a été correcte, si le propriétaire du gage préfère payer pour le récupérer, si le prêteur n’est pas particulièrement intéressé par l’objet – qu’il ne se gêne pas d’utiliser – et si aucun des deux ne change d’avis entre temps, les conditions sont réunies pour que tout se passe comme prévu. Sinon, l’emprunteur peut préférer abandonner son bien et le détenteur se laisser facilement aller à la tentation de spolier le propriétaire.

    Les nuances de langage peuvent échapper à des esprits frustes ou au contraire être utilisés astucieusement pour créer un malentendu constituant ainsi une source de sérieuses difficultés. En effet, dans la mentalité populaire, la distinction entre déposer, prêter, rendre, laisser la jouissance, laisser en gage, donner, confier, reprendre en cas de besoin, abandonner, détenir, posséder, utiliser, avoir en jouissance, être légitimement propriétaire,… pouvait être d’autant plus approximative que le temps passait. L’adage veut d’ailleurs que « possession vaut titre (de propriété) » à condition toutefois qu’elle soit « paisible » (sans contestation) puisque « qui ne dit mot consent » et que la détention s’étale sur une période suffisamment longue****. C’était parfaitement reconnu pour des terres d’autant que le bénéficiaire les a maintenues en l’état de culture préservant ainsi leur valeur. Un autre adage sert à éluder les demandes de restitution : « donner, c’est donner et reprendre, c’est voler ! ». Encore faut-il s’entendre sur le sens accorder à « donner »…

    En famille, surtout recomposée, les limites peuvent être volontairement floutées si les circonstances s’y prêtent et il suffit d’un seul individu rapace pour semer la zizanie chez tous les autres, contraints à défendre leurs intérêts. Chacun y va alors de son interprétation toute personnelle.

    Ces ambiguïtés, extrapolations, et quiproquo savamment entretenus parfois, coexistaient avec un fort attachement au patrimoine familial – que l’on se devait de transmettre et si possible augmenter – et à la traçabilité des biens comme le prouvent le droit de proxime avec possibilité de retrait lignager et la succession des couples sans postérité où les héritiers de chaque côté s’empressent de se faire attribuer prioritairement ce qui provenait de leur propre famille.

    Excepté ceux qui se croyaient obligés de mener un grand train de vie, le commun des gens était donc très matérialiste. Surtout à la campagne, ils vivaient en quasi autarcie, se montraient économes de leurs deniers, dépensaient peu, jetaient encore moins, étaient plus traditionnalistes et méfiants que sensibles à la nouveauté, ne répugnaient pas à acheter d’occasion et usaient leurs effets jusqu’à la corde, récupérant broderies, dentelles, boutons et boucles de ceinturon, chapeau ou de chaussures. Quand on possède peu, on y tient beaucoup ! Ce qui peut passer pour de l’avarice n’empêchait nullement la solidarité, le dépannage et la mise à disposition d’autrui de matériel ou d’outillage. Dans ces conditions, il est logique que le vol ait été sévèrement puni.

     

    Florilège

     

    Un prêt sur gage simple et classique, ce qui n’exclut pas une ultime difficulté...

    L’« Extrait des registres des Ville et prevoté Roÿale de Maubeuge de l’audience ÿ tenue le cincq juin 1750 » nous apprend que le sergent VICQ a fait saisir des biens appartenant à Philippe HUBINET, marchand demeurant à Solrennes. Ce dernier parvient à réunir in extremis un paiement partiel et, pour le solde, propose une croix en gage. Le sergent accepte mais un litige portera sur les frais de procédure, les honoraires d’avocat et la valeur dudit gage (AD59 Cumulus RDC 208/17).

     

    ni les complications imprévues…  

    Louis SERVOTTE, marchand à Cambrai, détenait un « porte-manteau » rempli de tabac (sic), laissé en gage par ses débiteurs. Mais Guillaume MASC(A)REZ, aussi marchand à Cambrai s’en est emparé... L’affaire, portée en justice, devant l’Officialité de Cambrai traînera de 1699 à 1700 (AD59 Cumulus RDC 056/52/1).

     

    ni la mauvaise foi ni les chicaneries…  

    Catherine BURΫ « ditte Thrésor », fille libre (célibataire) demeurante à Cambrai porte bien mal son sobriquet car elle est impécunieuse. Elle a obtenu un prêt d’Alexandre COURTIN, garçon libre, majeur, demeurant à Cambrai, moyennant des vêtements et autres objets laissés en gage.

    En 1785, COURTIN s’ingénie par tous les moyens à empêcher la restitution des effets : mauvaise foi, manœuvres dilatoires, fourberies, tracasseries, intimidation, excès ruineux de procédure et de plus, « La MON MIDΫ sa mere » porte les vêtements de leur débitrice !

    Catherine est obligée de s’adresser aux Magistrat de Cambrai pour obtenir satisfaction.

    Ledit COURTIN, qualifié de « lombardiste » et d’« uzurier », sera effectivement condamné aux dépens (AD59 Cumulus RDC 254/55).

     

    Quand les circonstances ne sont pas favorables aux militaires : embrouilles…

    Avant de partir pour la campagne de 1693, soit probablement fin 1692, Nicolas DU LAURENT confie une montre d’or – et autres effets qui appartenaient en fait à des officiers mais qui avaient été mis en gage chez lui – à Jacques ROBILLART, maître maréchal à Tournai. Il aurait aussi mis en pension un cheval moyennant rémunération et foin mais ledit ROBILLART l’a renvoyé trois jours plus tard chez ledit DU LAURENT sans rien restituer.

    Quatre ans plus tard, Jacques ROBILLART est mort en octobre 1693, quelques jours avant le retour de DU LAURENT qui n’est toujours pas parvenu depuis à récupérer la montre Il en est à faire appel devant les conseillers du parlement de Flandres. Ces messieurs, qui détiennent présentement la montre, écoutent les témoignages contradictoires qui se succèdent…

    Entre temps, ROBILLART, un an avant sa mort, étant encore à marier, avait selon un témoin « paradé » et donné la montre – avec promesse de mariage – à une demoiselle pour obtenir ses faveurs. Puis il avait épousé Marie Marguerite CHASTELAIN qui, devenue veuve, s’était remarié avec Nicolas LEBRUN. À présent intimée, elle réunit des témoignages à l’avantage du défunt, insistant sur son aisance, sa probité et sa générosité…

    Un autre témoin déclare qu’un troc aurait eu lieu entre lesdits DU LAURENT et ROBILLART : montre en or contre réveil d’argent… Chacun y allant de son opinion et de ses préjugés sur le propriétaire ou possesseur de la montre et autres biens ou prêts (AD59 Cumulus RDC 135/1). 

     

    Une sacrée embrouilleuse !

    En 1779, le Magistrat de Cambrai (le mayeur et les échevins), embarrassés par une ténébreuse affaire, demandent l’avis ou des éclaircissements de la gouvernance de Douai et Orchies.

    La demoiselle BARÇON est (ou semble ou se prétend être) au service du sieur MALLET, trésorier des États… et donc notoirement solvable. Aussi quand elle vient acheter plus de 36 aunes* de toile passablement fine, donc assez chères, de la part dudit MALLET chez Antoine MONTIGNY, négociant à Cambrai, ce dernier ne se méfie pas. Ce qu’il ignore sans doute, c’est qu’elle a un pressant besoin d’argent…

    Elle remet la toile en gage au sieur MONIEZ, marchand, pour « sureté d’une somme de quatre louis pour laquelle elle avoit fait un billet a ordre** pour un mois » au profit de Robert FENIN.

    Mais ledit FENIN, qui n’est pas payé, s’adresse à la justice qui condamne ladite BARÇON et ordonne la vente de la toile, puisque gage de la somme portée sur le billet.

    Devant l’embrouille, MONIEZ, qui détient le gage, préfère ne pas s’en dégarnir… et il se retrouve devant les juges à la requête desdits MONTIGNY et FENIN lésés dans cette affaire. Interrogée, ladite BARÇON reconnait tout avec candeur, ne réalisant sans doute pas que le vol domestique*** était passible de la pendaison ! (AD59 Cumulus RDC 083/6).

    * 1 aune valait 4 pieds

    ** le billet à ordre est un précurseur du chèque bancaire

    *** vol par un domestique ou une servante envers son maître (employeur)

     

    Dénouements imprévus…

    En 1679, Jeanne REGNART, veuve de Julien G(U)ILLEMAN, demeurant à Ath est gravement malade. Un linceul n’a pas de poches… Elle remet 1700 livres à Jean DU BOIS, curé de St Julien et doyen de chrétienté de Chièvres. Peut-être pour son salut éternel ? L’année suivante, elle se porte bien mieux et souhaite rentrer en possession de son bien mais ledit curé, lui, est décédé. Elle se tourne alors vers Me Valentin DU BOIS, aussi prêtre demeurant à Louvain et neveu dudit feu curé et vers Me Pierre François DU BOIS, prêtre étudiant à l’université de Louvain probablement autre héritier du défunt curé. Elle en récupère une partie mais doit s’adresser à l’Officialité de Cambrai pour obtenir restitution du solde de 976 livres (AD59 Cumulus RDC 121/78).

     

    Une caution en nature qui équivaut à une mise en gage

    En Thermidor An 12, Jacques-Joseph DEFRENNE, cultivateur à Nomain, a imprudemment offert sa caution sous forme de fruits de sa future récolte…

    Mal lui en a pris : Jacques Alexandre LEFORESTIER, propriétaire à Vendeuvre et créancier a fait saisir les fruits au grand dam dudit DEFRENNE qui en réclame la restitution « attendu qu[’ils] sont en maturité ».

    Le tribunal civil de Valenciennes lui a donné tort, il va en appel mais la partie est loin d’être gagnée pour lui… (AD59 Cumulus RDC 206/40).

     

    Ne pas confondre un gage et une gageure (pari) quoique…

    En 1671, Pierre BETOURNÉ, sellier, étant dans une taverne en compagnie de Pierre CAMBIER et autres consommateurs s’est laissé aller à une gageure de 10 pistoles. Il a perdu… Mauvais perdant, il refuse de s’exécuter au motif qu’ils étaient tous deux pris de boisson, ce qui est cause d’annulation. Les juges de l’Officialité de Cambrai vont entendre les témoins et apprécier… (AD59 Cumulus RDC 063/37).

     

    Un gage… d’amour ?

    Elisabeth DELACROIX a donné une bague en or à Pierre LAMOURET (le bien nommé, ça ne s’invente pas !) dont tout laisse à penser qu’il était son fiancé… avant son mariage avec Jacques CHARLET.

    En 1695, Jean Henri DELACROIX, bourgeois maître coreur (forme picarde de corroyeur) à Cambrai et père de ladite Elisabeth a recours au juge aux affaires matrimoniales de l’officialité de Cambrai pour obtenir la restitution du bijou (AD59 Cumulus RDC 020/41).

     

    Un gage humain !

    En 1789, Me MOITY, avocat au parlement de Flandres, en sa qualité de tuteur judiciairement établi des enfants du sieur DELALEU de SAINTE PREUVE, fait assigner devant le parlement de Flandres Jean Baptiste DE LA FOURNIERE, ancien maître de pension à Vincennes, bourgeois de Paris y demeurant, et Louis Joseph PODEVIN, procureur au Magistrat de Cambrai, y demeurant et curateur judiciairement établi du sieur DELALEU de SAINTE PREUVE.

    L’enfant mineur est fortuné « jusqu'à quatre a Cinq mille livres de Rente ». Il est hébergé par ledit DE LA FOURNIERE moyennant une pension qui doit être versée par ledit PODEVIN mais le montant fait l’objet d’un sérieux litige. Ledit DE LA FOURNIERE, demandeur, tente de forcer la main dudit PODEVIN en… détenant l’enfant « en gage de sa creance » impayée !

    Me MOITY, s’insurge contre cette prise d’otage d’autant qu’il craint des reproches de la part des parents de l’enfant ou du pupille lui-même à sa majorité. Il réclame la restitution immédiate dudit enfant mineur (AD59 Cumulus RDC 151/2).

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    * Comme le nom l’indique, les partenaires s’engagent ou vont s’engager dans une situation économico-financière voire la solder. Ils se font a priori confiance mais préfèrent acter leur accord pour que la situation soit claire, notamment par rapport aux tiers.

    ** La convention est ensemble de mesures adoptées par les deux parties, définissant leurs droits et leurs devoirs, avant de s’engager dans une association pour éviter tout malentendu ultérieur.

    *** La transaction est plutôt « un mauvais accord préférable à un bon procès ». Elle est conclue pour mettre fin à un litige faute de convention préalable ou face à une fâcheuse situation de fait.

    **** Cf. La possession de meubles vaut titre de proprieté : conditions, effets et recours : 

    https://www.legavox.fr/blog/maitre-anthony-bem/possession-meubles-vaut-titre-propriete-2529.htm 

     


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  • Le prêt sur gage évoque irrésistiblement pour nous le Mont-de-Piété, organisme de prêt sur gage qui permettait de faire face à des difficultés passagères, en attendant la vente de la récolte par exemple.

    Son principe est simple :

    L’impécunieux apporte un objet.

    Un expert estime sa valeur pour déterminer le montant du prêt.

    Si le candidat à l’emprunt est d’accord, il laisse l’objet en dépôt et empoche le prêt.

    Pour le récupérer, il devra rembourser le prêt.

     

    Le prêt sur gage remonte au XVe siècle en Italie. L’objectif était de prêter sur gage gratuitement ou à faible taux pour casser les usuriers qui pratiquaient des taux prohibitifs avec pour conséquence la misère des plus démunis. Shakespeare (1564-1616) a dénoncé leur rapacité à travers Shylock dans « Le marchand de Venise ».

     

    Un premier Mont-de-Piété a été fondé en 1610 en Avignon, alors terre papale.

    Le « Monte de Pietà » (de monte, « valeur, montant », et pietà, « pitié, charité ») a été francisé en Mont-de-Piété alors que « Crédit de charité » aurait été plus approprié.  

    Dans les Pays-Bas méridionaux (actuelle Belgique), un « touche-à-tout de génie », Wenceslas COBERGHER, « le Léonard de Vinci flamand » (ca. 1560-1634), économiste, architecte, ingénieur mais aussi peintre à qui les Flamands doivent l’assèchement des Moëres, rendant salubre cette zone marécageuse, va reprendre le concept pour mettre en place un vaste système de crédit avec l’appui des très catholiques archiducs Albert et Isabelle. Notre région sera ainsi à la pointe.

     

    Le prêt sur gage institutionnalisé : le Mont-de-Piété

    Nommé surintendant général aux monts-de-piété, Wenceslas COBERGHER commence par créer un premier Mont-de-Piété à Bruxelles en 1618. Il sera suivi de quatorze autres.

     

    Le prêt sur gage institutionnalisé : le Mont-de-Piété

    Le Mont-de-Piété de Bruxelles, peu avant sa démolition au milieu du XIXe s. (1)

     

    Il ouvre en 1626 un Mont-de-Piété à Lille dans l’actuel Hôtel du Lombard.

     

    Le prêt sur gage institutionnalisé : le Mont-de-Piété

    Le Mont-de-Piété de Lille, rue du Lombard (2)

     

    Le Mont-de-Piété de Bergues est édifié entre 1629 et 1633 d’après ses propres plans.

     

    Le prêt sur gage institutionnalisé : le Mont-de-Piété

    Le Mont-de-Piété de Bergues (3a)

     Le prêt sur gage institutionnalisé : le Mont-de-Piété

    Le Mont-de-Piété de Bergues (3b)

    Classé Monument Historique en 1907 

     

    Nous avons trouvé trace des Monts-de-Piété de notre région dans des fonds d’archives encore inexploités.

     

    Un parchemin de 1665 nous apprend qu’en 1629, Philippe SAUWAL, chanoine de la collégiale St Géry à Cambrai constitue une rente au profit du Mont-de-Piété de Cambrai représenté par Wenceslas COBERGHER, Architecte Général et Conseiller de Son Altesse Sérenissime, Surintendant Général des Monts de Piété et Louis LE CARLIER, Surintendant particulier, Gouverneur et Conseiller du Mont de Piété dudit Cambrai.

    Au verso, une note en 1630 de l’Archevêque de Malines et du Chancelier de Brabant pour que cette lettre de constitution de rente sorte son plein et entier effet.

    Une seconde note en 1665 signée par Gilles BOURDON et R. DESFOSSEZ, Surintendants et notaires, déclarant que cette rente a été léguée aux pauvres de la paroisse de St Géry par feu Philippe SAUWAL (AD59 Cumulus RDC 025/58).

     

    Le Mont-de-Piété de Cambrai a été détruit sous la Révolution.

     

    Autour de 1640, dans un contexte de guerres et de difficultés socio-économiques, la sorcellerie masque mal les rivalités sournoises et la recherche de boucs émissaires.

    Ainsi, en 1639, Henri SANCTORUM, commis du Mont de Piété de Tournai, a été dépouillé de son office au motif qu’il avait été repris du Magistrat pour sorcellerie. Il fait appel devant l’officialité de Cambrai contre Simon GOSSET, promoteur d’Office de « cette ville ». L’une des 5 pièces du procès rappelle que Pierre SEGARD a été pendu à Mons pour un tel crime et d’autres mentionnent Wenceslas COEBERGHER, surintendant général des Monts de Piété (AD59 Cumulus RDC 104/10).

     

    Le prêt sur gage institutionnalisé : le Mont-de-Piété

     

     

    Le prêt sur gage institutionnalisé : le Mont-de-Piété

    Le Mont-de-Piété de Tournai inauguré en 1625. 

    Dessin, dans BOZIERE A., Tournai, p. 347.

     

    En 1643, devant l’Officialité de Cambrai, Louis (LE) CARLIER, le Jeune, surintendant du Mont de piété de Cambrai, défend les intérêts de Barbe L’AOUST, sa femme, contre Melchior RUBIN, curé de Villers Cagnicourt. Le litige porte sur les terres lui appartenant mais occupées (exploitées) par Josse WASTELS dont les récoltes ont été ravagées par l’armée française en 1640 et 1641. La présence croate est aussi évoquée (AD59 Cumulus RDC 159/24).

     

    La gestion et les pratiques du Mont-de-Piété sont contestées dans une affaire passablement embrouillée remontant à 1651 et encore pendante en 1659. Tout semble partir d’une rente gagée au mont de piété en novembre 1651 et des ventes de gages ce mois-là. Le demandeur dont les meubles ont été vendus judiciairement demande aux administrateurs du mont de piété de …. ? dont le dénommé FELLERIES, « un homme de fief oú notaire ne peùt faire foy de soÿ mesme. », des comptes sur « les 290 gages sinistrement portez a la charge dú Dem(ande)ur a remarquer qúe les Deff(endurs aÿants mensongerement allegúé dans leur escript de solútions, qúe le Dem(ande)ur ioúit par ledit compte de l’offre qúe lúÿ at esté fait, et de súite qú’il demande indúement qu’on lúÿ en fasse compte Une seconde fois : et veú par les contresolútions dú Dem(ande)ur qúe leúr foúrbe en ce regard estoit descoúúerte (découverte) et qú selon droict ils ne luÿ en ont fait compte a sa descharge, mais bien faict compte contre droict a sa charge. ».

    Les griefs en tout genre s’accumulent sur 19 pages. Les affaires du mont de piété auraient été embrouillées par des sinistres des deffendeurs et non par des malversations du demandeur. Elles n’ont été remises en état que jusqu’au mois d’octobre 1653 grâce à des ventes de gages.

    « en l’An 1659 dú temps de la cessation d’armes le Dem(ande)úr s’est transporté de hesdin a St Omer pour s’ÿ informer de l’estat de cette affaire, et fait conúenir (convenir) celuÿ qúi aúoit acheté la Seigneúrie de Bailleúl… »

    Le demandeur exhibe un acte sa majesté catholique « par lequel il appert qu’elle n’at pû nÿ voúlú accorder aúdit Villers la prorogation ÿ mentionnee, si ce n’est apres prealable adúis (advis) des prevosts et júrez de Toúrnaÿ comme Júges domiciliaires qúdit Villers, et apres le consentement desdits de la Joincte* comme la partie »

    Entre autres sont mentionnés une attestation de COBERGHER, un intérêt ordinaire de 15 %, un arrêt de Malines, 3000 fl(orin)s du Sr de Bailloeúl, feu VILLERS et sa veuve…

    Les récriminations finissent par déraper sur une comparaison franchement antisémite « Enfin qú’ils ont fait comme firent les Júifs qúi allerent lapider St Estienne exclamantes voce magnâ continuerunt aures suas, poúr point entendre la verité. », rappel que l’institution des Monts-de-Piété avait pour but de mettre fin à l’usure.

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    * La jointe désigne probablement le conseil de régence établi suite à la mort de Philippe IV d’Espagne en septembre 1665 (Charles II, âgé de 4 ans).

    L’affaire s’est vraisemblablement déroulée entre cette date et les conquêtes françaises de Louis XIV. D’appel en appel, elle aboutirait donc devant le parlement Flandre (AD59 Cumulus RDC 239/22).

     

    Les objets gagés ont parfois une origine suspecte. Ainsi en 1661, les « mayeurs Bouchers », confondant l’institution et son officier, réclament la restitution d’objets gagés à la veuve d’Urbain BOURLON, vivant officier du Mont de piété (de Cambrai ?).

    Ladite veuve déclare que feue la femme de Nicolas BOISTEAU, vivant boucher et mayeur « Luÿ at consigné es mains et en gaige ung calice d’argent avecq deux esperons dargent qu’elle disoit avoir eub d un prestre de villaige pour La som(m)e de douze florins quelle offre mettre es mains desdits demandeurs a caution de restituer Lesditz gaige sy ledit pbre venoit Le redemander moyennant Lesditz douze florins ... »

    « Touchant un cornet d’argent La fem(m)e dudit boisteau L’at engaigé au mont de pieté et en at recheú cincq florins, ainsÿ Les demandeurs seront libres de ly aller chercher quand Ils trouveront convenir »… mais à leurs frais ! (AD59 Cumulus RDC 188/3).

     

    Le Mont-de-Piété ne saurait apporter une solution à des années de malchance accumulées. En 1679, Michel LABBÉ et Nicolas FENAIN tentent devant l’Officialité de Cambrai de rentrer dans leurs créances dues par Françoise BOUTROULLE, veuve de Robert MACHON, de Serenvillers. Il avait retenu 4 enfants de ses deux premiers mariages, ne parvenait pas à payer ses marchandises ni ses arrérages de rentes. En six ans de mariage, le couple avait contracté de nouvelles dettes et elle avait été malade la plupart du temps. Elle se résoudra à recourir à des de cession et à un abandon solennel de tous ses biens : son douaire, un tiers du jardin et des vêtements dont certains déjà gagés au Mont-de-Piété (AD59 Cumulus RDC 188/16).

     

    En 1689, Dreux-Louis DUGUÉ, chevalier, Sr de Bagnols, Intendant de la Justice, Police et Finances en Flandres, surintendant général des monts de piété en pays conquis assigne devant J. CORDOUAN, conseiller au Parlement de Flandres, Jerosme Jaspard de SURCQUES, Pierre Allard PAYELLE, Anthoine Dominicq DERVILERS et Pierre Paul SELLIER, héritiers de Antoine ou Arnoud Jaspard de SURCQUES, surintendant particulier du mont de piété de Douai. Il s’agit vraisemblablement d’une affaire interne (Cumulus RDC 159/42).

     

    En 1694, Guislain François LADAN, surintendant du Mont de Piété de la ville de Tournai, fait appel devant le parlement de Tournai d’une sentence des mayeur et échevins de Tournai contre Jean GATTELIER, chartier à Joulge, près de la ville de Beaulne (Beaune ?) en Bourgogne au sujet d’une lettre de change (AD59 Cumulus RDC 175/20/3).

     

    En 1739 est en cours la succession de Me Louis François Isidore VANDERBECKEN, seigneur de Waziers, feu prêtre décédé à Lille en février 1731

    Les procurations données à Pierre Alexandre BIDAR, prêtre chanoine de l’église collégiale de St Pierre audit Lille font apparaître parmi les héritiers :

    - Pierre François DE SALOMEZ, fils de feu Phles et de Catherine HUDSEBAUT, neveu et héritier ab intestat de George HUDSEBAUT, greffier du Mont de Piété à Namur, y décédé le 21 février 1733. Procuration passée à Gand.

    - Gilles François BLAUWART, Marie Joseph DE HELLIN, sa femme et Catherine Angélique DE HELLIN. Lesdites DE HELLIN, sœurs et héritières de Nicolas DE HELLIN et Louis ROMON, tous demeurant « en cette ville » Procuration passée à Lille (Cumulus RDC 050/25).

     

    Le prêt sur gage institutionnalisé : le Mont-de-Piété

    Le Mont-de-Piété de Namur (4)

     

    En 1748-1749, Jean TOURNAY, de Cambrai, se tourne vers l’Officialité de Cambrai pour demander des comptes à François LADRIÈRE et à Marie Madeleine CATTOIRE, sa femme, auparavant veuve de Pierre François HERBAGÉ, chirurgien à Villers-Outreaux (Mont des Tours). Ledit TOURNAY s’était porté caution du défunt. Une enquête vise à reconstituer tous les biens et toutes les dépenses du défunt et de sa veuve : trocs, dépôts, dépôts gagés au mont de piété et tous autres arrangements (AD59 Cumulus RDC 095/9).

     

    En 1751, Bauduin DESMAINS, charbonnier à Cambrai, réclame devant la justice le paiement d’une dette de 129 florins à Louis GRATTEPANCHE, marchand fripier et « portier de ville » (ou porteur des clefs). La sentence magistrat de Cambrai ordonne la vente des effets mis en gage par ledit GRATTEPANCHE (AD59 Cumulus RDC 047/38).

     

    En 1761, la sordide querelle de succession de leur beau-père oppose devant le parlement de Flandres Augustin Robert LANTIER, doyen des gardorphines (sic) de Lille, époux de Marie Séraphique Angélique POTTIER, appelant d’une sentence des mayeur et échevins de Lille contre

    - Jean Baptiste de FAUCOMPRET, conseiller au Mont de Piété à Lille, et Marie Catherine Ernestine POTTIER, sa femme

    - Pierre COURTALON, directeur du vingtième denier, et Marie Albertine Joseph DE LISLE, sa femme

    - Pierre François DEBADTS et Marie Thérèse DE SIRÉE, sa femme

    - Marie Magdelaine Françoise DE LISLE, fille majeure

    demeurant tous à Lille, lesdites DE LILLE, filles de Mr Charles Adrien DE LISLE, vivant avocat décédé le 16 mai 1757, et de Marie Magdelaine POTTIER

    Une « multitude d’autres procédures [...] contre les intimés et contre le Sr Waÿmel administrateur provisoirement etabli aux personne et biens de sa femme par sentence du magistrat de lille rendue en 1757 » vient se greffer sur l’affaire qui s’envenime. Ainsi ledit FAUCOMPRET et d’autres demandent réparation d’injures.

    Le déballage révèle des règlements de compte sur des aspects étrangers à l’affaire. L’épouse de l’appelant, prétendue imbécile ou « faussement imbécile » et « hors detat de faire aucune fonction de religion » et « abandonnée de son marÿ errante, et qui se trouvait reduite de loger tantot d’un couté tantot de l’autre » a été le 16 novembre 1750 « de L’autorité du juge » placée par son père « en detention necessaire » chez les « sœurs de la magdelaine ». Ledit appelant prétend que sa femme « a eté mise en lieu de sureté que Ca eté un artifice du Sr de faucompret et de son epouse pour s’emparer du contigent de sad : femme dans la succession de son père qu’il regardoit comme prochaine ... » &c… (AD59 Cumulus RDC 150/3).

     

    De 1782 à 1784, l’Officialité de Cambrai devra se prononcer sur une embrouille au sujet d’une montre qui oppose Barthélémy DAILLIEZ fils, demeurant à Valenciennes contre N… BLONDIAU, employé au Mont de piété « de cette ville ».

    Ledit Barthélémy DAILLIEZ fils possédait une montre « Dont la boette Est d’argent » dont il « Vouloit S’en défaire ne pouvant La gouverner pour n’En avoir pas l’usage ». « au tems Des carnavales de l’an 1782 », il la vendit donc par l’intermédiaire dudit BLONDIAU à Charles Louis CANONNE, domestique à M. DEGILLABOZ, subdélégué... « en cette ville », y demeurant et déclarant que la montre « se trouve très bonne Et que par cette raison En Etant très content, il la garde Constamment ». L’affaire est peu claire mais apparemment, le vendeur s’estime lésé (AD59 Cumulus RDC 189/20).

     

    Le prêt sur gage institutionnalisé : le Mont-de-Piété

    Histoire ecclésiastique de la ville et comté de Valenciennes par Simon Leboucq prévôt, 1650 

     

    Le prêt sur gage institutionnalisé : le Mont-de-Piété

    Le Mont-de-Piété de Valenciennes (5a)

     

    Le prêt sur gage institutionnalisé : le Mont-de-Piété

    Le Mont-de-Piété de Valenciennes (5b)

     

    Peu après le 12 août 1815, le comte DEVIDAMPIERRE et M. WARESQUIEL font un rapport au comte de BRIGODE, maire de Lille sur la réquisition de denrées pour la subsistance des armées alliées.

    Le 19 août 1815, le maire de Lille demande alors à emprunter 20000 frs pour satisfaire à la réquisition.

    Le 24 août 1815, un arrêt du préfet est expédié pour autoriser le maire de Lille d’emprunter 20000 frs dans la caisse du Mont-de-Piété de Lille pour achat de denrées demandées à la commune de Lille (AD59 Cumulus RDC 9, Série R Vc Comptabilité, Emploi des fonds bénéfices 1815-1902).

     

     

    Le prêt sur gage institutionnalisé : le Mont-de-Piété

    Le Mont-de-Pi&t& d'Arras

     

    C’est en 1637 seulement que Théophraste RENAUDOT, le fondateur de La Gazette de France, ouvre le premier mont-de-piété français à Paris.

    Louis XIII autorise 58 autres villes du royaume à établir des monts-de-piété mais Richelieu, cédant à la pression des usuriers, met fin à l’institution en 1644.  

    Louis XVI, conscient de la mendicité provoquée par la ruine des endettés aux risques du vagabondage ou des larcins, rétablit le Mont-de-Piété qui sera inauguré en 1778, rue des Blancs-Manteaux à Paris.

     

    Le prêt sur gage institutionnalisé : le Mont-de-Piété

    Le Mont de piété historique, n° 16 rue des Blancs-Manteaux à Paris. (6)

     

    L’institution tant bien que mal traverse la Révolution.

     

    Au XIXe siècle le succès du mont-de-piété de Paris est tel qu'il n'apparaît plus seulement comme l'antichambre de la misère. Le propre fils de Louis-Philippe, le prince de Joinville, aurait déposé sa montre pour honorer une dette de jeu. Quelque peu honteux, il avait prétendu l'avoir oubliée… chez sa tante. D'où l'expression « ma tante » pour qualifier le mont-de-piété (Wikipédia).

     

    En 1918, les monts-de-piété deviennent par décret le Crédit municipal, actant ainsi le développement des activités bancaires parallèlement aux prêts sur gages.

     

    Le prêt sur gage institutionnalisé : le Mont-de-Piété

    Le Mont de Piété par Jean Béraud.

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    https://www.pretsurgage.fr/histoire/ 

    http://utan.lille.free.fr/personnages_2.htm 

    (1) http://bruxellesanecdotique.skynetblogs.be/archive/2008/10/02/le-mont-de-piete.html

    (2) https://www.construction21.org/france/case-studies/fr/hotel-du-lombard-rehabilitation-de-29-logements-sociaux.html

    (3a) http://www.monumentum.fr/ancien-mont-piete-pa00107374.html 

    (3b) http://www.monumentum.fr/ancien-mont-piete-pa00107374.html

    (4) http://www.pauvresdenous.arch.be/index.php/mont-de-piete-de-namur-et-ecole-dominicale-des-pauvres  

    (5a) https://www.pss-archi.eu/forum/viewtopic.php?id=33485

    (5b) http://cspv.asso-valenciennes.fr/articles.php?lng=fr&pg=63&mnuid=136&tconfig=0 

    (6) Wikipédia


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    Il est des actes, reflet de situations qui serrent le cœur, celle des enfants pauvres et orphelins notamment. Cosette n’est pas qu’un symbole né de l’imagination de Victor Hugo.

     

    059. Le triste sort des orphelins pauvres

    « Les Misérables », tragédie musicale d’après Victor Hugo. Pochette du disque (version originale 1980)

    Musique de Claude-Michel Schönberg. Textes d’Alain Boublil et Jean-Marc Natel.


    Quand Michel DEMORY meurt le 22 décembre 1736 à Beuvry-la-Forêt, il laisse une épouse près d’accoucher et sept enfants vivants. Marie Jeanne DRUMEZ met au monde un petit Michel le 12 janvier 1737 dont les parrain et marraine sont les aînés de ses frère et sœurs Noël et Marie Rose, âgés respectivement de 15 ans et 17 ans environ, signe manifeste que la famille, isolée, ne peut guère compter sur un entourage protecteur. Cependant fin mars de la même année, l’inhumation du petit Pierre Joseph, 2 ans, a lieu en présence de Pierre Charles SAUVAGE, son parrain. L’annus horribilis se termine le 12 novembre sur la mort de la maman, à l’âge de 42 ans seulement. Le petit Michel, « pauvre orphelin », ne lui survivra que deux mois.

    Charles François SAUVAGE, laboureur demeurant au village de Beuvry, est judiciairement établi tuteur aux corps et biens des enfants. Curieusement et bien que les DRUMEZ soient nombreux au village, cette responsabilité ne leur a pas été dévolue. Qui est ce tuteur par rapport aux enfants ? Aucun lien familial n’a pu être détecté. Peut-être l’employeur de feu Michel DEMORY pour avoir été celui qui le connaissait le mieux ? On sait seulement qu’il est le père de Pierre Charles SAUVAGE, parrain en 1737 de Michel DEMORY.

    Quoi qu’il en soit, ledit tuteur a justement un jardin avec arbres à fruits, maison… à louer. Il le met à bail aux enchères, pratique tout à fait inusitée. Et c’est justement Marie Rose DEMORY qui emporte l’affaire ! Prudent, car les juristes ont toujours jugé incompatibles les contrats entre tuteurs et pupilles, le notaire prend bien soin de préciser le lien juridique existant entre les parties : « Charles François SAUVAGE laboureur demeurant au village de Beuvry et tuteur judiciairement établi aux corps et biens des enfants de feu Michel DEMORY et de Marie Jeanne DRUMEZ vivant demeurant audit Beuvry à Marie Rose DEMORY, fille dudit feu Michel, demeurante audit lieu » (AD59 Tab. Douai 1171).  

    Que penser encore de ce bail aux enchères ?

    Jusqu’à la mort des parents, la famille DEMORY-DRUMEZ vivait évidemment dans une maison avec son jardinet attenant comme il est de règle à la campagne. Apparemment, ils n’en étaient pas propriétaires. Étaient-ils à la veille d’être expulsés ? Mais qui était ce propriétaire ? Ce pourrait bien être justement Charles François SAUVAGE qui, ne disposant plus de la force de travail des défunts, voyait là un moyen « légal » de garantir ses revenus.

    Il faut bien survivre : Marie Rose devenue chef de famille n’avait guère d’autre choix. Espérons seulement que les autres villageois compatissants se sont abstenus de tout renchérissement.

    Les six enfants vivoteront jusqu’aux années 1742-1743 quand les aînés se mariant, ils retrouveront un semblant de famille généralement recomposée mais plus protectrice.

    Noël DEMORY n’a que 20 ans quand le 06 février 1742 à Orchies, il épouse Barbe Angélique DELESTRÉ, 24 ans, fille d’un journalier.

    Anne Joseph DEMORY n’a que 20 ans elle aussi quand elle se marie le 29 octobre 1743 à Beuvry avec Jean Pierre HENNOCQ, vieux garçon orphelin de 36 ans : un bâton de vieillesse sans doute…

    Marie Rose DEMORY enfin s’unit le 05 novembre 1743 à Beuvry à Géry François Joseph DELESTRÉ, laboureur et bourgeois d’Orchies mais âgé de 38 ans, veuf avec au moins 3 enfants de Jacqueline BOURLÉ et probablement apparenté à Barbe Angélique DELESTRÉ.

    Marie Robertine DEMORY est inhumée le 1er juillet 1745 à Orchies en présence de son frère Noël et de son beau-frère Géry DELESTRÉ qu’elle avait suivis et qu’elle aidait probablement au fil des nombreuses naissances…

    Euphroisine DEMORY convole le 07 avril 1750 à Vred avec Louis François DUROT, un ménager de 26 ans, veuf lui aussi.

    Angélique DEMORY épouse le 07 janvier 1755 à Orchies Pierre Joseph DESCARPENTRY lui aussi orphelin qui avait hâte de fuir une famille recomposée mais décimée et où il avait dû dès ses seize ans aider son beau-père à élever ses nombreux frères et sœurs utérins…

    Le cas le plus tragique est cependant celui des jeunes orphelins dont le maigre héritage parental ne permet pas de les élever jusqu’à ce qu’ils soient autonomes. Rappelons que dans le Douaisis, les filles étaient censées se gouverner elles-mêmes dès l’âge de douze ans tandis que les garçons bénéficiaient d’un sursis de deux ans.

    Faute de pouvoir compter sur des oncles, tantes, parrains et marraines, ces enfants risquaient fort de tomber à la charge de l’échevinage, de la « pauvreté du lieu ». C’était possible quand les temps n’étaient pas trop durs mais en temps de guerre et tant que le village ne s’en était pas relevé et surtout si les orphelins étaient nombreux, les mayeur et échevins pouvaient, pour limiter les frais, décider de mettre ces infortunés aux enchères… à moins disant !

    L’épreuve se passait au sortir de la messe dominicale. Attirés par le pécule, les amateurs se disputaient les gosses, par lots ou fratries éclatées. S’effaçaient-ils au moins en faveur des membres de la famille naturelle ? Rien n’est moins sûr. Imaginons la détresse de ces enfants...

    Les enfants attribués, un contrat était établi pour un an précisant la somme due par les édiles et les obligations des enfants qui devaient se comporter en enfants de famille, c’est-à-dire obéir, être respectueux en toutes circonstances envers leurs hôtes et les aider aux travaux selon leur âge. Précisons que sept ans n’était pas considéré comme un âge trop tendre… Rigoureusement rien par contre sur les conditions d’accueil et d'hébergement des enfants. Il est à craindre que certains ont dû se contenter de partager l’étable ou la porcherie…

    Ainsi Martin HACHE, de Bouvignies, tuteur de ses neveux, les a fait mettre aux enchères en 1694 (AM Bouvignies aux AD59).

     

    « La pauvreté rend méchant » disait François Mitterrand qui connaissait parfaitement les ressorts de l’être humain.

     


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  • Nos ancêtres nous étonneront toujours !

     

    Il va sans dire que nos ancêtres, très loin du citadin moderne, ignoraient le lèche-vitrines, le shopping et les virées au supermarché. Vivant le plus possible en autarcie, accaparés par les tâches multiples, les campagnards ne portaient même pas de monnaie sur eux au quotidien. Les espèces, concurrencées par le paiement en nature, étaient réservées à certaines redevances, aux dépenses exceptionnelles ou récurrentes. L’argent circulait peu.

    Les menues dépenses, telles celles de cabaret, étaient parfois mises « à l’ardoise » et totalisées périodiquement. Les dettes et les recettes apparaissaient toutefois dans le décompte des successions… ou des ventes judiciaires. Le troc était courant.

    Quoi qu’il en soit, en ce mois d’octobre 1776, Nicolas BASTIDE, maître chaudronnier de Cambrai, se rend à la « maison, cloître et église de Sainte Claire », rue du Marché aux Poissons probablement pour livrer quelque ustensile ou des marchandises.

    Le troc d’un mulet contre…

    Plan de Cambrai - Atlas VAN LOON, 1649

    https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/26/Cambrai_-_Cameracvm_vulgo_Cambray_-_Kamerijk_%28Atlas_van_Loon%29.jpg

    Cliquer une ou deux fois dans les images pour les agrandir. 

    Le troc d’un mulet contre…

    Détail

    Les « religieuses et pauvres clarisses », appartiennent aux « ordres mendiants ». Fort économes de leurs deniers, elles ne sont pas des clientes faciles mais ce jour-là, la mère supérieure est encline au bavardage. Elle confie au marchand qu’elle est fort ennuyée : leur mulet* vient de mourir et elles ont absolument besoin de le remplacer. Puisque le chaudronnier possède justement - ou peut se procurer - un jeune mulet, elle lui propose de l’acheter.

    « Le mulet marche comme un cheval, tire comme un bœuf, et mange comme un âne » et « il ne tombe malade que pour mourir ». Évidemment, toutes ces qualités ont un prix… À titre de comparaison, le prix d’un cheval dans la force de l’âge est équivalent à celui d’un tracteur qui rendrait le même service.

    Le troc d’un mulet contre…

    Notre homme est donc fort ennuyé : il préfèrerait livrer un animal en âge de travailler, débourré, préparé à porter une charge, à tirer une carriole ou une charrue et à être monté afin d’en tirer un bon prix mais il ne veut pas refuser ouvertement à ces saintes femmes… (à moins qu’en bon marchand, il se fasse prier ?).

    Il tente donc de la dissuader : il lui fait évidemment remarquer qu’un mulet est difficile à élever, que le sien est beaucoup trop jeune, qu’il ne pourra pas être utilisé avant d’avoir achevé sa croissance, que le mettre au travail prématurément compromettrait son développement et la durée des services attendus. Il lui conseille, puisqu’elle est pressée, de rechercher une bête en état de travailler…

     

    Mais la religieuse souhaite au contraire acquérir une bête à moindre coût donc la plus jeune possible. Elle se sent parfaitement capable de s’en occuper. Elle insiste. Le marchand consent à contrecœur de se défaire de l’animal mais c’est bien parce que ce sont des religieuses…

    Commence alors le marchandage. La cliente est dure en affaires. Le marchand voit ses espoirs de bénéfice s’amenuiser et il commence à regretter son accord de principe. Elle s’en tient à un prix ridiculement bas. Tout ce qu’il obtiendra en complément, ce sont des prières pour lui et sa famille. Une convention garantissant notamment que le mulet doit encore grandir de six pouces « apeine que le marché serait resolu »** est signée.

     

    Quelques mois plus tard, il a l’amère surprise de voir que « Les mere abbesse et pauvres clairisses » l’ont attrait en justice « Pardevant Messieurs du Magistrat de Cambray »**** le 14 mars 1777 au motif que le mulet n’a pas atteint la taille espérée !

    Le troc d’un mulet contre…

     Le troc d’un mulet contre…

    Ulcéré, il réplique le 20 mars 1777. Non seulement il regrette d’avoir cédé aux sollicitations des religieuses mais il se met presque à douter que les prières aient été dites : il « n’attendoit d’elles que des prières en reconnoissance : prieres qu’elles avoient promises et sous la foi des quelles il a bien voulu sacrifier le gain qu’il pouvait faire

    quoiqu’il en Soit il ne reprochera pas son aumone, persuadé que L’oubli de ceux qui L’ont reçue n’en diminue pas le mérite ».

    Entrant dans le vif du sujet, il rappelle qu’il n’a agi que sur leurs sollicitations, que la croissance de l’animal n’est pas terminée, seulement tardive et qu’aucun acte n’avait attesté de sa taille au moment de la vente.

    Il demande donc à être mis hors de cause et il réclame les dépens.

    Nous ne connaissons pas la suite de l'affaire...

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     * Le mulet et la mule sont des hybrides statistiquement stériles de la famille des équidés, engendrés par un âne (Equus asinus) et une jument (Equus caballus).

    Le mulet présente les caractéristiques de ses deux parents. D'une taille intermédiaire entre l'âne et la jument, il possède d'un côté la force du cheval et de l'autre la robustesse et la rusticité de l'âne. Il est réputé résistant, le pied sûr, endurant, courageux et intelligent.  

    Le mulet et la mule présentent dans 10 % des cas une anémie hémolytique grave liée aux anticorps de la mère contenus dans le colostrum lors des premiers jours de l'allaitement. La cause a été identifiée depuis le milieu des années 1940 et résolue depuis par le biais d'un titrage des anticorps, d'un retard de l'allaitement, et de la transfusion de globules de la mère.

    On distingue le mulet de bât, utilisé en montagne, le mulet de trait, qui rend les mêmes services que rendrait un cheval dans d'autres régions, et le mulet de selle. (Wikipédia)

    ** sous peine d’annulation de la vente.

    *** L'ancien plan-relief faisait partie d'une série de 17 emportés par les Prussiens en 1815 à Berlin. Il périt avec les autres au musée berlinois du Zeughaus sous les bombardements de 1945. Il a pu être reconstitué en 1994.

    **** Le mayeur et les échevins

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     AD59 Cumulus RDC 44-40

     


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